THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

JACQUELINE. - Ben ! laisse un peu faire aussi et ne m' presse pas tant. P't' être que ça viendra tout d'un coup, sans y songer. J' f'rai c' que j' pourrai ; mais i faut qu' ça vienne d' lui-même. Colas, écoute que j' te conte queuque chose qui va t' faire ben plaisir : i n'y a-t-un monsieur, tu sais ben c' monsieur qu'est l'écrivain chez l' notaire d' not canton et qui s'appelle monsieur Jolicœur. 

COLAS. - Eh! ben, quéqu' tu veux dire avec ton monsieur Jolicœur ?

JACQUELINE. - Ben ! j'avons causé tout à l'heure et m'a dit qui z'allait faire un voyage d' huit jours et pis après qui m' demanderait en mariage à ma mère. 

COLAS. - Quément, jarni !... m'es-tu pas promise ?...

JACQUELINE. - Ça ni fait rien, Colas ; si tu m'aimes ben, tu dois z'être ben aise que j' devienne madame Jolicœur.

COLAS. - Jarni, non !... J'aimons mieux t' voir crevée que d' te voir à un autre qu'à moi. 

JACQUELINE. - Va, va, Colas, ne t' mets pas en peine. Si j' sis madame, j' te ferai gagner queuque chose et t'apporteras du beurre et du fromage cheu nous. 

COLAS. - Ventreguienne ! J' n'y port'rai jamais ! quand i m' paierait deux fois autant... Est-ce donc comme ça qu' t'écoutes c' qu'on t' dit pour t'enjoler ? Morguienne ! Si j'avais su ça tantôt, je m's'rais ben gardé d' venir te voir. 

JACQUELINE. - Ah ! ben, tu peux ben t'en r'tourner si tu veux, c'est dit. 

COLAS. - Pis qu' c'est dit, c'est dit. J' m'en vas !

JACQUELINE. - Colas, n' te fâche pas. 

COLAS. - J' veux m' fâcher ! et t'es une vilaine, toi ! d'endurer qu'on t' cajole (il sort)

 

SCÈNE IX


JACQUELINE. - Tout d' même si c'était vrai qu' mossieu Jolicœur z'est l'un enjôleur, et qui m'a pas dit la vérité. Notre dince ! J'li pardonnerais jamais un coup pareil !... Mais j' pis pas penser qu' ça li soit v'nu tant seulement t'a l'idée... I m'avait pas l'air d' ça !


SCÈNE X


MATHURINE, JACQUELINE.

JACQUELINE. - Vous v'là de r'tour ma mère ?

MATHURINE. - Oui, de r'tour ! C'est ti ici qu' tu soignes not' lard ? Voyons, j' parie qu' t'as laissé aller la soupe dans l' feu (elle avance vers le pot au feu). Ah ! Jésusse ! Maria ! Credo... miséricorde divine ! t'a laissé manger no lard ! 

JACQUELINE. - Quément !... c'est pas possible !... j'ai pas quitté la maison. 

MATHURINE. - Tiens, vois-tu, vois-tu les pattes à ce matou qui sont resquées marquées d' graisse sur l' cariau ?

JACQUELINE. - J'sais pas quément qu'il a pu faire c' coup là !

MATHURINE. - J' m'en vas te l' dire, petite morveuse que t'es : c'est qu' t'a passé ton temps à z'écouter ces enjoleux. 

JACQUELINE. - Ces enjoleux !... C'est des mentiries ça !

MATHURINE. - C'est des mentiries ?.. J'ai ti pas rencontré tout à l'heure Colas qu'avait la larme à l’œil : « Que qu' t'as comme ça, Colas, que j'li dis. — C'est rien, ma cousine, qu'i m' répond. — Tas queuque chose, j'en sis ben sûre, que j'li dis, pisque tu pleures. J' parie qu' c'est encore c'te Jacqueline qui t'a contrarié. — Tout juste, qui m'dit, j' veux pu la voir... » Et pis le v'là qui s' déboute l' cœur en m' racontant qu' t'as mis ton idée dans c't' écrivain qu'est t'un enjoleux d' première force... C'est ti vrai ça ?

JACQUELINE. - Monsieur Jolicœur n'est pas un enjoleux, pis qui m'a promis d' vous faire la demande sous huit jours. 

