THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

LE CHAT, LA BELETTE ET LE PETIT LAPIN

par Mesdemoiselles AUROY
1930

domaine public

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8887770/f113.image

PERSONNAGES :
JEANNOT LAPIN,

DAME BELETTE,
RAMINAGROBIS, le chat.

La scène représente un champ. Au premier plan, le terrier du Lapin.

chat en théâtre d`ombres chinoises silhouette marionnette animal
Dover publications inc.

JEANNOT LAPIN, sortant de son terrier. - Qu'il fait beau ce matin ! Je vais aller faire un petit tour, et je déjeunerai en broutant le thym et le serpolet embaumés.

(Il gambade et chante. Air : Sur le pont d'Avignon).

           Dans les champs,
           Au printemps,

           On y danse (bis)
           En chantant.
           On gambade comme ci
           On se roule comme ça !
     Mais, si j'allais dans le bois ? On y trouve des fleurs plus parfumées encore. J'y cours ! (Il sort).

DAME BELETTE, entrant, voix pointue. - Ma maison a été démolie par l'orage. Je cherche un trou où je puisse demeurer. Tiens, un terrier ! Si le maître du logis n'est pas là, je vais m'installer. (Appelant). Quelqu'un ? Quelqu'un ?... Non, personne... Quelle chance ! Allons voir jusqu'au fond du terrier. (Elle revient sur le seuil). Ce logis me plaît. Il est bien abrité des vents. J'y dormirai à mon aise.

JEANNOT LAPIN, qui revient. - Délicieuses, ces fleurs des bois ! Et maintenant, je vais rentrer. Mais... que vois-je ? Quelqu'un chez moi ! On dirait dame Belette. Ma parole, c'est bien son museau pointu ! C'est trop fort ! (S'approchant). Que faites-vous chez moi, dame Belette ?

DAME BELETTE, pointue. - Comment, chez vous ? Je suis... chez moi !

JEANNOT LAPIN. - Vous riez, dame Belette ! Allons, sortez d'ici bien vite.

DAME BELETTE. - Je ne sortirai pas. Je vous dis que je suis chez moi.

JEANNOT LAPIN. - Prenez garde, dame Belette ! Je connais tous les rats de ce pays, je vais les appeler et ils sauront bien vous faire déguerpir.

DAME BELETTE. - Jeannot Lapin, ce trou est à moi. Il n'y avait personne quand je suis entrée, je suis installée, j'y reste ! Vraiment, voilà bien du tapage pour un pauvre petit terrier de rien du tout, un terrier bien trop petit pour vous. Il faut que vous vous aplatissiez pour passer.

JEANNOT LAPIN. - Mais, c'est la maison de mon père, dame Belette. Et avant d'être à mon père, elle était à mon grand-père. Moi, j'y suis né.

DAME BELETTE. - Ce n'est pas une raison.

JEANNOT LAPIN. - Mais si, dame Belette, vous savez bien que c'est l'usage. (Se mettant en colère). Puisque vous ne voulez pas me rendre ma maison, c'est bon, je vais aller chercher les rats.

     (Il chante. Air : Marie trempe ton pain).

           Ma maison,
           Je veux ma maison,
           Belette, il faut me la rendre ;
           Ma maison,
           Rends-moi ma maison,
           Ou bien les rats te mangeront.

DAME BELETTE. - Écoutez, Jeannot Lapin, nous ne pouvons pas nous mettre d'accord ? Je connais un gros chat, très, très malin. Nous allons lui raconter notre affaire et il dira qui de nous deux a raison.

JEANNOT LAPIN. - Je veux bien dame Belette. Et si ce gros chat dit que la maison est à moi, vous me la rendrez ?

DAME BELETTE. - C'est entendu. Appelons-le, il n'est pas loin, je l'ai aperçu tout à l'heure. (Appelant). Raminagrobis ! Raminagrobis !

RAMINAGROBIS, le chat, entrant ; très doux. - Me voilà, mes enfants, mes chers petits enfants. Que me voulez-vous ?

JEANNOT LAPIN. - Dame Belette m'a pris mon terrier, pendant que j'étais au bois, elle ne veut pas me le rendre. N'est-ce pas que le trou est à moi, puisque c'était la maison de mon père ?

DAME BELETTE. - Mais, Raminagrobis, il n'y avait personne dans le trou, personne ! D'ailleurs, ce terrier est bien trop petit pour un lapin, il est juste assez grand pour une belette.

JEANNOT LAPIN. - Je veux ma maison !

RAMINAGROBIS, très doux. - Mes enfants... je suis vieux... je suis un peu sourd. Approchez, approchez encore. Viens plus près Jeannot, et toi aussi, dame Belette. (Le lapin et la belette s'approche du chat. Il donne un coup de patte à droite et à gauche. Jeannot et dame Belette tombent). Tiens ! Tiens ! cette fois, vous voilà d'accord !
     (Il chante. Air : La mère Michel).
     Que vous avez bien fait, ô jeunes étourdis,
     De prendre comme juge Raminagrobis.
     Je ferai ce matin
     Un délicieux festin,
     En te croquant, Belette, et toi petit Lapin,
     Sur l'air du tra la la la, (bis)
     Sur l'air du tra dé ri dé ra et tra la la.

RIDEAU
 


LE CHAT, LA BELETTE ET LE PETIT LAPIN

Du palais d'un jeune Lapin
Dame Belette un beau matin
S'empara ; c'est une rusée.
Le Maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
Elle porta chez lui ses pénates un jour
Qu'il était allé faire à l'Aurore sa cour,
Parmi le thym et la rosée.
Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,
Janot Lapin retourne aux souterrains séjours.
La Belette avait mis le nez à la fenêtre.
« Ô Dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ?
Dit l'animal chassé du paternel logis :
Ô là, Madame la Belette,
Que l'on déloge sans trompette,
Ou je vais avertir tous les rats du pays. »
La Dame au nez pointu répondit que la terre
Était au premier occupant.
C'était un beau sujet de guerre
Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant.
« Et quand ce serait un Royaume,
Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi
En a pour toujours fait l'octroi
À Jean fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
Plutôt qu'à Paul, plutôt qu'à moi. »
Jean Lapin allégua la coutume et l'usage.
« Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis
Rendu maître et seigneur, et qui de père en fils,
L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis.
Le premier occupant est-ce une loi plus sage ?
- Or bien, sans crier davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis. »
C'était un chat vivant comme un dévot ermite,
Un chat faisant la chattemite,
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean Lapin pour juge l'agrée.
Les voilà tous deux arrivés
Devant sa majesté fourrée.
Grippeminaud leur dit : « Mes enfants, approchez,
Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause. »
L'un et l'autre approcha ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu'à portée il vit les contestants,
Grippeminaud le bon apôtre
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois
Les petits souverains se rapportant aux Rois.


 

Jean de LA FONTAINE



 

 
 



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