LE MOUCHOIR DU MENDIANT
(à partir de la page 70 de l'ouvrage)
Conte chinois en ombres corporelles.
SCÈNE PREMIÈRE
KORABELNIK Dessins de T. POLETIK
Dramatisation de la chanson chinoise du même nom.
Contes de fées en deux scènes
PERSONNAGES.
Mendiant
Monsieur
Madame
Esclave Li
SCÈNE PREMIÈRE
La véranda de la maison. Une table basse, deux tabourets sculptés, un bougeoir, un miroir.
MENDIANT, apparaissant à l'écran. - L'histoire que vous êtes sur le point de voir, chers spectateurs, s'est déroulée en Chine et il y a si longtemps que les personnes âgées les plus âgées ne se souviennent pas quand cela s'est passé. En ces temps terribles, le peuple chinois a été privé de ses droits. À cette époque, les riches possédaient toutes les richesses de la Chine : la terre, l'eau, les esclaves. Les pauvres avaient l'habitude de dire : « Il n'y a pas de place pour semer du riz, et il n'y a pas de place pour se coucher dans la tombe ». Les riches avaient même des esclaves. Notre conte de fées Le mouchoir du mendiant vous parlera de la petite esclave Li et des miracles qui lui sont arrivés. (Il s'éloigne et sort de l'écran).
SCÈNE II
MADAME - MONSIEUR
(Un cri strident se fait entendre dans les coulisses. Le Maître -MONSIEUR- apparaît, il marche en se bouchant les oreilles. Derrière lui, criant sans cesse, se trouve la Maîtresse -MADAME. Monsieur éloigne doucement ses mains de ses oreilles. Madame s'arrête de crier).
MONSIEUR. - Et maintenant, ma vénérable Dame, que voulez-vous enfin que je fasse ?
MADAME. - Mon mari à l'esprit hautain, mon riche, mon mari très estimé, achetez-moi un esclave.
MONSIEUR. - Je ne l'achèterai pas.
MADAME, criant. - Hiiiiiiiiii !
MONSIEUR. - Vous pouvez déranger votre gorge estimée autant que vous voulez, mais je ne vous achèterai pas d'esclave.
MADAME, criant. - Hiiiiiiiiii !
MONSIEUR, se bouchant les oreilles. - Autant que vous voudrez, ma chère Dame.
(La Maîtresse se tait, le Maître abaisse ses mains).
MADAME. - Pensez-y, mon très estimé mari, que je dois tout faire moi-même : m'habiller, me laver, me peigner les cheveux. Un éternuement et personne ne m'essuiera le nez, je m'allongerai et personne ne me massera les pieds et les jambes. Une mouche effrontée m'empêche de dormir, et je dois la chasser moi-même. Le dîner préparé pour nous par le cuisinier, je dois le servir de mes propres mains. Assez, mon cher époux, assez ! Achetez-moi un esclave.
MONSIEUR. - Je ne l'achèterai pas ! Un esclave coûte cher.
MADAME. - Achetez-en un bon marché.
MONSIEUR. - Un esclave mange beaucoup. Les esclaves sont voraces.
MADAME. - Nous lui donnerons les restes. Achetez-moi une fille esclave.
MONSIEUR. - Les restes sont pour les chiens. Je n'achèterai pas d'esclave. Laissez-moi tranquille !
MADAME. - Je ne vous lâcherai pas d'une seconde ! Vous allez m'acheter, vous allez m'acheter, vous allez m'acheter un esclave !
MONSIEUR. - Ah ! Vous êtes insupportable (Il brandit un chandelier en direction de sa femme. Madame s'enfuit en hurlant et sort de l'écran).
MADAME, dans les coulisses. - Vous m'achèterez un esclave, vous m'achèterez, vous m'achèterez...
(Le monsieur jette le bougeoir à sa femme. Bruitage).
MONSIEUR, satisfait. - Ah !
MADAME, apparaissant avec des éclats dans ses mains. - Qu'avez-vous fait, qu'avez-vous fait ?! Vous avez cassé le pot d'argile !
MONSIEUR, inquiet. - Un nouveau ?
MADAME. - Non, c'est un vieux. Avec une poignée cassée, une fissure en bas et un col ébréché.