MATHURINE. - Li !... Ah ! sac à papier ! i n'a qu'à v'nir ; i s'ra ben r'çu ! J' veux pas, moi qu' ça soit... j'aimerais mieux qu' tu deviennes citrouille ou navet pus tôt qu' tu sois madame Jolicœur. I manquerait pus qu' ça pour t' faire rire au nez d' tous nos gens dans c' village : « Voyez-vous, dirait-on, cette madame Jolicœur, qui fait tant la glorieuse ! C'est la fille d' Mathurine, bien euré Plantard qu'était trop heureuse, étant p'tite de jouer zavec nous. Ça n'a pas toujours été si r'levé que la voilà et ses deux grands pères, i zétions marchands d'allumettes... On n' devient guère si riche à être honnêtes gens. » Non, je n' veux pas d' tous ces caquets là ! Et qu'est-ce que j' s'rai, moi, si t'es madame Jolicœur ? I n' faudrait pus qu' ça .. Ah ! i n'a qu'à v'nir. Rien qu' d'en parler, j'en ai la colique... et i m' semble qu' j'ai dîné quand je l' vois. Non, non, non, non ! et si faut te l' répéter d'ici à demain matin, j te dirai toujours non, entends-tu ?... 

JACQUELINE. - Mais, ma mère, que qu'y va m' dire si j'li fais r'fus ?

MATHURINE. - J' me fiche pas mal de c'qui dira; i a pas là d' quoi t' casser la tête. . Et quoi qu' tu veux qui t' dïse quand ti li diras qu' c'est ma volonté. C'est pas d'aujourd'hui que j' t'avons dit d' met' ton idée dans Colas, un honnête garçon du bon Dieu, qu' ça travaille comme un ch'val et qu' c'est rangé comme un carré d'oignons. J' n'entends pas qu' tu t' rembarres de la sorte, t'entends-tu.... C'est li qui s'ra ton mari et pour du coup, j' vas t' faire afficher pas pus tard que d'main, qu'est dimanche. 

JACQUELINE. - Mais, ma mère, l' père à Colas, zé ti consentant ? 

MATHURINE. - Not' cousin Guillaume ?... J' crois ben, pisque j'sors de li donner parole et qu' c'est fixé za lundi en huit la noce. Pis que j' te dis que d'main ça s'ra premier et dernier banni. 

JACQUELINE. - Pis qu' c'est vot' volonté, ma mère, ça m' fait plaisir et j' veux plus t'y penser t'à monsieur Jolicœur. Mais, ma mère, s'ra-t-y pas d' la noce ?

MATHURINE. - Li, d' la noce ! J' li permets de s' chauffer toute la sainte journée au soleil. J'veux pas tant seulement qu' tu m' prononces c' mot-là d' ta vie (elle regarde vers rentrée du village). Juste, v'la v'nir not' cousin Guillaume en compagnie d' père Jérôme qu'est d' la fabrique et pis Colas qui court d'vant. Tant mieux ! J'allons tout d' suite bâcler ça par écrit, et pis, qu' ça chauffe ! faut t'en finir. Allons, va-t-en dans l' cellier nous tirer une cruche d' cidre. Je m'en vas, moi, mets l' pain sur la table, et pis qu' t'as laissé manger no lard y a-t-encore un morceau d' fromage que j' pourrons ben présenter pour les régaler (Jacqueline rentre).



SCÈNE XI 

COLAS, MATHURINE.


COLAS. - Ah ! j' sis rendu ! 

MATHURINE. - Te v'là men fieu et ten père y n' vient-y pas ? 

COLAS. - L' v'là qui m' suit... J'ons toujours couru d'vant pour savoir si son himeur aile était changée.

MATHURINE. - Va-t-en ! va t en dans l' cellier... T' vas la trouver là qui t'attend. C'est des fâcheries d'enfant, ça ! Ça peut pas t'nir longtemps. 

     (Colas rentre).

 

SCÈNE XII


GUILLAUME, JÉRÔME, MATHURINE.

GUILLAUME. - Cousine, j' vous baille l' bonjour. 

JÉRÔME. - Et moi d' même, mère Plantard. 

MATHURINE. - Bonjour, nos gens. Allons nous bâcler ça tout d' suite par écrit ?

GUILLAUME. - V'là l' père Jérôme qu' j'amène tout exprès pour ça ? J'avons pas tardé d'pis tout à l'heure que j' vous ai vue.


MATHURINE. - Non. Allons, nos gens, entrez dans no maison. J' vas vous faire servir à boire et à manger.

(Ils rentrent tous).
 

