LE RÊVE
(La mère Trufaldin paraît, le menace du poing et sort).
POLICHINELLE, rêvant. - Elle dit qu'elle va serser le commissaire... Hé ! zustement, le voici, ce digne mazistrat.
(Le commissaire paraît).
Monsieur le commissaire... Que dit-il ? Que ze vais être pendou !...
(Le commissaire sort).
Voici le guet... mais c'en est un à pens !... m'arrêter, moi Pulcinello !
(Deux soldats paraissent).
Laissez-moi, messieurs les archers. Ze ne sersse de dispoute à personne... Allons bon ! maintenant c'est le bourreau qui me conduit à la potence.
On me dit que, si ze me repens, ze ne serai point pendu. Ze me repens... c'est à dire ze ne me repens point, car ze ne me suis zamais pendu ! Eh, eh ! c'est un zeu de mots !...
Comment, on va m'accrocher par le cou à cette poulie... puis ze ferai couic ! Moussu le bourreau, ayez l'obligeance de me montrer comment ze dois faire... Bon ! Bon ! ze comprends.
Ah ! tu voulais pendre ce bon, cet excellent Pulcinello, attrape ! c'est Pulcinello qui te pend. Bonsoir la compagnie.
(On voit Polichinelle pendant le bourreau).
Ah ! qu'il est laid ! comme il tire la langue, c'est sans doute pour se moquer de moi... Ze suis vexé, ze monte à l'échelle.
(Le groupe disparaît).
Qu'aperçois-ze là-bas ? C'est Lucifer en personne.
LUCIFER, paraît. - Lui-même, pour te servir !
Air : Bonjour, mon ami Vincent.
Oui, je suis le diable noir,
Et je sors de sous terre.
Je viens te chercher, ce soir,
Te mettre dans ma chaudière,
Depuis longtemps, je te guettais,
Je t'attendais, te mijotais ;
Je ne t'en ferai nul mystère,
Non : pendant mille ans, mon charmant ami,
Tu seras bouilli,
Tu seras rôti,
Pour faire un salmis... un salmigondi.
POLICHINELLE. - Salmigondi, toi-même, impertinent !
LE DIABLE. - Allons, en route.
POLICHINELLE. - Mauvaise troupe.
LE DIABLE. - Es-tu prêt ?
POLICHINELLE. - Et toi ?
LE DIABLE. - Je le suis.
POLICHINELLE. - En ce cas, si tu es pressé, cours devant !
LE DIABLE. - Une fois, deux fois, veux-tu me suivre ?
POLICHINELLE. - Va te promener !
LE DIABLE. - En ce cas, bataille !
POLICHINELLE. - Bataille !
(Polichinelle se bat avec le diable).
LE DIABLE, lui portant un coup. - Tiens !
POLICHINELLE, de même. - Tiens !
LE DIABLE, de même. - Tiens.
POLICHINELLE, de même. - Tiens ! Tiens ! Tiens ! Que le diable m'emporte si je ne t'assomme d'importance.
LE DIABLE. - Le Diable... mais c'est moi, illustre Pulcinello ; quant à t'emporter, ça ne tardera guère.
POLICHINELLE. - Et pourquoi ?
LE DIABLE. - Parce que tu t'es enrichi à force de larcins, et, parce qu'étant devenu riche, au lieu de faire du bien, tu as entassé ton or.
POLICHINELLE. - Sacun prend son plaisir où il le trouve.
LE DIABLE. - Tu pouvais, du moins, venir en aide à ton neveu Arlequin.
POLICHINELLE. - Un prodigue.
LE DIABLE. - Soit ! Mais c'était le fils de Pantalon, ton propre frère.
POLICHINELLE. - Comment ! c'était, vous voulez dire c'est.
LE DIABLE. - Je dis : "c'était", parce que le pauvre garçon, désespéré par tes refus, s'est jeté dans le Vésuve.
POLICHINELLE. - Arlequin !... Hum !... J'en ai le pleur à l'oeil !
