THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES


ROTOMAGO,

ou

LA CAVERNE ENCHANTÉE.

SCÈNES MÊLÉES DE COUPLETS.

par MTT

 

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55250647.r=ombres+chinoises.langFR

Acofribas Rotomago Séraphin planche d`ombres théâtre d`ombres ombres chinoises silhouettes marionnettes


Acofribas Rotomago Séraphin planche d`ombres théâtre d`ombres ombres chinoises silhouettes marionnettes
 

Le théâtre représente une caverne profonde, dont les voûtes sont soutenue! ; par divers piliers, distribués de manière à former plusieurs sinuosités.


PERSONNAGES.


ROTOMAGO, magicien

BLAISE, amant de Perrette.

PERRETTE, jeune villageoise.

BRISE-TOUT, chef de voleurs.

CASSE-BRAS, son lieutenant.

UN GENDARME à cheval.

DIABLES.

Transformations.

La scène se passe dans les Ardennes.

 


SCÈNE  PREMIÈRE

BRISE-TOUT, seul, entrant par la gauche.



Brise-Tout
http://www.cineressources.net/images/ouv_num/072.pdf

BRISE-TOUT. - L'heureux séjour pour une bande de voleurs, qu'une caverne aussi spacieuse et aussi écartée ! Si j'eusse voulu écouter les camarades, nous n'en eussions point fait notre demeure, à cause des enchantements du magicien Rotomago qui l'habite comme nous, mais dont le pouvoir comme celui de bien d'autres, ne s'étend point au-delà du présent. Ma foi, nous eussions fait une école, car on ne peut être plus en sûreté qu'ici ; et quant à Rotomago, que nous ne connaissons encore que de réputation, il ne m'inspire aucune crainte, et je ne pense pas qu'il s'avise de nous tourmenter par des évocations que je ne soupçonne pas fort merveilleuses. Peut-être est-ce un bon anachorète qui, à l'aide de quelque charlatanisme, aura fasciné les yeux d'un benêt de paysan, qui n'aura eu rien de plus pressé que d'aller prôner la science infuse du fameux magicien. Cela ne m'étonnerait point : voilà comme s'établissent aujourd'hui la plupart des réputations.
 

Air : Traitant l'amour sans pitié.


Que de réputations
Sont ici-bas usurpées,
Et dans toutes les contrées
Naissent des occasions.
Par des sauts incomparables,
Par dès cures admirables,
Des calculs inconcevables,
On surprend nos érudits ;
Mais la vérité nous gagne,
Et, bientôt chaque montagne
Accouche d'une souris. (bis.)


Au surplus, je verrai ce Rotomago, et je me fais fort de l'incorporer dans notre troupe, il nous divertira. Mais voici Casse-Bras ; il vient sans doute me communiquer le rapport des opérations de la nuit.



SCÈNE  II

BRISE-TOUT,  CASSE-BRAS, entrant par la droite.


Casse-Bras
http://www.cineressources.net/images/ouv_num/072.pdf


BRISE-TOUT. - Eh ! bien, Casse-Bras, quelles nouvelles ?


CASSE-BRAS. - Pendez-vous, mon capitaine : nous avons attaqué la diligence de Sedan, et vous n'étiez pas à notre tête.


BRISE-TOUT. - Ah ! Ah !... eh bien ?


CASSE-BRAS. - Excellente prise !


BRISE-TOUT. - Tu plaisantes !

CASSE-BRAS. - Non pas : vingt mille euros, sans compter le menu.
 

BRISE-TOUT. - Nos dépenses ?...


CASSE-BRAS. - Presque nulles : trois coups de pistolet.


BRISE-TOUT. - Nos pertes ?...


CASSE-BRAS. - Aucune ; mais seulement quelques blessures.


BRISE-TOUT. - Voilà qui est extraordinaire, une diligence toujours si pauvre !.. Je t'assure qu'en dirigeant la moitié de ma troupe de ce côté, je ne m'attendais pas à un pareil résultat.


CASSE-BRAS. - C'est que vous ne réfléchissiez point, sans doute, aux expositions de draps.


BRISE-TOUT. - Je ne vois pas quel rapport...


CASSE-BRAS. - Ah ! quel rapport ! Il y en a beaucoup. Depuis qu'un de nos meilleurs manufacturiers s'est avisé d'exposer son drap chez lui, plusieurs de ses confrères ont voulu en faire autant. Tout Paris, séduit par le rabais, joint à l'excellente qualité, courait à ces expositions, et c'est probablement le produit d'une de ces ventes forcées que nous venons de nous approprier. Ajoutez à cela que ces messieurs, pour n'en pas perdre l'habitude, avaient aussi fait une exposition de leurs draps dans les coffres de la diligence...


BRISE-TOUT. - Et tu en as fait ton profit ?


