FLEUR - D'IRIS. - Vous évader !... Mais que dira mon oncle !... Il me battra !
JEAN. - Vous battre !... il oserait !... Eh bien ! je vous enlève... Je vous mettrai sous la protection des baïonnettes françaises... et si j'ai un bon conseil à donner à votre oncle, c'est de ne pas s'y frotter !...
FLEUR - D'IRIS. - Comment faire ?
JEAN. - J'ai une idée... (À ce moment, on entend en sourdine une musique foraine dans le lointain)... Mais voici quelqu'un, allons causer dans le palais... Nous serons plus tranquilles... (Ils sortent à droite).
SCÈNE VI
LI - POU, PANCRACIO
(Ils entrent ensemble ; musique en sourdine pendant toute la scène).
LI - POU. - Mais enfin qui êtes-vous ?
PANCRACIO, fort accent italien. - Qui zé souis ? qui zé souis ? Eh ! per baccho, est-ce oune insoulte, dites-moi ? Comment vous ne connaissez pas l'illoustrissimé signor Pancracio Della Fiore de Firenze... lé direttore dou cirqué lé plous grand, lé plous extraordinaire, lé plous mirobolant, zé né dis pas dé la terré, signor mandarino, zé dis dou firmament !...
LI - POU. - De quel pays êtes-vous ?
PANCRACIO, allant et venant. - Dé quel pays zé souis ? Zé souis dé tous les pays. Zé souis natouralisé Chinois, Japonais, Arabe, Américain, Espagnol et même Lounatique... car, signor mandarino, zé souis allé partout, même dans la Louné !...
LI - POU. - Et que venez-vous faire ici ?
PANCRACIO, allant et venant. - Ce qué zé viens faire, povero... Il mé demandé cé que zé viens faire. Et, per baccho ! zé viens montrer mon cirque à l'emperor... Mais avant, zé mé souis dit : "Il y a dans lé céleste empiré oune hommé éminent par sa sciencé, qui dépassé tous les autres par son mérité, c'est à céloui-là que zé montrérai d'abord mes phénomènes... et cet homme, c'est l'illoustrissimé mandarino Li-Pou... ici présent.
LI - POU, flatté. - Hum !... Soit... Et quand me ferez-vous voir toutes ces merveilles ?...
PANCRACIO. - Mais, signoré, tout dé souité...
LI - POU. - Eh bien ! je monte là-haut sur mon balcon, pendant que vos artistes vont défiler...
PANCRACIO. - Zé souis à vos ordres... Ohé ! (Il se retourne). En avant, la mousiqué ! (Li-Pou monte à droite sur son balcon).
SCÈNE VII
LES MEMES, DÉFILÉ DU CIRQUE
(Pancracio se place à gauche, tout à fait à l'extrémité de la scène. Le piano attaque forte la marche foraine très banale. Défilé du cirque. Quand la fanfare s'éloigne, le piano joue en sourdine, pour reprendre plus fort à l'entrée de la musique chinoise).
PANCRACIO. - Illoustrissimé signor mandarino Li-Pou, j'ai l'honor dé vous présenter en prémier lieu la célébré fanfaré dirigée par lé professor Fanfullo, dou conservatoiré dé Poitiers, en Amériqué... Ellé joue tous les airs connus ou inconnus, sans savoir ouné noté dé mousiqué. C'est prodigious. Rendez-vous compté... Vient ensouité la grandé ménagérie, la perlé dou cirqué... Le signor qui condouit l'âne est lé famous Pinadella, qui toue oun taureau d'oune chiquénaudé, c'est l'homme lou plous fort qué l'on connaisse... Vient ensouité l'hommé des bois, lé diamant dou cirqué... Il parlé l'espagnol et écrit lé javanais commé vous et moi... Vient ensouité lé fils de l'homme des bois, qui sauté à la corde sour oun chéval ; vient ensouité l'homme à l'envers, qui a fait lé tour dou mondé sour ses mains, et qui dépouis né sait plus sé serviré dé ses pieds. Voici maintenant lé jongleur dé Java qué j'ai vou jongler dans la Louné avec trois étoilés, Mars, Vénous et Satourné... Il recommencéra, si on lui fournit les étoilés ; le grand éléphant blanc ; lé plous blanc que l'on connaissé, ainsi qué vous pouvez jouger ; voici maintenant l'hommé lé plous grand des cinq parties dou mondé, l'hommé à deux têtés et à quatre pattés, et la plous bellé collection, pour finir, d'animaux savants, oun âné, oun cochon, oun singe, trois chiens... conduits par lou signor Augousté, et oun ours qui dansé lé rigaudon...
LI - POU. - Vous dites qu'il danse le rigaudon ?...
PANCRACIO. - Lou rigaudon, la pavané, lé ménouet, la matélotte, lé caké-walk... toutes les danses les plous élégantes... Enfin, voici la mousiqué chinoisé qui va avoir l'honor de vous donner oun aubadé et de jouer dévant vous l'hymné national chinois... Attention ! la mousiqué... Oune, dous, trois, qouatré !
(Le piano joue "J'ai du bon tabac").
Et maintenant, c'est pour avoir celoui dé vous rémercier...
LI - POU. - Attendez ! attendez ! seigneur Pancracio, j'ai deux mots à vous dire !
PANCRACIO. - Zé souis à vos ordres... (Li-Pou disparaît de son balcon).
SCÈNE VIII
PANCRACIO, seul. - Maintenant nous voilà dans la placé, il s'agit d'en profiter.
SCÈNE IX
PANCRACIO, LI - POU
LI - POU. - Vous m'avez bien dit que votre ours dansait le rigaudon ?...
PANCRACIO. - Lou rigaudon, la pavané, lou ménouet, la...
LI - POU. - Le rigaudon me suffit... Je vous l'achète !...
PANCRACIO. - Vous m'achetez mon ours !... Mais il n'est pas à vendré !...
LI - POU. - Ça m'est égal !...
PANCRACIO. -Mais non, non, non, non... Jé né veux pas lé vendré !...
LI - POU. - Si vous ne me le vendez pas, je vous fais couper le cou !...
PANCRACIO. - Bigré ! vous êtes expéditif, en Chine... Jé démandé à réfléchir !...
LI - POU. - Mais...
PANCRACIO, sortant à droite. - Pardon, pardon, jé démandé à réfléchir !...
LI - POU. - Permettez !... Permettez !... (Il sort à la suite).