THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

LA PIERRE QUI CHANTE

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52502312g?rk=150215;2

La pierre qui chante, theatre d`ombres, ombres chinoises, theatre du chat noir

Poème et musique de Georges Fragerolle


Dessins de Louis Martin


PLACE DE LA CONCORDE

Un passant attardé place de la Concorde,
À l'Obélisque blanc dit, en forme d'exorde :

« Si la pierre savait parler, se souvenir
Et de quelques mille ans pouvait se rajeunir,
Quel passé merveilleux revivrait dans ton rêve ! »
Une voix s'entendit qui disait : « Ô fils d'Ève,
Comme elle curieux, un seul instant poursuis ;
Et de plus loin regarde au pays des étoiles.
Devant toi vont passer à l'horizon sans voiles,
Les claires visions qui bercent mes ennuis !


LE TEMPLE DE LOUQSOR

Je suis aussi vieux que le monde !
Dans la solitude profonde,
Où je dormais sous terre, enseveli,
Un roi, jaloux de sa mémoire,
Me mit debout pour que ma gloire

Le défendit contre l'oubli.
Un temple dressait sa muraille ;
Auprès d'un géant de ma taille ;
On me tourna vers l'Orient vermeil,
Depuis ce temps, mon front fidèle
Reçut à chaque aube nouvelle
Les premiers baisers du soleil.


LES PRÊTRESSES

Quand le Nil débordé, de nos plaines fécondes
Faisait un lac d'azur où se heurtaient les ondes,
Sous les grands astres d'or

On entendait passer sur leurs barques légères
De la belle déesse, aimables messagères
Les prétresses d'Athor.
En un rythme alangui, sous le ciel taciturne,
Elles chantaient Isis, la déesse nocturne,
Dont le disque amoureux
De ses rayons d'argent, célestes émissaires,
Apportait aux mortels l'oubli de leurs misères
Et les songes heureux !


DANS LES RUINES.

Pharaons hautains, trop longtemps la gloire
Suivit vos drapeaux merveilleux !
Les barbares venus affirment leur victoire
En renversant le temple des aïeux.

Tout n'est autour de nous que ruines, décombres ;
Sous les rochers épars, dans les cavernes sombres,
Les dieux gisent brisés.
Mais les hordes en vain ont pris nos fronts pour cibles,

Nous demeurons debout et témoins impassibles
De la splendeur des temps passés !


LES MOINES

Dans l'oubli profond, sous les grandes voûtes,
Où vivaient en paix, en l'ardent midi
Reptiles craintifs, lions aux écoutes,
Un hymne nouveau soudain retentit.

Ce n'est plus la voix de vierges plaintives,
Ni les chants pareils à de longs sanglots

Des prêtres Thébaïdes cherchant sur les rives
Le corps d'Osiris bercé par les flots.
De grands moines blancs d'allure sévère,
Fuyant les plaisirs du monde pervers
Célèbrent un Dieu qui, sur le Calvaire,
En mourant, bénit l'immense univers.


LES CONQUÉRANTS

Et les siècles toujours s'écoulent
Comme un songe,
Sous les yeux éblouis, le cortège s'allonge

De ceux de Mahomet : leur galop sur le sol
Semblerait devancer l'hirondelle en son vol.

Puis ce sont les croisés qui, Saint Louis en tête,
Sont venus débarquer au port de Damiette.
Prêts à chercher la mort dans le désert en feu.

Ils parlent fièrement au cri de : « Dieu le veut ! »
C'est Bonaparte enfin, et l'Orient tressaille,
Car l'Occident vengeur, pour livrer la bataille,

Sur les rives du Nil, inutiles remparts,
Ne déploya jamais de plus fiers étendards.


LE DÉPART

Parmi les dieux défunts, les sphinx mystérieux,
J'aurai dormi du moins au pays des aïeux !

Comme au premiers jours de mon ère.
Je suis étendu sur la terre.
Plus tard, couché sur un vaisseau,
Suivant le Nil au fil de l'eau !
Mais, hélas, bientôt le rivage

Se fond au loin comme un nuage
Et dans le soir silencieux
Ce n'est plus que l'onde et les cieux !


SUR LA TERRE D'EXIL

Et je suis l'ornement d'une ville nouvelle
Dont le triste horizon désormais me révèle
Un destin sans espoir !
Le soleil a de blancs rayons, la lune même
Cache le plus souvent son pâle diadème
Dans les brumes du soir.
Qu'importe ! En vain, dans ce monde éphémère,

L'homme d'un jour s'agite et délibère.
De ce qui fut écrit rien n'arrête le cours.

J'ai vu sombrer l'Égypte et s'embellir Lutèce ;
Mais, dans mon dur granit, ma constante jeunesse
À tout ce qui naîtra doit survivre toujours !


LA MORT DE PARIS

La reine des cités que le Temps aiguillonne,
Au néant rejoindra Ninive et Babylone,
Et Thèbes l'orgueilleuse et la douce Memphis !
On verra s'abîmer, par une loi fatale,
Le temple, le palais et la tour triomphale
Qu'aux ancêtres dressa la vanité des fils !


LA PIERRE ÉTERNELLE

Et la lune sereine, en un ciel sans nuage,
Brillera chaque nuit sur ce champ de carnage
Où tant d'orgueil et tant de gloire dormiront,
Tandis que, chaque jour, quand renaîtra l'aurore,
Soleil régénéré, tu paraîtras encore
Pour éclairer mon front ! »


FIN






 
 



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