THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

ARLEQUIN. - Sangodémi, mon luron, est-ce que tu vas encore recommencer tes impertinences ? Sais-tu bien que je n'ai pas de temps à perdre ? Que voilà encore des gaillards qu'il faut que j'interroge avant d'aller dîner et que j'ai faim ? Allons, ton nom, tout-à-l'heure !

LA  RECRUE. - Mais, mon capitaine, comme vous avez donc l'oreille dure, je vous le dis, Ça-m'est-égal.

ARLEQUIN. - Hé, pourquoi ça t'est-il égal, animal ?

LA  RECRUE. - Comment pourquoi ? Parce que c’est mon nom.


ARLEQUIN. - Ça-m’est-égal, c'est ton nom ?

LA  RECRUE. - Oui, mon capitaine, mon nom de guerre.

ARLEQUIN. - Et ton nom de famille, Qu'est-ce-que-ça vous-fait ?

LA RECRUE. - Sans doute, mon capitaine, vous les savez tous les deux à présent.

ARLEQUIN. - Hé bien, que le bon Dieu te patafiole ! Puisqu’il en est ainsi, va faire inscrire ces beaux noms-là par mon lieutenant ; car moi j'ai la colique rien qu'à les entendre. Allons, va-t-en et envoie-moi tes camarades.

LA RECRUE. - Oui, mon capitaine (en sortant, à la cantonade). Allons, toi, va parler au capitaine.

SCÈNE  III.

 

Arlequin et deuxième recrue.

lutteur homme karagoz en théâtre d`ombres ombres chinoises marionnettes silhouettes

la recrue

 

LA RECRUE. (Il parle très vite .) - Bonjour, mon capitaine.

ARLEQUIN. - Comment t'appelles-tu ?


LA RECRUE. - Je m'appelle Comme-vous.

ARLEQUIN. - Voilà une plaisante rencontre, par exemple ! Est-ce que tu sais mon nom ?

LA  RECRUE. - Non, mon capitaine.

ARLEQUIN. - Eh bien, animal, si tu ne fais pas mon nom, pourquoi dis- tu que tu t'appelles comme moi ?

LA  RECRUE. - Je ne dis pas Comme-moi ; je dis Comme-vous.

ARLEQUIN. - Cette bête, qui me donne un démenti encore ! Je m'appelle Arlequin, tu t'appelles donc Arlequin aussi, toi ?

LA  RECRUE. - Non, certainement, que je ne m'appelle pas Arlequin, puisque je m'appelle Comme-vous.

ARLEQUIN. - Ah ! Çà, voyez, s'il ne me ferait pas donner au diable ! Il s'appelle comme moi, et il ne veut pas s'appeler Arlequin.

LA RECRUE. - Mais, encore une fois, je ne dis pas Comme-moi ; je dis Comme-vous.

ARLEQUIN. - Oh ! la chienne de tête ! hé bien, butor que tu es, je te dis que je m'appelle Arlequin.

LA RECRUE. - J'entends bien... moi, je m'appelle Comme-vous.

ARLEQUIN. - Alors, ça fait deux Arlequins.

LA  RECRUE. - Mais non, mon capitaine, cela n'en fait toujours qu'un.

ARLEQUIN. - Et lequel est-ce de nous deux ?

LA RECRUE. - Pardine, c’est vous.

ARLEQUIN. - Allons, c’est encore bien heureux. Et toi, à présent ?

LA  RECRUE. - Moi, je m'appelle Comme-vous.

ARLEQUlN. - Le diable te torde le cou ! Il me fera devenir fou, sangodémi. Eh bien, je ne veux pas que tu t'appelles comme moi. M'entends-tu, maintenant ?

LA  RECRUE. - Mais je ne m'appelle pas Comme-moi non plus ; car, j'enrage que vous ne vouliez pas m'entendre. Je vous dis que je m'appelle Comme-vous, C'est-il clair ? Comme-vous, comme vous.

ARLEQUIN. - Comme vous ? Ah ! oui, oui, tu t'appelles comme vous toi, et non pas comme moi vous.

LA RECRUE. - Hé, pardon, mon capitaine, je vous ai toujours dit comme vous moi et non pas comme moi vous.

ARLEQUIN. - Sangodémi, c’est précisément ce qui me trompait. Quelle peste de nom Comme-vous ! Mais ce nom-là m'embrouillerait toujours ; j'aime mieux te donner un nom de guerre. En as tu un ?

LA RECRUE. - Oui da, que j'en ai un, et un beau encore !

ARLEQUIN. - Hé bien, dis-le moi.

LA  RECRUE, enflant sa voix. - Ventre-à-terre.

ARLEQUIN, se jetant à terre. - Miséricorde !... hé, Comme-vous !

LA  RECRUE. - Plaît-il, mon capitaine.

ARLEQUIN, de même. - Sont-ils partis ?

LA  RECRUE. - Qui ça ?

ARLEQUIN, tremblant. - Les ennemis.

LA  RECRUE. - Je n'en sais rien.

ARLEQUIN. - Ont-ils tiré ?

LA  RECRUE. - Je n'en sais rien, je n'ai pas entendu.

ARLEQUIN. - Etaient-ils beaucoup de monde ?

LA  RECRUE. - Je n'en sais rien, je n'ai vu personne.

ARLEQUIN. - Comment, tu n'as vu personne ? Mais alors, pourquoi donc est-ce que tu m'as crié « ventre à terre » ?

LA RECRUE. - Par la morguenne, c’est mon nom de guerre.

ARLEQUIN, se relevant. - Ton nom de guerre, misérable ? Mais c’est un nom à mettre toute une armée en déroute. Que la peste te crève ! J'ai cru que la bombe éclatait au-dessus de ma tête. Allons, va trouver mon lieutenant et qu'il achève de t'enregistrer. Allons, va-t-en.

(Il sort.)

 

SCÈNE  IV.

 

Arlequin seul

 

ARLEQUIN. - Diavolo, encore deux signalements pareils et cela me ferait l'effet d'une bataille. J'ai déjà eu des soldats à commander, quand j'avais l'honneur d'être capitaine de flibustiers, mais ils n'avaient pas des noms baroques de tapageurs comme celui-là . C'était Joli-cœur, c'était Brin-d'amour, c'était Saute-aux-poules ou Prêt-à-boire tous jolis noms choisis... mais Ventre-à-terre ! 0h ! Sangodémi, je crois que de la culbute qu'il m'a fait faire, j'ai eu trois côtes enfoncées. Ah ! voici mon lieutenant.

 

SCÈNE  V.

 

Arlequin, le Lieutenant.

 

LE  LIEUTENANT. - Mon capitaine, je viens vous dire que la table est servie, le gigot à l'ail est rôti, les macaronis sont prêts.

ARLEQUIN. - C’est très bien, monsieur le lieutenant, je vous suis. Mais, auparavant, j'ai un mot à dire ici.

(au public).

Air : Mon père était pot.

Messieurs, je vous fais mes adieux,
Car, je pars en voyage ;
Mais avant de quitter ces lieux.
Je brigu' votre suffrage.
Ragoûts et rôtis.
Bons macaronis.
Me sont fort agréables ;
Mais votre agrément,
Vaut assurément,
Les plus splendides tables.


 

RIDEAU
 
 
 



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