Comment décrire la scène qui s'ensuivit ?
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Le roi lança sa couronne au plafond, comme vous y lancez votre casquette, écoliers, quand le maître vous annonce un jour de congé sur lequel vous ne comptiez pas. Il voulut presser la princesse sur son cœur, comme font tous les papas, même ceux qui portent une couronne, quand leur fille leur cause une grande satisfaction ; mais la princesse lui demanda grâce pour l'instant : elle n'avait pas encore fini de rire, et, si elle eût été serrée entre les bras paternels, certainement elle eût éprouvé un accès de suffocation qui eût pu lui être fatal. Le roi remit donc à un peu plus tard ce témoignage de sa tendresse paternelle ; mais ayant, pour l'instant, une explosion de joie à faire sortir, il se jeta au cou de Fritz, qu'il pressa sur son cœur, à la place de sa fille, et la tête du petit violoneux disparut sous le manteau royal, si bien que tous deux, roi et artiste, ne formèrent plus qu'une masse confuse, d'où émergeaient seulement un sceptre et un archet.
Pendant ce temps, tous les courtisans, d'abord un peu saisis, voyant le contentement du roi, avaient bien vite compris qu'ils devaient manifester un contentement semblable, et crurent devoir le témoigner en faisant chacun trois sauts de carpe et en criant : « Longue vie à Fritz, le maître violoneux ! »
Les laquais qui se tenaient aux portes, les domestiques qui remplissaient le palais, les sentinelles perchées sur la haute tour, les cuisiniers, les marmitons et les laveurs de vaisselle dans le sous-sol ; les caméristes dans l'appartement de la princesse ; les cochers, les palefreniers, les valets d'écurie, dans la cour, tous se mirent à répéter, sans savoir en rien de quoi il s'agissait : « Longue vie à Fritz le violoneux ! »
Ce cri courut du grenier au sous-sol, du salon au jardin, et pendant un bon quart d'heure on n'entendit que : « Longue vie à Fritz le violoneux ! »
De la cour, les clameurs gagnèrent la place, puis les rues, puis les boulevards extérieurs, puis la campagne, puis la province, de sorte que, d'un bout à l'autre de l'empire, ces cris s'élevèrent vers le ciel : « Longue vie à Fritz le violoneux ! »
Quant aux pages, ils avaient profité de l'occasion pour exécuter une gigue des mieux réussies, et ils avaient même trouvé moyen d'entraîner le grand chambellan dans leur danse. C'était un spectacle qui n'était pas propre à arrêter l'accès d'hilarité de la princesse, que la vue de ce grave fonctionnaire se livrant aux exercices chorégraphiques les plus extravagants, en compagnie d'une douzaine de petits drôles que se faisaient un malin plaisir de l'exciter.
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Il n'y avait qu'un personnage de mécontent : c'était le médecin de la cour, auquel la maladie de la princesse constituait une position très lucrative. De désespoir, il donna un coup de pied dans l'armoire où étaient renfermées toutes ses fioles devenues inutiles, -ce qui, après tout, valait mieux pour lui que d'avaler leur contenu- et les élixirs, sirops, juleps, potions, pilules, etc., se répandirent sur le parquet, où du moins ils ne pouvaient plus être nuisibles à personne.
« Et maintenant, Monsieur le violoneux, dit le roi quand il eut un peu recouvré son sang-froid, puisque vous avez guéri la princesse, il faut que vous l'épousiez.
- Que je l'épouse ! s'exclama Fritz.
- Que vous l'épousiez.
- Mais pourquoi ?
- Parce que je l'ai décidé ainsi, répliqua le roi.
- Mais je n'ai pas du tout envie de me marier.
- Cela m'est égal.
- Mais, mais.
- Il n'y a pas de mais. C'est ainsi que finissent toutes les histoires, tous les contes de fées que j'ai lus. Il y a toujours une princesse malade qui est guérie par un jeune homme, lequel, le plus souvent, est un prince déguisé. Êtes-vous prince ?
- Non, Sire.
- Vous en êtes bien sûr ?
- Parfaitement sûr.
- Quels sont vos parents ?
- Mon père est meunier ; il s'appelle Robin Mitron ; ma mère s'appelle Blanche-Farine, et elle n'a pas sa pareille pour confectionner de la galette le jour des Rois et des crêpes le Mardi gras.
- Peau-d'Âne aussi savait confectionner la galette, et, dit l'histoire, dans la perfection. Cependant c'était une princesse. Vos parents ont peut-être été rois et reines autrefois ?
- Jamais.
- Ah ! vraiment ! ils n'ont jamais été rois et vous n'avez jamais été prince ! C'est fâcheux. »
Il se caressa le menton d'un air pensif, retira sa couronne, qu'il avait remise, pour frotter son crâne chauve, avec perplexité, puis il répéta :
- Ils n'ont jamais été rois, et vous n'avez jamais été prince ? C'est fâcheux ! »
Puis il ajouta : « Cela ne fait rien ! Vous n'en épouserez pas moins la princesse. »
Fritz se frotta le menton à son tour, mais il ne retira pas sa couronne, pour la raison qu'il n'en avait pas d'autre que les cheveux frisés dont dame Nature lui avait fait présent.
