THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

Scène 4°. Un muletier assène à Don Quichotte de formidables coups de bâton. (sujets 5 et 6.)
 

     L'occasion ne tarda pas à s'en présenter. A un détour du chemin, il rencontra une troupe de marchands transportant des marchandises à dos de mulets. "Halte-là ! s'écria Don Quichotte. Confessez que Don Quichotte est le plus brave des Chevaliers du Monde ou vous ne passerez pas !"

     Les marchands s'arrêtèrent à considérer ce personnage bizarre et l'un d'eux répondit : "Nous sommes disposés à confesser que Don Quichotte est le plus brave des Chevaliers du Monde mais nous voudrions, auparavant, qu'il nous en donnât la preuve !" A ces mots, Don Quichotte fonça, lance baissée, contre celui qui avait pris la parole. Malheureusement, Rossinante fit un faux pas et roula sur le sol avec son maître. Un immense éclat de rire s'en suivit.

     Don Quichotte, que cette chute avait meurtri, ne pouvait se relever tant il était embarrassé dans son armure. "Lâches, criait-il, c'est par la faute de mon cheval que je suis par terre !" Un des muletiers de la suite des marchands ne put souffrir cette injure et fit tomber sur l'infortuné Chevalier une grêle de coups de bâton.

     Après le départ des marchands, Don Quichotte resta, deux heures durant, sur le champ de bataille, plus mort que vif. Enfin, il parvint à se relever sur sa monture. Découragé, il résolut de ne pas prolonger davantage sa vie d'aventures et de retourner à son village.

Scène 5. La gouvernante de Don Quichotte brûle les romans de Chevalerie qui firent tourner la tête à son maître. (sujets 2 et 8.)

 
       
     La gouvernante de Don Quichotte n'avait pas été surprise, outre mesure, de la fugue de son maître. Prise d'un pressentiment, elle était allée à l'écurie et au grenier où elle avait constaté la disparition de la vieille lance et du vieux cheval. "Certainement, s'était-elle dit, ces maudits romans ont fait tourner la tête de mon maître. Il a rêvé d'égaler les héros de ses lectures et il est parti, en quête de prouesses et de gloire !" Et elle s'était consolée à la pensée que Don Quichotte serait bien vite fatigué du métier de Chevalier errant et qu'il ne tarderait pas à lui revenir.

     En la revoyant, Don Quichotte se mit à tenir des propos incohérents ; il disait, notamment, qu'il avait combattu dix géants et que, très fatigué, il avait hâte d'aller au lit. La bonne femme ne répondit rien qui pût contrarier son maître mais, dès que celui-ci se fut endormi, elle s'empara de tous les livres qui avaient détraqué la cervelle du Chevalier et y mit le feu.

     A son réveil, Don Quichotte courut à sa bibliothèque. Quel ne fut pas son désespoir en constatant la disparition de ses romans ! Sa gouvernante lui expliqua que, pendant son absence, un puissant enchanteur était venu les enlever, ce à quoi Don Quichotte répondit qu'il provoquerait le ravisseur et le transpercerait de son plus beau coup de lance.

 
Acte II
 
Scène 1°. Don Quichotte, suivi de son fidèle écuyer Sancho Pança, reprend le cours de ses glorieuses destinées. (sujets 2 et 8).
 

     Contrairement à ce qu'avait espéré la gouvernante, Don Quichotte était loin d'être guéri. Secrètement, il prenait toutes dispositions en vue d'une nouvelle équipée. Se souvenant qu'un chevalier errant, digne de ce nom, était toujours accompagné d'un écuyer, il décida un pauvre laboureur, du nom de Sancho Pança, à le suivre, monté sur un âne, en cette qualité. Et, un beau matin, tous deux partirent sans dire adieu à quiconque.

Scène 2°. Don Quichotte combat les moulins à vent. (sujets 9 et 10).


 

 
     Tout en cheminant, Don Quichotte aperçut une trentaine de moulins à vent en mouvement. "Ami Sancho, s'écria-t-il, la fortune nous guide. Voici de mauvais géants auxquels je prétends ôter la vie!" Sancho Pança s'efforça, en vain, de persuader son maître qu'il se trouvait en face, non pas d'êtres humains, mais de moulins à vent. Don Quichotte lui répondit que ces géants étaient tout simplement camouflés et qu'il fallait être bien nigaud pour se laisser prendre à un stratagème aussi grossier. Et, la lance en arrêt, il s'élança de toute la force de Rossinante, contre le plus proche des moulins. Une aile, en tournant, eut tôt fait d'envoyer cavalier et monture à dix mètres plus loin.
 
