THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

LE  SAVETIER


Paul EUDEL

domaine public



http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5742529m.r=les+ombres+chinoises+de+mon+pere.langFR
 

PERSONNAGES :



http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5742529m.r=les+ombres+chinoises+de+mon+pere.langFR

Le savetier, une bouteille à la main.

Sa femme, armée d'un balai.


 

SCÈNE I


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5742529m.r=les+ombres+chinoises+de+mon+pere.langFR
 

JACQUOT (tenant en main une bouteille. Il entre en chantant).

Le vin de Bourgogne
Met la bonne humeur

Au cœur.
Pour faire vigogne,
Il faut cet' liqueur.

La peur, la tristesse,
Le profond chagrin :
Enfin,
Tout mal bientôt cesse.
En buvant ce vin.

Le vin de Bourgogne
Met la bonne humeur
Au cœur
Pour faire vigogne
Il faut cet' liqueur.

     (Il braille à tort à travers.)

Ô nuit ! Ô nuit ! Protège mon orgie.
Bacchus ! Bacchus! Daigne me secourir.
Le vin de Bourgogne, etc. (Jusqu'au mot « liqueur ».)

     Par ma foi, c'est assez chanté pour boire un coup (il boit). Prenons un peu d'haleine... En tous cas, va rien d' pressé, quand l'ouvrage est fait... Au surplus : oust, pour les savates ; c'est aujourd'hui lundi (il boit). J'avons mangé c' matin du p'tit lard qu'était salé comme tous les diables ; j' suis d'puis t'a vider les bouteilles et, jarnigué, j' sens toujours là queuqu' chose qui m' dit : mon ami Jacquot, t'as soif (il boit). Allons morbleu i' n' faut pas engendrer pour ça d' mélancolie ! (il chante comme précédemment).


 

SCÈNE II


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5742529m.r=les+ombres+chinoises+de+mon+pere.langFR
 

MADELON. JACQUOT.


 

MADELON (armée d'un balai). - Ah ! te voilà, chien d'ivrogne !... Toujours en bamboche !... Au lieu de rester à la maison faire tes savates.

JACQUOT. - Je vous ai dit, ma femme, et je vous dis encore, que je suis maître de travailler ou de boire comme il me plaît.

MADELON. - Et je te dis, moi, que je veux que tu vives à ma fantaisie, et que je ne suis pas mariée avec toi pour souffrir tes fredaines.

JACQUOT. - Oh! la grande fatigue, que d'avoir une femme ! et qu'Aristote a bien raison, quand il dit qu'une femme est pire qu'un démon !

MADELON. - Voyez un peu l'habile homme, avec son benêt d'Aristote !

JACQUOT. - Oui, habile homme. Trouve-moi un savetier qui sache comme moi, raisonner des choses, et qui ait su, dans son jeune âge, sa grand mère par cœur.

MADELON. - Ta grand-mère t'a-t-elle dit d'aller au cabaret, mauvais sujet, gueux d' mauvais sujet ?

JACQUOT. - Devriez-vous me parler de la sorte, ma femme: vous êtes trop heureuse de m'avoir pour votre mari.

MADELON. - Qu'appelles-tu bien heureuse de t'avoir ? Un homme qui me réduit à l'hôpital, un débauché, un traître, qui me mange tout ce que j'ai...

JACQUOT. - Tu as menti, j'en bois une partie.

MADELON. - Qui me vend, pièce par pièce, tout ce qui est dans le logis !...

JACQUOT. - C'est vivre de ménage.

MADELON. - Qui m'a ôté jusqu'au lit que j'avais !...

JACQUOT. - Tu t'en lèveras plus matin.

MADELON. - Enfin, qui ne laisse aucun meuble dans la maison !

JACQUOT. - On en déménagera plus aisément.

MADELON. - Et qui, du matin jusqu'au soir, ne fait que jouer et boire !...

JACQUOT. - C'est pour ne me point ennuyer.

MADELON. - Et que veux-tu, pendant ce temps, que je fasse avec ma famille ?...

JACQUOT. - Tout ce qu'il te plaira.

MADELON. - J'ai quatre pauvres petits enfants sur les bras.

JACQUOT. - Mets-les à terre.

MADELON. - Qui me demandent à toute heure du pain.

JACQUOT. - Donne-leur le fouet : quand j'ai bien bu et bien mangé, je veux que tout le monde soit saoul dans ma maison.

MADELON. - Et tu prétends, ivrogne, que les choses aillent toujours de même...

JACQUOT. - Ma femme, allons tout doucement, s'il vous plaît.

MADELON. - Que j'endure éternellement tes insolences et tes débauches ?...

JACQUOT. - Ne nous emportons point, ma femme.

MADELON. - Et que je ne sache point trouver le moyen de te ranger à ton devoir ?

JACQUOT. - Ma femme, vous savez que je n'ai pas l'âme endurante, et que j'ai le bras assez bon.

MADELON. - Je me moque de tes menaces.

JACQUOT. - Ma petite femme, ma mie, votre peau vous démange, à votre ordinaire.

MADELON. - Je te montrerai bien que je ne te crains nullement.

JACQUOT. - Ma chère moitié, vous avez envie de me dérober quelque chose.

MADELON. - Crois-tu que je m'épouvante de tes paroles !...

JACQUOT. - Doux objet de mes vœux, je vous frotterai les oreilles.

MADELON. - Ivrogne que tu es !...

JACQUOT. - Je vous battrai.

MADELON. - Sac à vin !

JACQUOT. - Je vous rosserai.

MADELON. - Infâme !

JACQUOT. - Je vous étrillerai.

MADELON. - Eh bien ! c'est moi qui vais t'étriller, traître ! Insolent ! Trompeur ! Lâche ! Coquin ! Pendard ! Gueux ! Fripon ! Maraud ! Voleur ! assassin... (elle le bat.)


 

fin en theâtre d`ombres chinoises silhouettes


 

 
 



Créer un site
Créer un site