THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

MADAME GARGAMELLE. - Et bien d'accord, monsieur Pique-Prune. Ah, j'ai cependant une recommandation à vous faire.

PIQUE-PRUNE. - Laquelle, madame Gargamelle ?

MADAME GARGAMELLE. - Cet enfant n'a ni père ni mère mais il est né la nuit de Noël. Aussi bénéficie-t-il du protection du ciel...

PIQUE-PRUNE. - Ne vous faites aucun soucis, madame Gargamelle, je le traiterai comme mon propre enfant.

MADAME GARGAMELLE. - Très bien. Au revoir, monsieur Pique-Prune. À ce soir, mon petit Grenouillard.

GRENOUILLARD. - À ce soir, ma tante.

PIQUE-PRUNE. - Au revoir, madame Gargamelle, au revoir. (Madame Gargamelle et le Sergent sortent.)

SCÈNE V

PIQUE-PRUNE ; GRENOUILLARD


PIQUE-PRUNE. - Comment t'appelles-tu, mon garçon ?

GRENOUILLARD. - Je me nomme Grenouillard, monsieur, pour vous servir.


PIQUE-PRUNE. - C'est trop long comme nom, je vais t'en trouver un autre.

GRENOUILLARD. - Mais, monsieur, c'est mon nom... j'y tiens.

PIQUE-PRUNE. - On verra bien. En attendant, va dans la réserve. Tu y trouveras un lot de caleçons militaires. Tu les laveras, les vérifieras, les ravauderas, les repasseras et les mettras en un joli paquet.

GRENOUILLARD. - Très bien monsieur, je me mets à l'ouvrage. (Il sort.)


LE RIDEAU SE BAISSE ET SE LÈVE AUSSITÔT


TABLEAU  II  :  LES  MISÈRES


PIQUE-PRUNE, à table et mangeant ;
GRENOUILLARD, passant et repassant ;
PETITE  FILLE.

 


table qui se casse.
 

PIQUE-PRUNE. - Oh, le bon pâté d'alouette. Avec ce petit vin de Bordeaux, c'est un velours. (La petite fille entre sur l'écran et reste dans son coin.)


Petite fille.


GRENOUILLARD, entrant. - Maître, est-il temps de manger ?

PIQUE-PRUNE. - Que non pas, que non pas, tu dois finir les costumes de monsieur Merluchette, les pyjamas de monsieur le maire, les chemises de monsieur le président du tribunal...

GRENOUILLARD. - Mais, maître...

PIQUE-PRUNE. - Ne t'avise pas de me répondre, retourne au travail. Tiens, prends un morceau de pain pour te soutenir.


Grenouillard avec du pain.
 

GRENOUILLARD. - Merci, maître...

PIQUE-PRUNE. - Tiens, je t'ai trouvé un nouveau nom. À partir de maintenant, tu t'appelleras Face-de-rat ; je trouve que cela convient mieux à ta physionomie.


GRENOUILLARD. - Bien, monsieur. (Il sort.)

PIQUE-PRUNE. - Quel bonheur que ce garçon ! Il travaille comme quatre, son travail est excellent... Je n'ai plus qu'à me reposer et à manger comme un roi. Il ne me coûte pas cher car je ne le nourris que de pain sec...

LA PETITE FILLE, à part. - Maman sera contente de savoir ça. (Elle sort.)

GRENOUILLARD, entrant. - Je viens de finir le travail. Puis-je manger avec vous, maître ?

PIQUE-PRUNE. - Que non pas, Face-ce-de rat, que non pas ! Il te faut encore livrer toutes les commandes !

GRENOUILLARD. - Bien, maître ! (Il sort.)


TABLEAU  III  :  LES  RÉCOMPENSES.


Sergent BOIS-SEC ;
PIQUE-PRUNE toujours à table.


BOIS-SEC, entrant. - Bonjour, monsieur Pique-Prune.

PIQUE-PRUNE. - Bonjour, Sergent. Quel bon vent vous amène ?

