THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

(Lucie sort.)
 

SCÈNE  V. 
 

ALCOFRIBAS. - Je suis sans nouvelles des messagers que j'ai envoyés dans les quatre parties du monde. (Coup de tam-tam.) Ah ! ce coup de tam-tam m'annonce l'arrivée de Calcium. (Haut.) Entre, Calcium. 
 

SCÈNE  VI. 
 

ALCOFRIBAS,  CALCIUM. 
 

     Ce dernier porte une grande hotte dans laquelle sont quatre enfants.

CALCIUM. - Me voici. 

ALCOFRIBAS. - Eh bien ? 

CALCIUM. - Vous le voyez, docte Alcofribas, vos ordres ont été exécutés. 

ALCOFRIBAS. Ainsi, les quatre enfants que j'aperçois dans ta hotte...? 

CALCIUM. - Sont les plus paresseux de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique. 

LES ENFANTS, pleurant. -  Hi ! Hi l Hi ! 

CALCIUM, sautant. - Silence !

LES ENFANTS. - Hi ! Hi ! Hi ! 

ALCOFRIBAS. - Je ne leur en fais pas mon compliment !

LES ENFANTS, pleurant. - Hi ! Hi ! Hi ! Grâce, monsieur l'enchanteur ! 

ALCOFRIBAS. - La paresse est un vilain défaut, un défaut dont on doit se corriger sous peine d'être un jour un ignorant et un sot, à charge à soi et aux autres. 

LES ENFANTS. - Hi ! Hi ! Hi ! 

ALCOFRIBAS. - Quand l'instruction coule pour tous comme une eau limpide et bienfaisante, nul ne doit être paresseux ! 

CALCIUM. - Faut-il les fouetter bien fort, avec des orties trempées dans du vinaigre ? 

ALCOFRIBAS. - Attends. (Aux enfants.) N'avez-vous donc jamais entendu parler d'enfants de votre âge qui étaient déjà très instruits et qui, plus tard, ont été la gloire et l'honneur de leur patrie ? 

LES ENFANTS. - Jamais ! Hi ! Hi ! Hi ! 

ALCOFRIBAS. - Sachez, qu'à l'âge de dix ans, Pic de la Mirandole était placé au premier rang des poètes et des orateurs de son temps ; que Blaise Pascal fit à seize ans un traité des sections coniques, et que l'illustre Lavoisier, avant de sortir du collège, approfondissait l'astronomie et les mathématiques, tout en pratiquant la chimie qui allait lui devoir des découvertes admirables, et tout en suivant son professeur, Bernard de Jussieu, dans ses herborisations et démonstrations de botanique. 

LES ENFANTS, pleurant. -  Hi ! Hi ! Hi !  Nous n'avons rien fait ! Nous n'avons jamais rien fait ! 

ALCOFRIBAS. - C'est bien ce que je vous reproche. Aussi serez- vous pendant huit jours au pain sec ! Allez ! 

LES ENFANTS, pleurant. -  Hi ! Hi ! Hi !

(Calcium sort.) 
 

SCÈNE  VII. 
 

ALCOFRIBAS. - J'aurais pu leur citer d'autres exemples : Clément Marot, Racine, Bossuet, Voltaire, Victor Hugo, mais je ne veux point passer pour pédant. 

LA VOIX DE MAGNESIUM, dans la coulisse. - Attends, attends, petit drôle, tu ne m'échapperas pas. 

ALCOFRIBAS. - Qu'est-ce encore ? 
 

SCÈNE  VIII. 
 

ALCOFRIBAS, MAGNÉSIUM, poursuivant un petit garçon

MAGNÉSIUM. - Illustre magicien, ce petit paresseux, qui répond au nom peu poétique de Camusot Têtu, et que j'ai cueilli à Paris, rue des Enfants-Rouges, s'est évadé et ne veut ni se soumettre au pain sec, ni réintégrer la hotte. 

ALCOFRIBAS. - Oh ! Oh ! Paresseux et indocile ! Ceci mérite une punition exemplaire. Allez, maître Aliboron. 

(Il change en âne le petit garçon.) 

LE  PETIT  GARÇON. - Hi ! Han !... Hi ! Han !

ALCOFRIBAS. - Emmène-le, Magnésium. 

     (Magnésium pousse devant lui le petit garçon, qui sort en criant : Hi ! Han !
 

SCÈNE  IX
 

ALCOFRIBAS, puis LA BERGERE. 
 

ALCOFRIBAS. - Terminons notre toilette. 

LA BERGÈRE. - Monsieur le magicien... 

ALCOFRIBAS. - Hein ! qui entre ici sans se faire annoncer ? 

