Ombres chinoises en quinze tableaux
Ombres et poème de Lucien Métivet
Musique de Jeanne VIEU
1904
ORDRE DES TABLEAUX
Prélude
I. LE JARDIN
II. LA LAMPE MERVEILLEUSE
III. LA MAISON D'ALADIN
IV. LE GÉNIE
V. FESTIN
VI. SUR LE PONT DE BAMBOU
VII. LA PRINCESSE
VIII. SÉRÉNADE D'ALADIN
IX. LA COUR DU FILS DU CIEL
X. LES TRÉSORS D'ALADIN
XI. LES MANDARINS
XII. FÊTE DE NUIT
XIII. LE PALAIS FÉERIQUE
XIV. LA BARQUE JOYEUSE
XV. LE POÈTE
Prélude
Ombres chinoises et Chinois de paravent
Voici sur quoi notre rideau va se levant.
Le long de cet écran des ombres fugitives
Devant vos yeux vont donc passer et repasser ;
Vous verrez des palais aux vastes perspectives
S'édifier soudain et soudain s'effacer.
La Chine est le pays des châteaux en Espagne !
Pays mystérieux, pour le rêve inventé ;
Tandis que doucement la musique accompagne
Le conte d'Aladin va vous être chanté.
Trois coups de gong ! pour que personne ne s'endorme.
Admirons un jardin magnifique, où les fleurs
Sont de purs diamants d'une grosseur énorme.
Les fruits mirobolants, de toutes les couleurs,
Vaudraient certainement trois millions la livre :
Ce ne sont que rubis, topazes et saphirs.
Sur un socle se dresse une lampe de cuivre
Dont la flamme vacille au souffle des zéphyrs.
II. LA LAMPE MERVEILLEUSE
Or, voici qu'Aladin franchit la porte ronde,
Morne, triste, morose, il est tout seul au monde,
Beau comme un jeune dieu, mais plus pauvre je crois,
Que ne l'eût été Job, s'il eût été Chinois.
Ah !... Ah !... Ah !... Aladin !... Aladin !... Aladin !...
Est-ce le chant des brises caressantes ?
Le murmure léger des feuilles frémissantes ?
Est-ce la voix des fleurs, au magique jardin ?
Ah !... Ah !... Ah !... Aladin !... Aladin !... Aladin !...
Fuis-tu la Douleur ? Cherches-tu le Bonheur ?
Je suis la lampe merveilleuse !
Qui me possédera
En un instant verra
Tous vœux réalisés,
Toutes peines finies,
Sera plus puissant qu'un dieu.
J'ai pour esclaves les génies
De la Terre et de l'Air, des Ondes et du Feu.
Aladin !... Aladin !...
Est-ce la voix des fleurs au magique jardin ?
Aladin !... Aladin !... Aladin !...
III. LA MAISON D'ALADIN
Bravement, Aladin prend la lampe et l'emporte.
Dans son humble maison le voici revenu.
Que triste est le logis et que le mur est nu !
Des fenêtres, beaucoup, mais pas du tout de porte...
On y gèle l'hiver, on y rôtit l'été ;
Le toit laisse passer tous les vents en colère
Et le maigre repas, sur la table apprêté,
C'est un peu de pain noir, bien dur, et de l'eau claire.
— Ô lampe, je vais voir si je suis plus puissant
Que ne le fut jamais empereur de la Chine,
Dit Aladin. — Parais, génie obéissant
Auquel sont dévolus les soins de la cuisine...
Je veux boire à ma soif et manger à ma faim.
— Boum ! répond le génie.
V. FESTIN
À la même seconde
Sur la table est servi, dans un couvert d'or fin,
Le dîner le plus riche et le plus beau du monde.
Et quel menu ! du riz à gros et petits grains,
Ailerons de requins avec nids d'hirondelles,
Poissons, pâtés de rats, gâteaux de tous modèles,
Du thé comme on n'en boit que chez les mandarins,
Salade à l'huile de ricin, oh ! quelle joie !
Et pour finir, des chiens farcis de vers à soie.
Mais vous comprendrez tous aisément, n'est-ce pas,
Que l'on prenne un peu l'air après un tel repas :