LE PONT CASSÉ 2
Guillemain
Domaine public.
Le Pont Cassé de Séraphin est une pièce d'ombres qui était célèbre il y a deux siècles :
http://ombres-et-silhouettes.wifeo.com/le-pont-casse.php
Elle a été réécrite et remaniée par différents auteurs, Voici la version de Guillemain, un auteur comique du Vaudeville (Les Théâtres d'ombres, Denis BORDAT, Francis BOUCROT).
LE PONT CASSÉ 2
Le tableau transparent représente un paysage traversé par une rivière, sur laquelle est jeté un pont dont une arche est brisée. Sur la droite, dans un plan plus reculé, on aperçoit une maison avec une enseigne.
Au début de la scène, un petit bonhomme arrive en chantant et se met à piocher le tablier du pont.
Scène première
LE PETIT GARS. - Tralalalalaire, tiretirelaire. Ah ! Ah ! il est encore de bonne heure et l'on n'aperçoit pas un chat dans la campagne ; je suis le premier levé. Allons, mettons-nous vite à l'ouvrage, et, pour faire passer le temps plus vite, en avant la petite chanson. Tralalalalaire...
(Tandis qu'il pioche avec ardeur, arrive précipitamment, à l'extrémité opposée du pont, un voyageur qui s'arrête subitement en voyant que le pont est rompu.)
Scène deux
Le Petit Gars - Le Voyageur.
LE VOYAGEUR. - J'allais faire une belle affaire avec ma précipitation : un peu plus, et j'étais lancé dans la rivière. On m'avait pourtant dit que c'était le chemin le plus court pour aller à la ville voisine ; mais on ne m'avait pas dit que le pont était en ruines et que je ne pourrais pas passer dessus. Cap de Dious ! Cela me retarde bien, et je ne sais à qui m'adresser... Oh ! Mais j'aperçois de l'autre côté du pont un jeune garçon. Je vais m'adresser à lui. (Il l'appelle.) Ohé ! L'ami !
LE PETIT GARS, qui avait toujours pioché jusque là, levant la tête. - Qui m'appelle ?
(Il se remet à piocher.)
LE VOYAGEUR. - Hé donc ! C'est moi, mon petit bonhomme. Pourrais-tu me dire si la rivière, elle est profonde ?
LE PETIT GARS. - Les cailloux touchent à la terre, lire lire laire. Les cailloux touchent à la terre, lire lon pha.
LE VOYAGEUR. - Hé donc ! Troun de l'air, je le sais bien, et tu ne m'apprends là rien de nouveau ! Mais, dis-moi l'ami ?
LE PETIT GARS. - Hé ! Monsieur ?
LE VOYAGEUR. - Dis donc, mon petit, si je pourrai passer l'eau ?
LE PETIT GARS. - Tiens, cette bêtise ! Pourquoi ne la passeriez-vous pas ?
Les canards l'ont bien passée,
Lire lire laire !
Les canards l'ont bien passée,
Lire lon pha !
LE VOYAGEUR. - Hé ! Dis donc là-bas, Monsieur le mal appris, est-ce que tu me prends pour un canard ?
LE PETIT GARS, sautant et riant. - Oh ! que nenni ! Vous me faites plutôt l'effet d'un gros dindon.
LE VOYAGEUR. - Voyez un peu l'impertinent ! Mais c'est jeune et cela veut rire... Hé ! L'ami !
LE PETIT GARS. - Hé ! Monsieur ?
LE VOYAGEUR. - Pourrais-tu me dire à qui appartient cette belle maison que je vois là-bas ?
LE PETIT GARS. - À qui elle appartient ? Pardine, faut pas être malin pour ça :
Elle appartient à son maître,
Lire lire laire !
Lire lire laire !
Elle appartient à son maître,
Lire lon pha !
LE VOYAGEUR. - Lire lon pha ! lire lon pha !... Hé ! L'ami !
LE PETIT GARS. - Hé ! Monsieur !
LE VOYAGEUR. - Y vend-on du vin au moins dans cette maison ?
LE PETIT GARS. - Si on vend du vin ?
On y vend plus qu'on en donne.
Lire lire laire !
Lire lire laire !
On y vend plus qu'on en donne.
Lire lon pha !
