THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

DAGOBERT. - Tu lui donneras simplement la main puisqu'il vient te la demander. Et maintenant parlez, Sire de Perchelongue. 
 
PERCHELONGUE. 
Air de Bon voyage Monsieur Dumolet. 
Qu'on me raille,
Ça m'est égal,
Avez-vous vu des hommes de ma taille ?
Qu'on me raille,
Ça m'est égal,
Je suis bien fait, voilà  le principal. 
J'ai le pied grand, le nez aussi peut-être,
La bouche encor, signe de la valeur.
Pareil à moi ne se fait pas connaître ;
Mais ce que j'ai de plus grand c'est le cœur.   
(Reprise.) 
 
INÈS. - Quel est votre petit nom ? 
 
PERCHELONGUE. - Odoard ! 
 
INÈS. - Odoard, Sire de Perchelongue ! 
 
PERCHELONGUE. - C'est cela, Princesse, quand nous serons mariés, je vous dirai mes autres noms, vous choisirez. 
 
INÈS. - Le nom, ça ne fait rien, mais la taille ! Si j'avais quelque chose de secret à vous dire à l'oreille, je ne pourrais jamais y arriver. 
 
PERCHELONGUE. - Je vous porterais alors sur mon bras. 
 
INÈS. - Tout cela est bien compliqué ! Non, voyez- vous, Odoard, vous ne me convenez pas.
 
PERCHELONGUE. -  Ciel ! mais vous n'avez pas dit votre dernier mot. 
 
INÈS. - Non ! L'avant-dernier, seulement. 
 
DAGOBERT. - C'est moi qui dirai le dernier. Sire de Perchelongue, vous pouvez vous retirer, mais ne vous éloignez pas, je vous rappellerai tout à l'heure. (Perchelongue sort.


 
SCÈNE  V 

 
Les Mêmes, moins PERCHELONGUE.


 
ÉLOI. - Faut-il introduire... 
 
DAGOBERT. - Tout à l'heure ! (à Inès.) Ma chère enfant, je t'ai laissé parler librement avec ton prétendu ; il ne te plaît pas, c'est convenu, mais je trouve que tu l'as expédié un peu rapidement, et que tu n'as pas réfléchi que c'est moi qui l'avais choisi et que par conséquent j'avais des motifs pour cela. Les princesses ne choisissent pas leurs maris, elles doivent s'incliner devant la raison d'état. Mon royaume est un très grand Royaume, mais il ne possède pas un homme grand. J'en avais trouvé un, tu le refuses, j'en suis désolé. J'espère que tu réfléchiras, et que dans l'intérêt de l'état, dans une seconde entrevue, tu mettras ton intérêt particulier de côté. Voilà ce que j'avais à te dire ; maintenant Eloi fais entrer ma fille cadette, Odette. 
 
ÉLOI. - Cadette Odette ! J'obéis, Sire. (Il sort.) 


 
SCÈNE  VI 

homme bossu en théâtre d`ombres ombres chinoises marionnettes silhouettes
Maltourné
 
ODETTE, DAGOBERT, INÈS, ÉLOI, Le Vidame de MALTOURNÉ, bossu. 

femme silhouette theatre d`ombres ombres chinoises marionnettes
Odette
 
ÉLOI. - Le Vidame de Maltourné ! 

DAGOBERT. - Et la princesse Odette, ma fille ? 
 
ODETTE, gaiement. - Me voilà  ! Me voilà ! Je rattachais mon cordon de soulier. 
 
DAGOBERT. - Ce détail est inutile. Asseyez-vous là, près de moi à ma gauche, puisque votre sœur est à ma droite. Maintenant, Vidame de Maltourné, faites votre déposition. 
 
ÉLOI. - Pardon, Sire, vous vous trompez... 
 
DAGOBERT. - C'est ma foi vrai, je me croyais à mon tribunal. Vidame de Maltourné, je vous écoute. 
 
