THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

L'ÂNE  ET  LE  CHIEN

 
par Mesdemoiselles AUROY
1930

domaine public
 

* * *

PERSONNAGES :

L'ÂNE,
LE CHIEN,
LE LOUP,
MAÎTRE JEAN.

La scène représente une prairie encadrée par deux arbres.
Maître Jean, à califourchon sur son âne, apparaît sur le sentier,
suivi de son chien. L'âne est chargé de deux paniers.

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ombre tirée d'une planche du patrimoine

MAÎTRE JEAN. - (Il chante. Air : Marianne s'en allant au
moulin).

          Maître Jean s'en va-t-au moulin (bis)
          Pour y faire moudre son grain (bis).
          Et monté sur son âne,
          Suivi de son chien Cra-a-que,
          Et monté sur son âne Grison,
          Il chante sa chganson.
     Hue ! Grison. (Il fait claquer son fouet). Avance, mon âne. Nous sommes encore loin du moulin. Il fait bon dans cette prairie. Si nous en profitions pour nous reposer un peu ? Je serai très bien là, à l'ombre de ces arbres. (Il s'installe et s'endort. Ronflements sonores).

LE CHIEN. - Je crois bien que le maître dort déjà !

L'ÂNE. - Tant mieux ! L'herbe de ce pré est tendre et savoureuse, je vais pouvoir faire un bon déjeuner. (Il broute).

LE CHIEN. - Ami Grison, j'ai une faim, une faim terrible ! Le maître a mis dans un de tes paniers un morceau de pain pour moi. Si tu veux te baisser un peu, je pourrai attraper mon déjeuner.

L'ÂNE. - Ne me dérange pas, laisse-moi brouter.

LE CHIEN. - Mais ce sera très vite fait. Baisse-toi une petite minute seulement.

L'ÂNE. - Non, je n'ai pas de temps à perdre.

LE CHIEN. - Tu n'es vraiment pas gentil, Grison. Si tu savais comme j'ai faim, tu aurais pitié de moi.

L'ÂNE. - Patiente un peu ! Le maître ne va pas tarder à se réveiller et il te donnera ta pitance.

LE CHIEN. - Tu es un mauvais camarade, Grison !
     (Il va se coucher près de son maître. L'âne s'éloigne en broutant).


UN LOUP, apparaissant près de l'âne. - Hou ! hou ! Je vais te croquer.

L'ÂNE. - Au secours ! Au secours ! Crac !

LE LOUP. - Tu as beau appeler au secours, tu ne m'échapperas pas !

L'ÂNE. - À moi, Crac ! À moi !

LE CHIEN. - Sauve-toi, Grison, cours vite en attendant que ton maître s'éveille. Il ne tardera pas sans doute, et il te délivrera.

L'ÂNE, luttant avec le loup. - Mon petit Crac, je t'en supplie, viens vite tuer le loup. Vite, vite !

LE CHIEN. - Tue-le toi-même ! Donne-lui un bon coup de sabot dans la mâchoire.

L'ÂNE. - Aïe ! aïe ! le loup me mord ! Aïe ! Aïe !

LE MAÎTRE, qui s'éveille. - Que se passe-t-il ? Qu'a donc Grison à crier ainsi ? Oh ! c'est un loup qui veut le dévorer. (Il se précipite avec son fouet). Attends, loup, je vais te casser les reins ! (Le loup s'enfuit).

L'ÂNE. - Ma patte saigne ! Oh ! que j'ai mal !

LE MAÎTRE. - Pauvre Grison ! Je vais laver ta blessure.

L'ÂNE. - Oh ! là ! j'ai bien mal ! Ah ! Crac, si tu étais venu quand je t'ai appelé, le loup n'aurait pas eu le temps de me mordre ! Mais je n'ai pas été gentil avec toi, je n'ai pas voulu te laisser prendre ton déjeuner. Tu es fâché contre moi.

LE CHIEN. - Faisons la paix, mon pauvre Grison, et une autre fois, soyons complaisants l'un pour l'autre.

LE MAÎTRE. - Allons, courage, mon âne ! Remettons-nous en route tout doucement. En arrivant au moulin, je panserai ta blessure et ce ne sera rien.
          (Il chante, comme au début, en s'éloignant).
          Maître Jean s'en va-t-au moulin (bis)
          Pour y faire moudre son grain (bis).
          Et monté sur son âne,
          Suivi de son chien Cra-a-que,
          Et monté sur son âne Grison,
          Il chante sa chanson.

 

RIDEAU

 


L'ÂNE  ET  LE  CHIEN

Il se faut entr'aider, c'est la loi de nature :
L'Âne un jour pourtant s'en moqua :
Et ne sais comme il y manqua ;
Car il est bonne créature.
Il allait par pays accompagné du Chien,
Gravement, sans songer à rien,
Tous deux suivis d'un commun maître.
Ce maître s'endormit : l'Âne se mit à paître :
Il était alors dans un pré,
Dont l'herbe était fort à son gré.
Point de chardons pourtant ; il s'en passa pour l'heure :
Il ne faut pas toujours être si délicat ;
Et faute de servir ce plat
Rarement un festin demeure.
Notre Baudet s'en sut enfin
Passer pour cette fois. Le Chien mourant de faim
Lui dit : "Cher compagnon, baisse-toi, je te prie ;
Je prendrai mon dîner dans le panier au pain."
Point de réponse, mot ; le Roussin d'Arcadie
Craignit qu'en perdant un moment,
Il ne perdît un coup de dent.
Il fit longtemps la sourde oreille :
Enfin il répondit : "Ami, je te conseille
D'attendre que ton maître ait fini son sommeil ;
Car il te donnera sans faute à son réveil,
Ta portion accoutumée.
Il ne saurait tarder beaucoup."
Sur ces entrefaites un Loup
Sort du bois, et s'en vient ; autre bête affamée.
L'Âne appelle aussitôt le Chien à son secours.
Le Chien ne bouge, et dit : Ami, je te conseille
De fuir, en attendant que ton maître s'éveille ;
Il ne saurait tarder ; détale vite, et cours.
Que si ce Loup t'atteint, casse-lui la mâchoire.
On t'a ferré de neuf ; et si tu me veux croire,
Tu l'étendras tout plat. Pendant ce beau discours
Seigneur Loup étrangla le Baudet sans remède.
Je conclus qu'il faut qu'on s'entr'aide.

 

Jean de LA FONTAINE
 



 


 



 
 



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