LA BERGÈRE. - Je suis la jeune et jolie Rosette, la sœur du petit Camusot Têtu. 

ALCOFRIBAS. - Et vous venez pour me féliciter de la punition que j'ai infligée à votre frère. 

LA BERGÈRE. - Au contraire ! je viens me plaindre du traitement épouvantable qu'on lui fait subir. 

ALCOFRIBAS. - Etes-vous paresseuse, ma chère enfant ? 

LA BERGÈRE. - Oh ! non, monsieur le magicien... D'abord je n'ai pas un seul défaut ! pas un ! 

ALCOFRIBAS. - Pas un ! Je vous félicite sincèrement. Mais, pour- quoi ce costume, qui ne sied guère à une jeune fille laborieuse ? Pourquoi ce chapeau posé sur l'oreille ?

LA BERGÈRE. - Dame ! quand on est gentillette, on aime à se parer, à porter des toilettes fraîches et charmantes. 

ALCOFRIBAS. - Ce qui vent dire que vous êtes aussi coquette que tous êtes orgueilleuse. Pour vous corriger de ces deux travers, qui ne sont pas des travers sains... soyez changée en chatte ! 

(Coup de tam-tam : la bergère est changée en chatte.) 

LA BERGÈRE . - Miaou !... miaou ! 

air : La petite Cendrillon, 

Hélas ! pauvre infortunée,
Que vais-je donc devenir ?
Eu chatte être transformée !
Quel sera mon avenir ?
Aux souris faire la guerre,
Tout le jour, comme un matou :
Cela ne me sourit... guère:
Pitié ! pitié ! Mia mia ou ! 

ALCOFRIBAS. - Allons, je m'attendris ; je consens à vous rendre votre première forme. 

     (Coup de tam-tam : la bergère disparait ; elle est remplacée par une jeune fille tenant une rose à la main.

LA JEUNE  FILLE. - Ah ! Merci !.. Mais que vois-je ? comme je suis fagotée ! quel affreux jupon ! je n'oserai jamais sortir ainsi. 

ALCOFRIBAS. - Aussi ne sortirez-vous pas de huit jours, et, pour vous en empêcher, voici une petite cage de ma façon, qui vous retiendra à la maison. 

     (Coup de tam-tam : la jeune fille est enfermée dans une cage.) 

LA  JEUNE  FILLE. - Grâce !... grâce ! pitié. 

ALCOFRIBAS. - Paix ! ses cris me rendront sourd ! Holà ! Diables, mes fidèles serviteurs ! qu'on l'emporte et qu'on la reconduise près de son aimable frère, rue des Enfants-Rouges. 

     (Coup de tam-tam : les Diables emportent la cage.)
 

SCÈNE  X. 
 

ALCOFRIBAS, seul. - Ah ! la profession de magicien n'est pas une sinécure ! 
 

SCÈNE  XI. 
 

ALCOFRIBAS,  LA  REINE  BAMBOULA. 

LA  REINE. - Illustre magicien, tu vois devant toi la reine Bambouli-Bamboula, qui vient solliciter une faveur insigne. 

ALC0FRIBAS. - Parle. 

LA  REINE. Mes sujets ne sont pas toujours sages : ils ont parfois des velléités d'indépendance ! Je n'ai pas la tête assez forte pour leur résister. Je voudrais leur faire comprendre que je suis bien au-dessus d'eux. 

ALCOFRIBAS. - Rien de plus facile, noble Bambouli-Bamboula. 

(Coup de tam-tam : la tête de la reine s'allonge.) 

LA  REINE. - Ah ! Quel cou ! quel grand cou ! vous me donnez un coup terrible !

ALCOFRIBAS. - De cette façon, tu seras bien au-dessus de tes sujets. Voilà comme, des problèmes les plus difficiles, un magicien sort avec art ! Celui-là était insoluble : Alcofribas avec art en sort ! 

(La Reine sort.)
 

SCÈNE  XII.
 

ALCOFRIBAS. - Maintenant je n'y suis pour personne. Je vais me retremper dans la fontaine de Jouvence. (Coup de tam-tam ; une superbe fontaine sort de terre.) Coule pour moi, fontaine de Jouvence ; je veux redevenir, par la vertu de l'eau de Jouvence, un Jouvenc — eau l
 

(La fontaine coule — la toile tombe.) 
 


source :http://archive.org/details/lethatredesomb00guig


D'autres pièces du théâtre Séraphin sont disponibles à partir de :
http://ombres-et-silhouettes.wifeo.com/seraphin.php

Une autre pièce, sur le même thème, a été écrite par MTT :
http://ombres-et-silhouettes.wifeo.com/rotomago.php




 
 
 



Créer un site
Créer un site