MALTOURNÉ. - Sire, je viens vous demander la main de la princesse Odette. Je sais que je ne suis pas beau.
 
ODETTE. - Oh ! non ! 
 
MALTOURNÉ.  
Air : des Bossus. 
Il est bien vrai que je suis un bossu
Depuis longtemps je m'en suis aperçu.
Que voulez-vous ?
Je fus ainsi conçu.
Malgré cela, je ne suis pas pansu,
Aussi partout je suis très bien reçu,
Car j'ai bon air et pourpoint cossu !
Au résumé, j'ai d'autres qualités. 

 
INÈS. - Lesquelles ? 
 
MALTOURNÉ. - Si je vous les dis, je vais rougir, mais, c’est égal, je me risque. 
 
ODETTE. - C'est ça, risquez-vous. 
 
MALTOURNÉ. - Oh ! Je ne risque pas grand chose, puisque je vais dire du bien de moi. Donc, d'abord je ne suis pas bête. 
 
ODETTE. - Croyez- vous ? 
 
MALTOURNÉ. - J'en suis sûr ! Il ne faut pas être bête pour avoir été admis à prétendre à la main de la princesse Odette. 
 
ODETTE, à part. - Tiens ! Tiens ! 
 
MALTOURNÉ. - Puis ensuite, j'ai beaucoup de talents d'agrément. Je chante agréablement, je dessine, je peins, je sculpte, en un mot, je suis un artiste, ce qu'il n'est pas donné d'être à tout le monde. 
 
ODETTE. - Savez- vous jouer au bésigue ? 
 
MALTOURNÉ. - Non, mais je sais faire des tours de cartes pour amuser les autres. 
 
ODETTE. - Savez-vous jouer la comédie ? 
 
MALTOURNÉ. - Oui, princesse ! Malheureusement, je ne puis jouer les amoureux, mon physique s'y oppose, mais je sais faire des vers et quand on ne voit pas le poète, on est tout disposé à  l'aimer. 
 
ODETTE. - Je vois que vous faites bien valoir votre personne. 
 
MALTOURNÉ. - Hélas ! Qui en dirait du bien, sinon moi ?
 
DAGOBERT. - C'est très bien, Vidame de Maltourné, jusqu’à  présent vous avez beaucoup parlé de vous, mais vous n'avez pas dit un mot de la princesse. 
 
MALTOURNÉ. - C'est que j'ai compris, Sire, qu'en en disant du bien, je me rendrais ridicule. Le crapaud peut admirer la rose, mais il ne doit pas le lui dire. 
 
DAGOBERT. - Allons ! Vous êtes un gentilhomme accompli. Qu'en dis-tu Odette ? 
 
ODETTE. - Sans doute, Papa, mais la bosse ? 
 
DAGOBERT. - Mais la bosse ? Elle est dans le dos, on ne la voit pas. 
 
ODETTE. - Et tout cas, je demande à réfléchir. 
 
DAGOBERT. - C'est juste ! Eh bien, mon cher vidame, veuillez vous retirer, je vous rappellerai tout à l'heure. (Le Vidame de Maltourné sort.) 
 
SCÈNE  VII 
 
Les Mêmes, moins MALTOURNÉ.

 
DAGOBERT. - Mes filles, il s'agit de vous décider, je n'ai pas d'autres prétendants à vous offrir. Voyons, parle, Inès. 
 
ÉLOI. - Voulez-vous, Sire, me permettre de dire un mot ? 
 
DAGOBERT. - Mais comment donc, mon bon Éloi, tu es la sagesse même. 
 
ÉLOI. - Eh bien, les jeunes princesses ne tiennent peut-être pas à se marier. 
 
INÈS, ODETTE, vivement. -  Si, oh ! si, nous voulons bien. 
 
ÉLOI. - Alors, il faut vous décider. 
 
DAGOBERT. - Éloi a raison ! Voyons Inès, que reproches-tu à ton futur ? 
 