BOIS-SEC. - Une fantaisie de notre Général. Il était tellement content de votre travail qu'il vous a fait porter une bouteille de vin de Champagne et ces petites fantaisies roses qu'on appelle Biscuits de Reims... ainsi qu'un pot de miel de Vanault-les-Dames.

PIQUE-PRUNE. - C'est vrai Sergent, on m'a tout apporté.

BOIS-SEC. - Y en a-t-il eu suffisamment pour vos apprentis et vous-même ? Le Général tient à ce que tous soient récompensés.

PIQUE-PRUNE. - Comment, pour mes apprentis ? Je n'en ai qu'un et il déteste le vin qui fait des bulles, les biscuits et le miel. Il ne mange que du pain. Le reste lui ferait mal au ventre...

BOIS-SEC. - Que dois-je dire au Général, alors ?

PIQUE-PRUNE. - Que tout va pour le mieux et que la répartition a été équitable.

BOIS-SEC. - Très bien, monsieur Pique-Prune. Je vous souhaite le bonjour. (Il sort.)

PIQUE-PRUNE. - Au revoir, Sergent, au revoir.

GRENOUILLARD, arrivant. - Comment ? Qu'est-ce que je viens d'entendre ? On m'a envoyé du miel et vous...

PIQUE-PRUNE. - Et moi, je l'ai mangé. Tu n'as rien à dire à cela. De plus, j'ai horreur qu'on écoute aux portes.

GRENOUILLARD. - Mais... maître...

PIQUE-PRUNE. - Il n'y a pas de mais qui tienne ! File au travail !

GRENOUILLARD, penaud. - Bien, maître... (Il sort.)


TABLEAU  IV  :  LA  PUNITION

PIQUE-PRUNE ; GRENOUILLARD ;
MADAME  GARGAMELLE  ;  BOIS-SEC

 


PIQUE-PRUNE, s'adressant à Grenouillard qui sort. - Je te garderai un peu d'eau pour faire passer ton pain ! (riant) Ah, ah, ah ! Hououou ! Quel bonheur, non mais, quel bonheur ! Mon apprenti fait tout le travail, je n'ai qu'à me reposer, qu'à bien manger et à lui donner deux morceaux de pain par jour. (La table se casse en deux.) Mais, que se passe-t-il ? On croirait rêver... (On entend une explosion. Pique-Prune est remplacé par l'ombre avec un gros ventre.)


Pique-Prune ventru.
 

GRENOUILLARD, arrivant en courant. - Que se passe-t-il, maître ? Êtes-vous en danger ?

PIQUE-PRUNE. - Qui t'a dit de venir m'espionner alors que je mange ? File au travail, Face-de-de-rat...


GRENOUILLARD. - Mais, monsieur...

PIQUE-PRUNE. - File ou je te donnerai dix coups de bâton, Face-de-rat !

GRENOUILLARD. - Bien, maître. (Il sort.)

PIQUE-PRUNE. - Elle est bien bonne, Face-de-rat ! J'en ris encore ! (Explosion. Il est remplacé par l'ombre avec un gros ventre et une bosse.)


Pique-Prune, ventru et bossu.
 

GRENOUILLARD, accourant. - Maître... que se passe-t-il ?

PIQUE-PRUNE. - Il se passe que je viens d'être victime de trois miracles. Et je pense que tu en es responsable.


GRENOUILLARD. - Je suis désolé, maître. Ça arrive à tous ceux qui veulent me faire du mal. C'est une protection que j'ai.

PIQUE-PRUNE. - Et c'est maintenant que tu me le dis ? Quoi que, je me souviens que madame Gargamelle a dit quelque chose là-dessus. Viens ici que je t'assomme !

GRENOUILLARD. - Maître, si vous portez la main sur moi, vous mourrez.

PIQUE-PRUNE. - Alors, je ne veux plus te voir, sors d'ici !