Scène 3°. Sancho Pança vient au secours de son maître. (sujets 6 et 8).


 
     De loin, Sancho Pança avait, impuissant, suivi toutes les péripéties du drame. Il accourut au grand trot de son âne et trouva que son maître était en bien piteux état ! "Ne vous avais-je pas prévenu, dit-il, que ce que vous alliez combattre n'était autre chose que des moulins à vent ? -- Ah, Sancho, répliqua Don Quichotte, tu n'es guère expert en matière de Chevalerie ! Ces lâches se sont changés en moulins à vent pour m'ôter la gloire de les avoir vaincus !"

     Sancho Pança aida son maître à se relever et fit tant qu'il parvint à le monter sur Rossinante.

Scène 4. Don Quichotte charge un troupeau de moutons.sujets 9 et 11).

 

     Cela fait, nos deux aventurieurs poursuivirent leur chemin. Ils arrivèrent, comme la nuit tombait, dans une belle prairie. Exténués de fatigue, tiraillés par la faim, ils ne se sentirent pas le courage d'aller jusqu'à l'hôtellerie prochaine. Ils attachèrent Rossinante à un arbre sous lequel ils s'endormirent après avoir mangé de bon appétit. Quant à l'âne, il avait obtenu la liberté de paître en paix. Il profita d'ailleurs de la confiance qu'on lui avait imprudemment témoignée pour prendre le large et devenir un âne indépendant.

     Toute la nuit, Don Quichotte rêva à des géants : son bras vengeur les terrassait un à un et même tous à la fois. Quand, à l'aube, ils ouvrirent les yeux, ils constatèrent, non sans émoi, la disparition de l'âne. A quelques centaines de mètres de là, des moutons paissaient, avec délices, l'herbe tendre. Don Quichotte les aperçut. "Que les dieux soient loués, s'écria-t-il !... Ils daignent m'envoyer à nouveau les géants et m'offrir l'occasion de laver dans leur sang l'outrage qu'ils m'ont fait. -- Monseigneur, observa Sancho Pança, ces moutons que vous voyez ne sont pas plus des géants que ne l'étaient hier les moulins à vent. -- Imbécile, vociféra Don Quichotte, comment ne vois-tu pas que ces lâches ont volé ton âne et qu'ils ont pris, par peur, figures de moutons ?... Reste sous cet arbre et abstiens-toi de me suivre car, à vaincre sans péril, je trompherais sans gloire !"

     En disant ces mots, Don Quichotte, qu'un sommeil salutaire avait rendu dispos, enfourcha Rossinante et se lança sur les moutons avec toute la fougue dont il était encore capable. Les pauvres bêtes s'enfuirent épouvantées. Bientôt, quatre gros chiens s'élancèrent à la poursuite de l'intrus et, plantant leurs crocs dans ses jarrets, le désarçonnèrent. Ils l'auraient certainement dévoré si le berger et Sancho Pança n'étaient accouru le délivrer.
 
Scène 5°. Sancho pança ramène son maître guéri des folles aventures. (sujet 12).
 
     
     Sancho Pança se mit en devoir de panser son maître dont la douleur faisait pitié : "Je vais mourir, je vais mourir, répétait tristement Don Quichotte. -- Il n'y a rien qui presse, Monseigneur, répondait Sancho et vous n'avez aucune raison de rendre ici votre âme. Si vous voulez m'en croire, retournons au plus tôt au pays ; je redeviendrai laboureur et vous planterez des choux. -- Tu as raison, mon brave Sancho, murmura Don Quichotte, la Chevalerie errante, c'est très beau dans les livres, mais ce n'est pas, tant s'en faut, le parfait bonheur !"

     Sancho Pança ramassa délicatement l'infortuné héros, le plaça avec peine sur Rossinante et tous deux regagnèrent le village natal d'où ils étaient partis pleins de foi et d'enthousiasme.

     La gouvernante de Don Quichotte fit fête à son maître qu'elle avait toujours espéré revoir et lui prodigua les soins les plus dévoués. Dans toute la Manche, les livres de Chevalerie alimentèrent des feux de joie. Don Quichotte goûta, de longues années encore, les charmes incomparables de la vie champêtre et, quand il mourut, son barbier fit graver sur sa tombe l'épitaphe suivante :


 
     Passant, ici repose un héros fier et doux,
     Dont les nobles vertus égalaient la courage.
     Hélas ! s'il n'eût été le plus charmant des fous,
     On eût trouvé en lui, des humains, le plus sage.

     
FIN
 
 



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