INÈS. - Il est trop grand. 
 
ODETTE. - Tu es bien difficile ! Un grand homme fait valoir une petite femme. Moi, c'est différent, le mien est bossu.
 
INÈS. - Dans le dos ! Ça ne se voit pas quand on est de face. 
 
ODETTE. - Il est vrai qu'il a de l'esprit ! Il faut bien qu'il ait quelque chose. 
 
INÈS. - Oh ! moi, le mien n'en a pas du tout, c'est ce que je lui reproche. 
 
DAGOBERT. - Avec cela, vous ne vous décidez à rien, il faut pourtant en finir ; vos prétendus doivent s'impatienter. 
 
ÉLOI. - Sire, j'ai une idée. 
 
DAGOBERT. - Ça ne m'étonne pas, mon bon Éloi. J'ai entendu parler d'un homme qui avait une idée par jour. Toi, tu as une idée par heure, c'est beaucoup mieux. Voyons, expose ton idée. 
 
ÉLOI. - Il faut alors faire rentrer les prétendants.
 
DAGOBERT. - Soit ! Mais vous, mes filles, il faut vous décider. Éloi, fais pénétrer ici ces gentilshommes. 
 
ÉLOI. - Je les introduis. Laissez-moi leur parler. (Il sort.) 

 
SCÈNE  VIII 

 
DAGOBERT,  ÉLOI,  PERCHELONGUE,  MALTOURNÉ, INÈS,  ODETTE. 
 
ÉLOI, rentrant en scène. - D'après l'ordre de mon souverain maître, je vais me permettre de vous adresser quelques interrogations. À vous quatre, ici présents, voulez-vous vous marier ? 
 
INÈS, ODETTE, MALTOURNÉ, PERCHELONGUE, ensemble. - Oui ! 
 
ÉLOI. - Voilà qui est clair ! Il n'y a pas d'hésitation. Mais il peut y avoir malentendu. Il s'agit de préciser. Interrogeons d'abord les princesses... Voyons, princesse Inès, sur lequel de ces deux seigneurs avez-vous jeté les yeux ! 
 
INÈS. - Puisqu'il n'y a pas d'autres prétendants, sur l'un des deux. 
 
ÉLOI. - Et vous, princesse Odette ? 
 
ODETTE. - Et moi aussi. 
 
ÉLOI. -  Diable ! Diable ! Cela va être difficile à conclure ! Ces jeunes princesses sont très réservées. Interrogeons les hommes. Sire de Perchelongue, quel est votre choix ? 
 
PERCHELONGUE. - Je suis très honoré d'avoir été accepté par le roi Dagobert. J'épouserai une des deux princesses. 
 
ÉLOI. - Et vous, vidame de Maltourné ? 
 
MALTOURNÉ. -  Je répondrai comme mon futur beau-frère. C'est une des deux princesses que je prendrai pour femme. 
 
ÉLOI. - Très bien. Vous êtes très discrets, comme les princesses elles-mêmes. Mais il faut une désignation plus complète. Princesse Inès, choisissez-vous le Sire de Perchelongue ? 
 
INÈS. - Tout bien réfléchi, il est trop grand, j'épouserai plutôt le vidame de Maltourné, si ma sœur y consent. 
 
OPETTE. - Prends-le ! Prends-le ! Il est pétri d'esprit, il t'en donnera. 
 
INÈS. - Dis donc ! Tu me prends pour une bête ? 
 
ODETTE. - Non, ma sœur, je te remercie même de m'avoir laissé le grand homme. 
 
PERCHELONGUE. - En étant toute ma vie à vos genoux, je serai toujours de votre taille ! 
 
MALTOURNÉ. - Et moi, en me jetant dans vos bras, je ne vous paraîtrai plus si petit. 
 
ÉLOI. - Eh bien, qu'en dites-vous Sire ? Comment trouvez- vous cette solution ? 
 
 
 



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