GRENOUILLARD. - Oui, je suis d'accord avec vous, maître, mais vous devez me payer les six mois que je viens de passer avec vous.

PIQUE-PRUNE. - Co... co... comment ? Te payer ? (La petite fille entre, voit la scène, et sort.)

GRENOUILLARD. - Maître, nous avons convenu, devant témoin, que je serais payé dix pour cent de ce que je vous rapporterai. À cela s'ajoute le couvert...

PIQUE-PRUNE. - Tu es fou ? Je suis le maître et c'est moi qui décide ce que je te dois...

GRENOUILLARD. - Madame Gargamelle et le Sergent Bois-Sec étaient témoin...

PIQUE-PRUNE. - Bon, bon, admettons... Et je te dois combien ?

GRENOUILLARD. - Comme vous me faites tenir la comptabilité de l'atelier, je peux vous le dire. Je vous ai rapporté jusqu'à présent, en bénéfice net, une fois retiré le prix du tissu, des accessoires et du matériel... je vous ai rapporté quinze-mille pièces d'or. Vous m'en devez donc mille-cinq-cents.

PIQUE-PRUNE. - Mais je n'ai plus rien... J'ai tout mangé. Je n'ai rien à te donner, je ne te dois rien.

MADAME GARGAMELLE, entrant. - Comment, vous ne lui devez rien ? Je suis témoin de votre accord.

PIQUE-PRUNE. - Les propos d'une folle comme vous n'ont pas de valeur.

SERGENT BOIS-SEC, entrant. - Je suis aussi témoin, monsieur Pique-Prune !

PIQUE-PRUNE. - Témoin de quoi ? Vous deviez être saoul, comme à votre habitude !


Madame Gargamelle se battant.
 

MADAME GARGAMELLE. - Ah, vous venez de me traiter de folle ! (On la remplace par l'ombre articulée. Elle frappe Pique-Prune.)

SERGENT BOIS-SEC. - Et moi, vous me traitez d'ivrogne ?! Prenez-ça ! (Il frappe Pique-Prune.)


PIQUE-PRUNE. - Arrêtez, arrêtez, je retire tout ce que j'ai dit... Tout, vous m'entendez ?! Je m'engage à payer le garçon... mais... j'ai tout dépensé. (Les deux bosses disparaissent).


Pique-Prune guéri.
 

GRENOUILLARD. - Monsieur Pique-Prune j'ai une proposition à vous faire...


LE RIDEAU SE BAISSE ET SE LÈVE


CINQUIÈME TABLEAU : LA FIN


GRENOUILLARD est assis à table, PIQUE-PRUNE travaille.


GRENOUILLARD. - Oh, le bon pâté d'alouette. Avec ce petit vin de Bordeaux, c'est un velours.

PIQUE-PRUNE,
entrant. - Maître, est-il temps de manger ?


GRENOUILLARD. - Que non pas, que non pas, tu dois finir les costumes de monsieur Merluchette, les pyjamas de monsieur le maire, les chemises de monsieur le président du tribunal...

PIQUE-PRUNE. - Mais, maître...

GRENOUILLARD. - Ne t'avise pas de me répondre, retourne au travail.

PIQUE-PRUNE. - Pitié, maître, rien qu'un petit peu de pâté...


Pataud.

GRENOUILLARD. - Comment, tu volerais la nourriture à mon chien ? Ici, pataud. (Le chien entre). Tiens, mon bon toutou, mange un peu de ce succulent pâté. (À Pique-Prune). Tiens, prends donc un morceau de pain pour te soutenir et retourne au travail.

PIQUE-PRUNE. - Merci, maître...

GRENOUILLARD. - Et n'oublie pas : une fois que tu m'auras remboursé tout ce que tu me dois, nous deviendrons associés.

PIQUE-PRUNE. - Et je pourrai manger...

GRENOUILLARD. - Oui, tu pourras manger ce que tu auras gagné. (Pique-Prune sort.) Et voilà, tout est bien qui finit bien.


RIDEAU

 
 
 



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