ACTE DEUXIÈME

 

SCÈNE I


MATHURINE. - Ah ! monguieu, que d'affaires ! que d' tracas ! que d'embarras pour un jour de noce. D' nos temps, c'était pas tant d' train... V'là pourtant tout qu'est préparé. J' n'attendons plus que ces violons pour conduire c'te p'tite à l'église. Mafigue ! c'est ti pas c' monsieur Jolicœur qui vient ? I manquait pus qu' ça pour me faire chavirer là tête. J' vas li parler tout d' même. J' crains pas pus li qu'si c'était tout autre, dame !

 

SCÈNE II


JOLICOEUR,  MATHURINE.


JOLICOEUR. - Bonjour, la mère Plantard, comment vous portez-vous ?

MATHURINE. - Je m' porte sur mes deux jambes. 

JOLICOEUR. - Vous ne me semblez pas de bonne humeur, la mère Plantard. Qu'avez-vous donc comme ça ?

MATHURINE. - J'ai, j'ai... j'ai la tête plus grosse que l' poing. 

JOLICOEUR. - Mademoiselle votre fille, où est-elle ?... Je ne la vois point. 

MATHURINE. - Ma fille est bien où elle est. 

JOLICOEUR. - Je pense, mère Plantard, que vous avez eu bien des amoureux dans votre jeune âge, belle et d'agréable humeur comme sous étiez. 

MATHURINE. - Palsanguienne, monsieur, j' suis pas déjà décrépite et la tête ne m' grouille pas encore.

JOLICOEUR. - Oh ! ma foi, mère Plantard, je vous demande pardon, je ne songeais pas que vous étiez encore jeune. Je rêvais sans doute en vous parlant. 

MATHURINE. - Ah ! vous rêviez ! Pis qu' c'est rêver qu' vous faites quand vous parlez, j' suis pas d'avis, moi, d' rester là à vous écouter. Stapendant si vous voulez d' la compagnie, j' m'en vas vous envoyer mon gendre qu'est gai aujourd'hui comme un pinson sur la branche. Pour quant à moi, j'ons pas d' temps à perdre, pis qu' c'est à midi la noce (elle sort).


SCÈNE III


JOLICOEUR. - Son gendre.. à midi la noce !... Qu'est-ce que tout cela signifie ? Sa fille serait-elle au moment de se marier... sans doute avec ce Colas dont elle m'a parlé ! Le voici qui vient, je ne me suis pas trompé.


 

SCÈNE IV


JOLICOEUR, COLAS.


COLAS. - Ah ! vous v'là monsieur Jolicœur ! J' sis t'en vérité ravi d' l'occasion qu'est pour moi d' faire vot' connaissance. 

JOLICOEUR. - Je n'ai rien à démêler avec les gens de votre espèce. 

COLAS. - Les gens d' mon espèce !... Ça vous plaît à dire, monsieur Jolicœur... Pourquoi donc qu' vous aviez tant appétit d' nos accordées ? Ça convient-y ça, à un monsieur comme vous ?

JOLICOEUR. - Impertinent ! Rustre !

COLAS. - J'sis l'un impertinent, si vous voulez, j' sis-t-un rustre aussi, mais tout rustre que j' sis y n'empêche pas que j connaissons vos manigances, et que s'is pas d'himeur à nous laisser à not' barbe, ravir nos accordées.

JOLICOEUR. - Manant ! Je ne sais qui me retient pour te fermer la bouche. 


COLAS. - Tout doucement, monsieur Jolicœur, vous allez gagner la purésie à vous échauffer comme ça. J'en ai vu ben d'autres que vous, voyez-vous et tenez-vous, car j' pourrions bien vous montrer que sis pas t'encore manchot. C'est pour vous dire que sis pas l'endurant et qu 'ça s'ra ben agir à vous que d' vous retirer. 

JOLICOEUR. - C'est le parti que j'aurais dû déjà prendre au lieu d'écouter tes impertinences. 

COLAS. - J' vous en ai pas tant dit qu' vous m'en avez dit sous même ; car voyez-vous, j' sis pas méchant, moi, tant qu'on n'vient pas m' remuer la bile, et pis qu' Jacqueline est à moi, pis qu' c'est déjà bâclé par écrit, pis qu' j'allons nous présenter tout à l'heure à l'église, vous n'avez qu' faire d'y penser et j' vous dis à r'voir monsieur Jolicœur.


SCÈNE V


JOLICOEUR. - Ce drôle a bien fait de se retirer, je commençais à prendre de l'humeur. Quant à ce mariage je n'en suis pas affligé, et mon parti est déjà pris de n'y plus songer.


 

 
 



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