MONSIEUR, essayant de rassembler les fragments. - Oh, quel dommage, la cruche pouvait encore servir.
MADAME. - Achetez-moi un esclave.
MONSIEUR. - Encore ? Vous n'êtes pas passée à autre chose ?
MADAME. - Jamais ! Vous pouvez casser toute la vaisselle, brûler la maison, me poignarder... mais achetez-moi une esclave, je ne peux pas vivre sans elle.
MONSIEUR, soupirant. - Eh bien, bien. Le vieux Zhao Hai me doit une demi-mesure de riz depuis longtemps et ne me la rend pas. J'irai le voir et je prendrai sa fille au lieu du riz. Vous aurez donc une esclave.
MADAME. - Allez, allez, monseigneur.
(Le monsieur s'en va).
MONSIEUR, criant derrière lui. - Ne portez pas une robe neuve, elle risque de se décolorer au soleil. (Sans crier). Allons.
MADAME. - J'aurai un esclave. D'abord un, puis deux, puis cent, non, deux-cents ! Tout le monde dans le village nous doit quelque chose. Nous réduirons tout le monde en esclavage, nous en ferons des esclaves. Les filles esclaves m'obéiront, elles exauceront tous mes désirs. Salut, toi ! (Elle s'adresse à des filles esclaves imaginaires). Apporte-moi le miroir ! (Elle prend un miroir derrière le rideau et s'admire). Quel nez, quels yeux, quelles mains. Nous allons mettre des bijoux maintenant. (Elle met des bracelets, enfonce une autre épingle à cheveux dans ses cheveux). Admire tous les bijoux que je possède. Et toi, tu n'en as pas. Ah ! Ah! Ah ! (Elle taquine, tire la langue, fait un pied-de-nez).
(Monsieur entre, accompagné d'une femme maigre. Elle marche la tête baissée, Elle a un petit paquet dans les mains).
MONSIEUR, à l'esclave. - Incline-toi devant la Dame. (L'esclave s'incline).
MADAME, à l'esclave. - Plus bas, plus bas ! (L'esclave s'agenouille). Maintenant, montre-moi ton visage. (L'esclave lève la tête. Elle porte un cache en carton qui lui fait un menton énorme). Pouah, que tu es laide !
MONSIEUR. - C'est vrai qu'elle ressemble à un crapaud... pire que ça, à une tortue !
(L'esclave se met à sangloter).
MADAME. - N'ose pas verser des larmes devant nous. Nous voulons de la bonne humeur, pas les cascades du fleuve Hukou !
MONSIEUR, à l'esclave. - Dis-moi comment tu t'appelles.
ESCLAVE LI. - Mon nom est...
MADAME, l'interrompant. - Tais-toi ! (À son mari). Elle s'appelle Guenon. Oui, oui ! Elle ne mérite pas un meilleur nom.
MONSIEUR. - J'avoue que ça lui va à merveille. (Rires). Guenon, oui, ça sera Guenon.
MADAME, examinant l'esclave de tous les côtés, à son mari. - Regardez comme elle est maigre. Elle mangera plus qu'elle ne gagne. Que sait-elle faire ?
MONSIEUR. - Elle connaît toutes les tâches ménagères et on dit qu'elle chante bien.
MADAME, de manière désobligeante. - Chanter ? La belle affaire. (À l'esclave). Quelle chanson pourrais-tu me chanter ?
ESCLAVE LI. - L'eau qui coule.
MADAME. - Chante !
ESCLAVE LI. - (Elle chante sur l'air de "À la claire fontaine").
Tu chantes et tu serpentes
Au milieu des rochers
Eau claire, eau si brillante
Il faut bien nous quitter.
Tu t'en vas dans les terr's lointaines,
Je ne t'oublierai jamais.
MADAME. - Quelle chanson ennuyeuse. Et vous chantez comme une casserole. Allez chercher de l'eau. Il y a des seaux là-bas. (L'esclave quitte l'écran). Et une esclave, une ! (À Monsieur) Ne pouviez-vous pas trouver pire, mon mari ? Vous pouvez la revendre à qui vous voulez.
MONSIEUR. - Allons, allons, ne soyons pas si pressé. Nous avons le temps. Faites-la travailler et quand elle n'en pourra plus, quand elle sera épuisée, nous la vendrons. (L'esclave entre).
