THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

HUITIÈME  TABLEAU
 

LES ADIEUX


La mort vient de briser cette union sereine ;
La tombe a pris la reine
Et le roi, rassemblant son peuple et sa cour,
Veut remettre à ceux qui furent jeunes un jour
Les présents qu'ils portaient à ses noces brillantes...
Mais il garde la coupe en ses mains défaillantes...


Adieu, rouet, adieu fuseau !
Celle qui filait l'écheveau
S'en est allée en l'autre monde !
Adieu dentelles et joyaux,
Adieu le dais et les flambeaux ;
Silence dans la nuit profonde.

Que l'étendard d'hermine et d'or
S'éloigne avec le son du cor
Sous les arceaux des voûtes sombres...
Le Majordome et l'échanson,
Disparaissez à l'unisson.
À votre tour comme des ombres
.

À tout jamais,

À ses regrets,
Laissez le roi dans les alarmes
Rêver tout seul avec ses larmes.


 

NEUVIÈME  TABLEAU
 

IL ÉTAIT UN ROI


Il était un roi de Thulé
Dont une ondine était l'épouse,
Il n'eut après la mort jalouse
Que sa coupe d'or ciselé.
Quand il connut sa fin prochaine,

Beau vieillard blanc vêtu de noir,
Seul, sur la tour de son manoir,
Il vint pour songer à sa douce reine !

Alors, en regardant la mer,
Il revoit le jour où l'ondine
Lui tendit l'offrande divine
Qu'elle apportait du flot amer.
Au nom de sa chère mémoire,
Il a vidé la coupe d'or,
Puis il la jette dans l'eau qui dort.
Jamais, jamais, il ne devait plus boire.


 

DIXIÈME  TABLEAU
 

LA COUPE ENCHANTÉE


Mais à l'ondine fugitive,
Sa reine a déjà pardonné ;
Puis, en l’accueillant sur sa rive,
Elle lui rend et jeunesse et beauté.

Quand le roi meurt, sa compagne fidèle,
Retrouvant la coupe au pied de la tour
Paraît et la lui tend afin qu'il puise en elle
L'éternelle jeunesse et l'éternel amour.
 

FIN
 


Le roi de Thulé
 

Il était un roi de Thulé
À qui son amante fidèle
Légua, comme souvenir d'elle,
Une coupe d'or ciselé.

C'était un trésor plein de charmes
Où son amour se conservait :
À chaque fois qu'il y buvait
Ses yeux se remplissaient de larmes.

Voyant ses derniers jours venir,
Il divisa son héritage,
Mais il excepta du partage
La coupe, son cher souvenir.

Il fit à la table royale
Asseoir les barons dans sa tour ;
Debout et rangée alentour,
Brillait sa noblesse loyale.

Sous le balcon grondait la mer.
Le vieux roi se lève en silence,
Il boit, frissonne, et sa main lance
La coupe d'or au flot amer !

Il la vit tourner dans l'eau noire,
La vague en s'ouvrant fit un pli,
Le roi pencha son front pâli...
Jamais on ne le vit plus boire.

                                                 Gérard de Nerval


La coupe du roi de Thulé

Au vieux roi de Thulé sa maîtresse fidèle
Avait fait en mourant don d’une coupe d’or,
Unique souvenir qu’elle lui laissait d’elle,
Cher et dernier trésor.

Dans ce vase, présent d’une main adorée,
Le pauvre amant dès lors but à chaque festin.
La liqueur en passant par la coupe sacrée
Prenait un goût divin.

Et quand il y portait une lèvre attendrie,
Débordant de son cœur et voilant son regard,
Une larme humectait la paupière flétrie
Du noble et doux vieillard.

Il donna tous ses biens, sentant sa fin prochaine,
Hormis toi, gage aimé de ses amours éteints ;
Mais il n’attendit point que la Mort inhumaine
T’arrachât de ses mains.

Comme pour emporter une dernière ivresse.
Il te vida d’un trait, étouffant ses sanglots,
Puis, de son bras tremblant surmontant la faiblesse
Te lança dans les flots.

D’un regard déjà trouble il te vit sous les ondes
T’enfoncer lentement pour ne plus remonter :
C’était tout le passé que dans les eaux profondes
Il venait de jeter.

Et son cœur, abîmé dans ses regrets suprêmes,
Subit sans la sentir l’atteinte du trépas.
En sa douleur ses yeux qui s’étaient clos d’eux-mêmes
Ne se rouvrirent pas.

Coupe des souvenirs, qu’une liqueur brûlante
Sous notre lèvre avide emplissait jusqu’au bord,
Qu’en nos derniers banquets d’une main défaillante
Nous soulevons encor,

Vase qui conservais la saveur immortelle
De tout ce qui nous fit rêver, souffrir, aimer.
L’œil qui t’a vu plonger sous la vague éternelle
N’a plus qu’à se fermer.

Louise Ackermann, Contes et poésies (1863)


     On pourra rapprocher ces textes du poème de Raymond Richard : La légende du Givre, qu'on peut consulter sur : http://theatrepourenfants.wifeo.com/la-legende-du-givre.php



 
 
 



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