THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

XVI. – LES ROIS SE TAISENT

Ô vous qui m'écoutez, ô Rois, Pasteurs des hommes
Je suis le Pèlerin Krüger qui vient vers vous.
On égorge mon peuple et j'implore à genoux
Votre pitié pour les malheureux que nous sommes.

Pitié pour mes soldats qui, jadis laboureurs,
Pour leur défendre sol ont quitté la charrue
Et d'une ardeur, par le péril sans cesse accrue,
Ont bravé saintement la guerre et ses horreurs.

Pitié pour les vieillards de qui les yeux en larmes
Pleurent sur les espoirs fauchés de leurs vieux ans,
Et qui, vers le Seigneur, soulèvent des impuissants,
Leurs torses amaigris, trop faibles pour les armes.

Hélas, dans leurs Amours ainsi que dans leur Foi,
Qui vous dira jamais ce que souffrent nos femmes,
Nos mères et nos sœurs : Empereurs et vous, Rois,
Pitié, tant de douleur doit émouvoir vos âmes.

Oh ! Pitié, mille fois pour notre pauvre enfant
Exilé dans ces camps où l'Anglais hypocrite
Préserver soi-disant sa faiblesse et l'abrite,
Quand il ne brûle pas la ferme en l'étouffant.

Pitié pour vous, hélas, et pour les autres hommes
Esclaves de l'honneur et de la loyauté,
Qui refusent, épris d'humaine dignité,
Une tache à leur âme et pour aucunes sommes.

Pitié pour toi, Jésus, qui fut crucifié
Parce que tu rêvas d'une haute doctrine ;
Pitié pour toi qui vois, de la droite divine
Où tu sièges, ton pauvre fils sacrifié...

Enfin, pitié pour Dieu, seul et dernier Refuge,
Pour le Père Éternel qui nous voit et nous juge...
Les Rois, les Empereurs, muets, semblaient dormir,
Et Krüger soupira : « Nous n'avons qu'à mourir ».

XVII. – KRÜGER ET VILHELMINE

Aveugle comme Œdipe et comme lui fatal,
Le vieux Krüger va vers la reine Wilhelmine.
Mais au suppliant qui s'incline :
« Je te salue au nom du vieux sol Ancestral,
Dit-elle, et si le Ciel, pour achever vos peines,
Réclamait ma couronne et le sang de mes veines,
Je les donnerais au Transvaal.

Je ne puis que prier, en évoquant l'Histoire :
Souviens-toi du duc d'Albe et du grand roi Louis
Et des Anglais et de tant d'autres, éblouis
Par mes aïeux qui sont les tiens devant la Gloire...
Sache qu'un tel flambeau ne s'éteint pas ainsi »...
Krüger baisa la main royale et dit : Merci.

XVIII. – LE CALME APRÈS L'ORAGE.

L'orage a disparu derrière la colline :
Sa pipe aux dents le fermier Boer songe ; il s'incline
Sous le poids du labeur et des ans révolus.
Mais tandis qu'il rêvait de ceux qui ne sont plus,
Voyant venir l'espoir des aurores prochaines,
Le chariot ployé sous la riche moisson,
Ses enfants qui lui font au cou de douces chaînes,
Il pense : le Seigneur a béni ma Maison.

                               Paris, Février 1902.

                                                                  Gabriel MONTOYA.
 
 



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