MADAME, s'adressant à l'esclave. - Le Maître et moi allons nous promener. Vous essuyerez la poussière, laverez les planchers, nettoierez les bronzes, arroserez les fleurs, secouerez les tapis et essuyerez les miroirs. Si vous ne faites pas tout ce qui est commandé, au moment où nous reviendrons, nous ne vous donnerons pas manger avant demain.
(Monsieur et Madame s'en vont).
ESCLAVE LI, doucement. - Je suis une esclave, une esclave ! Je ne reverrai jamais ma famille, mes amis, la rivière et les arbres de notre village. Jamais. (Elle s'effondre sur le sol, pleure, puis lève la tête). Dois-je m'enfuir ? Ils réclameront la dette de mon père. Et s'ils ne rentrent pas dans leur argent, ils prendront mon père comme esclave. Ma mère, mes frères et mes sœurs mourront de faim. Non, je ne dois pas m'enfuir. Je ne dois pas. (L'esclave prend un plateau dans les coulisses, le nettoie. Elle fredonne doucement). (Elle chante sur l'air de "À la claire fontaine").
Tu chantes et tu serpentes
Au milieu des rochers
Eau claire, eau si brillante
Il faut bien nous quitter.
Tu peux aller dans les terr's lointaines,
Je ne t'oublierai jamais.
(La lumière s'éteint).
SCÈNE III
Décor de la première scène.
(Les voix de Monsieur et de Madame sont entendues dans les coulisses à droite et à gauche).
MONSIEUR. - Guenon, viens ici !
MADAME. - Guenon, viens à moi !
MONSIEUR. - Guenon ! Qu'est-ce que j'ai dit ?
MADAME. - Guenon, j'attends !
(L'esclave court vers la droite, se cache dans les coulisses, apparaît, court vers la gauche, mais à chaque fois un cri du côté opposé l'arrête. Enfin, s'étant décidée, elle saisit sa robe de chambre et disparaît dans la direction d'où l'on entend la voix de la Maîtresse).
MADAME. - (Sa voix dans les coulisses). Enfin, ce n'est pas trop tôt !
MADAME. - (Sa voix dans les coulisses). Comment ? Tu ne sais pas servir une robe ? Tu ne sais pas faire quelque chose d'aussi simple ?! Tu le fais exprès pour me contrarier ! Tiens !
ESCLAVE LI. - (Sa voix dans les coulisses). Oh, ça fait mal, je ne le ferai plus.
MADAME. - (Sa voix dans les coulisses). Applique-toi, Guenon ! Je ne vais pas encore te pincer comme ça, j'ai autre chose à faire !
MONSIEUR. - (Sa voix dans les coulisses). Guenon, mon tabac ! J'ai dit : mon tabac !
(L'esclave court tête baissée vers la voix de Monsieur avec une pipe à la main. Des coups se font entendre et les pleurs de l'esclave).
MONSIEUR. - (Sa voix dans les coulisses). Comment oses-tu, Guenon paresseuse, me tendre une pipe éteinte ?! Comment oses-tu ? Comment oses-tu ? Je vais te battre !
(En sanglotant, l'esclave se précipite sur la scène. À droite et à gauche, apparaissent en même temps Monsieur et Madame).
(L'esclave leur donne des parapluies ouverts et des éventails).
MONSIEUR. - Nous ferons une promenade avant le déjeuner. Que tout soit en ordre ici, sinon... (Il s'éloigne).
MADAME. - Sinon, nous ne te laisserons pas manger pendant une semaine entière. (Elle s'éloigne).
ESCLAVE LI. - Ils sont partis, ils ne reviendront pas de sitôt. (Elle prend son baluchon, en sort une petite poupée, redresse sa robe et ses cheveux). Bonjour, Yuan-Mei, bonjour. Tu m'as tellement manqué ! Veux-tu manger ? Oui ? Tu as faim. Eh bien, peu importe, patiente un peu. (Elles soupire un instant, laisse tomber accidentellement la poupée sur le sol). Oh, elle est tombée ! Ne pleure pas, Yuan-Mei, tu ne t'es pas fait mal. (Elle berce la poupée). Ahhhh ! Dors, ma fille, dors. (Chant).