CASSE-BRAS. - Certainement, mon capitaine : ne faut-il pas se mettre à la mode ? Je me suis dit : pourquoi n'aurions-nous pas aussi notre exposition, nous ? Et là-dessus j'ai étalé toutes les pièces dans notre magasin ; et grâce à cette merveilleuse capture, la bande est habillée pour longtemps.


BRISE-TOUT. - Fort bien, lieutenant. Je n'attendais pas moins de ton adresse et de ta bravoure. Ce soir, il y aura paye extraordinaire et fête à la caverne.


CASSE-BRAS. - Ah ! ça, mon capitaine, et vous, qu'avez-vous fait de bon cette nuit ? Vous ne me dites rien de votre expédition.

BRISE-TOUT. - Ah ! moi, je n'ai pas eu le même bonheur.


CASSE-BRAS. - Je m'en doutais, car vous aviez la langue morte.


BRISE-TOUT. - J'avais formé le projet de surprendre la chaise de poste d’un milord qui, d'après quelques renseignements que j'avais eus, devait passer vers minuit dans ces parages. Le voyageur n'était accompagné que de deux valets et d'un postillon, et il devait avoir en portefeuille quelques milliers de francs. Le diable s'en mêla ; la chaise fut probablement retardée, et lorsque je crus m'élancer sur elle, je m'aperçus que je n'attaquais que la patache de Mézières.


CASSE-BRAS , riant aux éclats. - Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! le tour est excellent !
 

BRISE-TOUT. - Juge de ma déconfiture, lorsque, maître de cette misérable voiture, je n'en pus faire sortir qu'un poète, un peintre, et quatre comédiens ambulants.
 

CASSE-BRAS, riant encore. - Ah ! Ah ! Ah ! des financiers de Thalie... et tous fournis d'argent.
 

BRISE-TOUT. - Comme des poissons de plumes. Interrogés sur le lieu de leur destination, ils me dirent qu'ils allaient jouer des proverbes à la préfecture de Mézières, à l'occasion d'une fête ; fouillés, sans en excepter un seul, ils ne nous ont laissé propriétaires que de deux louis et de trois montres d'argent.


CASSE-BRAS. - C'est jouer de malheur.


BRISE-TOUT. - Aussi, dédaignant une telle prise, j'ai voulu acheter leur discrétion au prix de leurs dépouilles; je leur ai tout rendu, et leur ai donné en outre un sauf-conduit, dans le cas où ils seraient attaqués de nouveau par quelques-uns des nôtres.


CASSE-BRAS. - C'est bien ça, capitaine; c'est fort bien, et je vous reconnais là : la grandeur d'âme et la valeur sont toujours inséparables.


BRISE-TOUT. - Tu es flatteur, Casse-Bras, je ne te connaissais pas ce défaut.

CASSE-BRAS. - Non, mon capitaine, je ne vous flatte point, je vous dis la vérité ; tant mieux pour vous quand elle est agréable.

BRISE-TOUT. - Elle me le sera toujours. Allons, qu'on se divertisse en l'honneur de tes exploits : j'accorde trente-six heures de repos à la troupe, va toi-même lui annoncer cette bonne nouvelle.

CASSE-BRAS. - J'accepte avec reconnaissance l'hommage que vous voulez bien me rendre, capitaine ; mais avant d'en instruire la bande, j'ai une grâce à vous demander.

BRISE-TOUT. - Parle.

CASSE-BRAS. - Si vous voulez m'en croire, nous plierons bagage.


BRISE-TOUT. - Sortir d'ici, et pourquoi ?

CASSE-BRAS. - Nous n'y sommes pas en sûreté.

BRISE-TOUT. - Je te devine ; tu veux me parler de Rotomago ?

CASSE-BRAS. - Précisément.

Air : J'ai vu partout dans mes voyages.

Vraiment, cet homme m'intimide
Et m'inspire de la terreur ;
Avec Satan il coïncide,
Il en obtient quelque faveur ;
Son voisinage est redoutable,
Ah ! cherchons un autre séjour :
S'il nous jouait un tour de diable,
Ce serait un diable de tour.

BRISE-TOUT. - Laisse donc, je ne le crois pas plus malin que toi et moi, et nous sommes en force.

CASSE-BRAS. - Eh ! que peut la force contre des enchantements ? Savez- vous que ce maudit sorcier est capable de nous envoyer aux antipodes d'un seul coup de baguette ?


BRISE-TOUT. - Que tu es simple, mon pauvre Casse-Bras ? C'est un homme comme nous, qui n'a pas plus que nous le privilège d'opérer des merveilles et de produire le surnaturel ; son adresse et la stupidité de ses spectateurs composent tout son mérite.

Air: Du Ménage du Garçon.

Chez une nation sauvage,
S'il venait un escamoteur,
On admirerait son ouvrage,
De même ici, dans son adresse
Rotomago trouve son bien :
De l'imbécile, la faiblesse
Fait la force du magicien.


 
 



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