LA MARCHANDE DE MARÉE
écrit par Nicolas AUBERT
Cette histoire a été écrite à partir d'une planche d'ombres. En effet, les silhouettes étaient très parlantes mais le texte nous manquait.
Les textes de théâtre d'ombres étant alors très difficiles à trouver -Le présent site n'existait pas- et notre répertoire désespérément mince, nous nous sommes lancés dans l'écriture de cette histoire. Si un lecteur pouvait nous faire parvenir le texte original, s'il existe, on pourrait boucler la boucle de La Marchande de Marée.
(Madame Marée est assiste devant l'étalage de poisson auquel elle tourne le dos.
Le gros poisson est placé entre elle et l'étalage,
dans un bac, ce qui fait qu'elle ne le voit pas.)
MADAME MARÉE, criant. - Il est beau, mon poisson, il est beau ! Il est frais, mon poisson, il est frais !
MADAME ARGOL. - Bien le bonjour, Madame Marée. C'est vrai qu'il est fort beau, votre poisson. Mais... je ne rêve pas, vous en avez un énorme.
MADAME MARÉE. - C'est ma foi vrai, Madame Argol... Et pêché de ce matin. Ici, la fraîcheur, c'est la marque de la maison. Vous vous y connaissez, vous, en poissons ? Ca serait un requin ou une de ces baleines... un lachacot, que ça ne m'étonnerait pas.
MADAME ARGOL. - Vous voulez dire un chalacot, je présume ? Peut-être... ou même un calachot... euh !... un cachalot. En tous cas, il est bien beau. Je vais vous faire de la publicité par toute la ville, Madame Marée.
MADAME MARÉE. - Faites donc, Madame Argol, faites donc.
MADAME ARGOL. - Et bonne jounée, Madame Marée. (Elle sort.)
MADAME MARÉE. - Au revoir, Madame Argol.
(On pourra organiser un défilé de personnages plus farfelus les uns que les autres. Ils traverseront l'écran, marqueront un temps d'arrêt devant le gros poisson puis repartiront. On pourra faire défiler des personnages de Carnaval ou ceux des contes de fées. Il faudra créer entre eux des petites situations comiques.)
(Monsieur et Madame de Bel Air entrent.)
MONSIEUR DE BEL AIR. - Mes hommages, Madame Marée.
MADAME MARÉE. - Bonjour, Monsieur De Bel Air. Vous voulez du poisson, ce matin ?
MONSIEUR DE BEL AIR. - En effet, Madame Marée. Mon aide cuisinier viendra vous voir pour vous prendre quelques limandes car nous en avons besoin en cuisine. En attendant, me permettriez-vous d'admirer l'énorme poisson que vous avez là ?
MADAME MARÉE. - Faites donc, Monsieur De Bel Air ; faites-donc.
MONSIEUR DE BEL AIR. -(Devant le gros poisson, à son épouse). Vous voyez, chérie, on dirait un mérougator.
MADAME DE BEL AIR. - Un mérougator ? En êtes-vous sûr, mon cher époux ? Personnellement, je pencherais plutôt pour un allimérou.
MONSIEUR DE BEL AIR. - Dans tous les cas, c'est un fort beau poisson. (Il sort avec sa femme.)
(Monsieur et Madame Tignasse entrent, précédés de leurs enfants.)
MONSIEUR TIGNASSE. - Allez jouer, les enfants. Votre mère et moi avons à discuter.
MADAME TIGNASSE. - Oui, c'est ça, allez voir de près le gros poisson dont nous parlé Madame Argol. (Les enfants vont à côté du poisson. Monsieur et Madame Tignasse sortent.)
PREMIER GARCON. - Qu'il est beau !
PREMIÈRE FILLE. - Oui, mais il me fait peur. J'ai la chair de poule à le regarder.
DEUXIÈME GARCON. - Avec moi, tu n'as rien à craindre. (Monsieur Boitsanssoit arrive sur le côté de l'écran et regarde la scène.)
DEUXIÈME FILLE. - Tu en sûr ? (Le gros poisson sort du bac et avale les quatre enfants. Monsieur Boitsanssoif sort.)
MONSIEUR CLASSE, entrant, à Madame Marée. - Bonjour, Madame Marée. Vous n'auriez pas vu les deux garçons Tignasse ? Ils ne sont pas à l'école et le maître m'a demandé de les retrouver.
MADAME MARÉE. - Ils viennent juste de regarder mes poissons. Ils ont dû faire l'école buissonnière, les polissons. Si je les vois, je vous les enverrai tout de suite et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
MONSIEUR CLASSE. - Je vous en serai reconnaissant. Au revoir, Madame Marée.
MADAME MARÉE. - Au revoir, Monsieur Classe et bien le bonjour chez vous. (Monsieur Classe sort, Madame Ecole entre.)
MADAME ÉCOLE. - Bonjour, Madame Marée. N'auriez-vous pas vu les petites Tignasse, s'il vous plaît ?
MADAME MARÉE. - Oui, elles ont regardé les poissons avec leurs frères et je ne les ai plus revues.
MADAME ÉCOLE. - Si vous les voyez, pourriez-vous les envoyer à l'école ?
MADAME MARÉE. - Je n'y manquerai pas, soyez-en sûre.
MADAME ÉCOLE. - Je vous en remercie par avance. Au revoir, Madame Marée.
MADAME MARÉE. - Au revoir. (Madame École sort.)
GENDARME. - (Il entre avec Monsieur Boitsanssoif.) Madame Marée, veuillez nous suivre, vous êtes en état d'arrestation. Au nom de la loi, je vous arrête.
MADAME MARÉE. - Ah oui, Monsieur le Gendarme, et pourquoi ? Puis-je savoir ce qu'on me reproche ?
GENDARME. - Madame, je vous arrête pour le motif que vous avez, sur la voix publique, jeté un monstre qui dévore les enfants.
MADAME MARÉE. - Quel monstre ? Quels enfants ? De quoi me parlez-vous ?
BOITSANSSOIF. - J'ai... j'ai... j 'ai... tou bu ! euh... non... tout vu.
MADAME MARÉE. - Alors là, Monsieur le Gendarme, si c'est Monsieur Boitsanssoif votre témoin, laissez-moi douter de l'accusation.
BOITSANSSOIF. - Les petits Tignasse ont été avalés par votre Arlequin... je veux dire : par votre requin.
MADAME MARÉE. - Voyons, Monsieur le Gendarme. Monsieur Boitsanssoif a dû encore avoir une hallucination. Vous savez bien qu'à partir de dix heures du matin, il n'a plus la vue ni les idées claires. Comment un poisson mort pourrait-il avaler des enfants ? Allez au moins vérifier s'ils sont dans son ventre avant de m'accuser.
GENDARME. - C'est d'accord, madame Marée. Depuis le temps que l'on se connaît, je vous dois bien ça. Monsieur Boitsanssoif, venez avec moi. (Ils passent derrière Madame Marée et s'approchent du poisson.) Bon, voilà la bête. Alors, on fait comme ça : je lui écarte les mâchoires et vous regardez à l'intérieur. Vous êtes prêt ? (Le poisson sort du baquet et les avale.)
MADAME MARÉE. - Il n'y a plus de bruit ? Ils sont partis, ces deux là ? C'est qu'ils sont bien gentils mais je n'ai pas que ça à faire, moi. (Elle crie.) Il est beau, mon poisson, il est beau !
FIN