LE VOYAGEUR. - Bagaffe ! Je voudrais savoir s'il est bon ?
LE PETIT GARS. - Si bon qu'il se laisse boire.
Lire lire laire !
Lire lire laire !
Si bon qu'il se laisse boire.
Lire lon pha !
LE VOYAGEUR. - Je commence à croire décidément que le petit drôle se moque de moi. Il faut que je sache son nom afin de me plaindre aux autorités. Hé ! L'ami ?
LE PETIT GARS. - Plaît-il, mon bon Monsieur ?
LE VOYAGEUR. - Dis-moi, mon joli petit, comment est-ce que tu te nommes ?
LE PETIT GARS. - Tiens ! vous voulez savoir mon nom ? Et qu'est-ce que vous en voulez faire de mon nom ?
LE VOYAGEUR. - Hé ! dis toujours, tu le verras.
LE PETIT GARS. - Hé bien ! Monsieur.
Je m'appelle comme mon père.
Lire lire laire !
Lire lire laire !
Je m'appelle comme mon père.
Lire lon pha !
LE VOYAGEUR. - Ah ! tu t'appelles comme ton père, bagaffe, petit farceur ! Hé bien ! tu crois être bien malin, mais je vais t'y prendre. Hé ! L'ami !
LE PETIT GARS. - Plaît-il, Monsieur ?
LE VOYAGEUR. - Dis-moi donc mon pichoun, comment s'appelle ton père ? Hé donc ! te voilà pris ! Comment te tireras-tu de celle-là ?
LE PETIT GARS. - Vous voulez savoir comment s'appelle mon père ? Vous croyez me tenir, pas vrai ?
LE VOYAGEUR. - Hé oui ! sans doute que je te tiens.
LE PETIT GARS. - Pardine, mon bon Monsieur... Le nom de mon père,
C'est le secret de ma mère.
Lire lire laire !
Lire lire laire !
C'est le secret de ma mère.
Lire lon pha !
LE VOYAGEUR. - Oh ! le petit drôle ! Mais je m'aperçois que je perds mon temps, et je n'arriverai jamais à mon rendez-vous. La journée s'avance. (Tirant sa montre.) Troun de l'air, ma montre elle est arrêtée... Oh ! Mais ce petit bonhomme ne refusera pas de me dire l'heure qu'il est. Hé ! L'ami !
LE PETIT GARS. - Quoi que vous m' voulez, Monsieur ?
LE VOYAGEUR. - Dis-moi, mon petit, ma montre ne marche pas et je voudrais bien savoir l'heure, peux-tu me la dire ?
LE PETIT GARS. - Oh ! je crois bien, Monsieur, j'ai une excellente montre, et à répétition encore.
LE VOYAGEUR. - Ah ! tu as une montre à répétition ?
LE PETIT GARS. - Oui, Monsieur... Tenez, regardez.. (Il se retourne et lui montre le derrière.)
Voilà mon cadran solaire,
Lire lire laire !
Lire lire laire !
Voilà mon cadran solaire.
Lire lon pha !
LE VOYAGEUR. - Voyez-vous le polisson ! attends, attends, petit insolent, je vais t'en donner d'une drôle de façon de ton cadran solaire. Mais j'aperçois un batelier... (Il l'appelle.) Holà, hé, du bateau ? Veux-tu me faire passer l 'eau, mon ami ?
LE BATELIER. - Tout de même. Descendez par ici, not' bourgeois.
(On voit passer le bateau dans lequel est le voyageur.)
LE VOYAGEUR. - Dites-donc, mon cher, qu'est-ce donc que ce petit polisson qui travaille à l'autre bout du pont et qui, à toutes les questions qu'on lui fait, ne répond que par des lire lire laire, lire lon pha ?
LE BATELIER. - Oh ! Pardine, not' bourgeois, c'est un méchant gars, qu'il en faudrait pas beaucoup de cette graine-là.
(Au moment où le bateau arrive au-dessous de l'arche démolie, on entend le gamin dire, en jetant des pierres avec sa pioche :)
LE PETIT GARS. - Gare l'eau ! gare l'eau !
LE BATELIER. - Voyez-vous le mauvais garnement ? Mais nous voilà abordés, not' bourgeois.