LES DEUX MULETS
par Mesdemoiselles AUROY
1930
domaine public
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8887770/f125.image
PERSONNAGES :
PREMIER MULET,
DEUXIÈME MULET,
DEUX VOLEURS.
(La scène représente un sentier à travers champ. Dans le fond, le sentier grimpe la colline. Le premier mulet, chargé de sacs d'or, entre lentement. Le deuxième mulet, chargé d'avoine, vient ensuite et rattrape son camarade. Ils s'arrêtent au milieu de la scène. Le piano joue une marche).
DEUXIÈME MULET. - Hé ! Bonjour, camarade ! Tu parais bien chargé ? Que portes-tu donc là ?
PREMIER MULET. - Tu veux savoir ? Ces sacs sont remplis d'or ! Mon maître a reçu de grosses sommes et je transporte toute cette fortune.
DEUXIÈME MULET. - Mais dis-moi, camarade, ce doit être bien lourd de l'or ?
PREMIER MULET. - Ah ! oui, très, très lourd ! Et toi, que portes-tu ?
DEUXIÈME MULET. - Moi, je porte des sacs d'avoine chez mon maître, le meunier du Moulin-Joli. Ce n'est pas très lourd, tu sais. Aussi, veux-tu, camarade, que je t'aide à porter quelques-uns de tes sacs pour monter la colline ?
PREMIER MULET. - Ah ! pauvre âne de meunier, comment oses-tu me proposer une chose pareille ? Je suis fier de transporter un trésor. Pas un âne sur terre ne porte une charge si belle.
DEUXIÈME MULET. - Comme tu voudras, camarade, mais tu as tort d'être si fier.
(Ils commencent à gravir la colline. Le piano joue la marche du début. Deux voleurs entrent et se concertent).
PREMIER VOLEUR - Je te dis que j'ai vu cet homme entasser toutes ses pièces d'or dans des sacs, et il a chargé ces sacs sur le dos de son âne. Tâchons de retrouver l'âne, nous aurons le trésor.
DEUXIÈME VOLEUR. - Et tu es bien sûr que l'âne a suivi cette route ?
PREMIER VOLEUR. - J'en suis sûr. Tiens, je l'aperçois qui monte la colline. Courons, courons !
LES VOLEURS. - Arrête, bourriquet ! Arrête , ou gare les coups de trique !
(Les voleurs tirent le mulet qui déroule la pente et revient ainsi au premier plan).
PREMIER VOLEUR. - Vite, emportons les sacs.
PREMIER MULET. - Hi-han ! hi-han ! Au secours !
LES VOLEURS, frappant l'âne à coups de bâton. - Maudit bourriquet, nous allons bien te faire taire. Pan ! Pan ! Pan ! Et maintenant, courons.
(Ils sortent, emportant les sacs).
PREMIER MULET. - Hi-han ! hi-han ! Au secours ! Au secours !
DEUXIÈME MULET, caché pendant la dernière scène, reparaissant. - Mon pauvre camarade, que t'ont fait ces bandits.
PREMIER MULET. - Ils m'ont assommé de coups. Ah ! je suis bien malade ! Il me semble qu'ils m'ont brisé les os. Je ne peux plus bouger.
DEUXIÈME MULET. - Courage, mon pauvre ami. Essaye de te relever, tiens-toi bien contre moi. Là ! Nous allons marcher tout doucement jusqu'au village pour chercher du secours. Ah ! il aurait mieux valu cent fois que tu fusses, comme moi, l'âne d'un meunier ; tu ne serais pas si malade ! Ce sont ces malheureux sacs d'or qui ont attiré les voleurs. Mais, prends patience, camarade, on va bien te soigner et tu guériras.
(Ils s'éloignent, l'un soutenant l'autre, pendant que le piano joue une marche lente).
RIDEAU
Deux Mulets cheminaient, l'un d'avoine chargé,
L'autre portant l'argent de la Gabelle.
Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchait d'un pas relevé,
Et faisait sonner sa sonnette :
Quand l'ennemi se présentant,
Comme il en voulait à l'argent,
Sur le Mulet du fisc une troupe se jette,
Le saisit au frein et l'arrête.
Le Mulet, en se défendant,
Se sent percer de coups : il gémit, il soupire.
"Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avait promis ?
Ce Mulet qui me suit du danger se retire,
Et moi j'y tombe, et je péris.
- Ami, lui dit son camarade,
Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut Emploi :
Si tu n'avais servi qu'un Meunier, comme moi,
Tu ne serais pas si malade. "
Jean de LA FONTAINE