LE DIABLE. - Ce n'est pas tout : tu as égorgé le pauvre chat de la mère Trufaldin !
POLICHINELLE. - Il me réveillait toujours.
LE DIABLE. - Tu as pendu le bourreau.
POLICHINELLE. - Il voulait me pendre.
LE DIABLE. - Tu as (ce qui est plus épouvantable encore) battu tes créanciers, rossé le commissaire : monsieur le commissaire !... et bâtonné les archers.
POLICHINELLE. - Histoire de me distraire, la vie est si monotone !
LE DIABLE. - Enfin, ce qui es le plus grave, tu m'as insulté, défié et frappé, moi, Lucifer !!!
POLICHINELLE. - Si je t'ai frappé, tu me l'as bien rendu ; donc, nous sommes quittes.
LE DIABLE. - Tu crois ?
POLICHINELLE. - Sans doute.
LE DIABLE. - La preuve que je ne suis pas de ton avis, c'est que je vais t'emporter chez moi.
POLICHINELLE. - Toi ! je grille de le voir.
LE DIABLE. - Tu grilleras bien mieux tout à l'heure. Tiens.
POLICHINELLE. - Au secours ! à moi, Arlequin, Colombine !
(Le diable disparaît, emportant Polichinelle).
SCÈNE VIII
ARLEQUIN, COLOMBINE. (Ils entrent vivement de deux côtés différents).
ARLEQUIN. - Qu'y a-t-il ?
COLOMBINE. - D'où viennent ces cris ?
ARLEQUIN. - C'est la voix de notre oncle.
COLOMBINE. - En effet, j'avais cru reconnaître sa voix.
ARLEQUIN. - Notre pauvre oncle ! Que peut-il lui être arrivé ?
COLOMBINE. - Cela m'inquiète autant que toi.
SCÈNE IX
LES MÊMES, POLICHINELLE
POLICHINELLE, en robe de chambre. - Ouf ! c'était un rêve, un vilain rêve, un cauchemar !
ARLEQUIN. - Qu'avez-vous, mon oncle ?
COLOMBINE. - Seriez-vous indisposé ?
POLICHINELLE. - Rien, rien, je n'ai rien. Arlequin ici ; tu n'es donc pas mort ?
ARLEQUIN. - Non, mon oncle, mais cela ne tardera guère.
POLICHINELLE. - Attends. Approsse ; Colombine, approsse aussi. (Arlequin et Colombine s'approchent de Polichinelle). Mon ser neveu et ma sère nièce, afin de vous témoigner mon affection et ayant remarqué depuis longtemps que vous vous aimez, ze désire que vous deveniez époux.
ARLEQUIN. - Moi, l'époux de Colombine !
COLOMBINE. - Moi, la femme d'Arlequin !
POLICHINELLE. - Sans doute ; est-ce que cela vous déplaît ?
ARLEQUIN. - Au contraire.
COLOMBINE. - Au contraire ; mais je n'ai pas de dot, mon oncle.
POLICHINELLE. - Ze me sarge de ta dot : ze te donne deux mille sequins.
ARLEQUIN ET COLOMBINE. - Une fortune.
POLICHINELLE. - Et ze paierai les frais de la noce.
ARLEQUIN ET COLOMBINE. - Vive notre bon oncle Polichinelle !
POLICHINELLE. - Colombine, va dans la cuisine, délivrer le pauvre chat de la mère Trufaldin : ze veux que tout le monde soit heureux auzourd'hui. Ce maudit rêve m'a transformé.
COLOMBINE. - J'y vais à l'instant, mon oncle.
ENSEMBLE. -
Air : À boire ! À boire ! À boire !
Quelle bonne nouvelle !
Vive Polichinelle !
Polichinelle est transformé,
Généreux, clément, bien-aimé !
(La toile tombe).
FIN
D'autres pièces de théâtre (pour marionnettes, il est vrai) avec Polichinelle et sa troupe sont à voir sur : http://theatredemarionnettes.wifeo.com/polichinelle-et-compagnie.php