« Eh bien ! si je ne peux faire autrement, je voudrais du moins, balbutia-t-il, en rougissant comme une jeune fille, je voudrais du moins savoir, j'aimerais à être sûr, avant la noce, que la princesse consent à se marier avec moi.
- Et pourquoi n'y consentirait-elle pas, dit le roi, du moment que je le lui ordonnerai ?
- Je ne sais pas, balbutia de nouveau Fritz.
- Ni moi non plus, dit le roi.
- Cependant, reprit le petit violoneux, toujours avec la même hésitation, je voudrais.
- Je voudrais, je voudrais. Eh bien, j'y consens, » dit le roi.
La princesse s'était arrêtée de rire ; elle essuyait ses joues, sur lesquelles les larmes continuaient à ruisseler, et elle tâchait de remettre un peu d'ordre dans les boucles de sa chevelure, que son violent accès de gaieté avait un peu dérangées.
Fritz s'avança vers elle, tremblant, rougissant et balbutiant encore plus que quand il s'était adressé au roi : « Princesse. » lui dit-il. Et il demeura court.
La princesse, en le voyant s'approcher, son violon sous le bras, faillit être reprise du fou rire ; cependant elle parvint à conserver son sang-froid et attendit qu'il s'expliquât. Fritz recommença à balbutier.
« Je désirerais savoir.
- Savoir quoi ? demanda la princesse, non plus en riant, mais en souriant, ce qui fit briller doucement ses yeux couleur de noisette, dessina une gentille petite fossette dans chacune de ses joues et fit étinceler deux jolies rangées de perles entre ses - deux lèvres roses ; savoir quoi ? »
Entre nous, je crois bien qu'elle l'avait deviné ; mais elle était bien aise de se l'entendre dire.
« Je désirerais savoir, répéta Fritz en reprenant courage, si vous voulez bien vous marier avec moi ? »
Voyez comme c'est drôle ! je vous dis qu'elle avait deviné ce que Fritz allait lui dire ; cela n'empêche pas que ses paroles la firent rougir et pâlir comme si elle entendait la chose du monde la plus inattendue. Elle finit par devenir aussi rose que les fleurs semées le matin par l'Aurore devant le char du Soleil, pendant que deux larmes, ressemblant aux diamants que la rosée répand sur les herbes de la prairie, étincelaient dans ses yeux. Comme c'est drôle, n'est-ce pas ?
Surtout quand on pense que, avec tout cela, le joli sourire se jouait toujours sur les lèvres roses, qu'il n'avait pas quittées.
Fritz était toujours là, tremblant et rougissant, attendant la réponse de la princesse.
Elle se fit attendre une bonne demi-minute, car il fallut tout ce temps à Hilda pour prendre sa résolution.
Enfin, elle baissa les cils noirs qui ombrageaient ses yeux couleur de noisette, rougit encore un peu plus, en mettant sa main mignonne dans celle de Fritz : « Je veux bien ! » dit-elle.
Fritz fit un saut de joie.
« Je veux bien, reprit la princesse, mais c'est à une condition.
- Une condition ? demanda Fritz inquiet.
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- C'est que, tous les ans, pour fêter le souvenir de ce jour, vous me jouerez le délicieux morceau que vous avez joué tout à l'heure et qui a eu un si heureux effet sur ma santé.
- Le morceau que j'ai joué tout à l'heure ! fit le petit musicien, l'horreur dans les yeux.
- Il était si ravissant ! reprit la princesse avec extase.
- Poser de nouveau l'archet sur ce qui reste de ce violon ! s'écria Fritz. Jamais ! Demandez-moi ce que vous voudrez, princesse, d'aller vous décrocher la lune, par exemple ; mais n'exigez pas de moi que je produise encore une fois des sons comme ceux que j'ai produits tout à l'heure. Si je n'avais pris cette précaution, je suis sûr qu'ils m'auraient fait mourir d'horreur et d'épouvante. »
En parlant ainsi, il montrait le coton qu'il venait d'enlever de ses oreilles.
« Vous n'aimez donc pas la musique ? demanda la princesse.
- C'est précisément parce que je l'aime que je ne veux plus en faire sur ce violon ; mais, dès que mes moyens me le permettront, je compte bien en acheter un meilleur, et alors...
- Et celui-là grognera-t-il aussi comme un petit cochon pris entre deux portes ? demanda la princesse, prête à être saisie d'un nouvel accès de gaieté au souvenir des sons qui l'avaient tirée de sa profonde mélancolie.
- Non, mais il chantera comme les oiseaux qui célèbrent les louanges du Seigneur ; vous croirez entendre les lutins danser leur ronde le soir sur les herbes de la prairie, les fleurs balancer leurs mignons encensoirs pour exhaler leurs parfums vers le ciel ; vous n'aurez plus envie de rire, et vous aurez peut-être envie de pleurer ; mais ce seront des larmes si douces que vous les préférerez à l'explosion de la joie.
- Vraiment ? dit la princesse avec doute, car jusque-là elle n'avait pas montré des goûts artistiques très prononcés ; vraiment ! Eh bien, après tout, une musique ou une autre !. »
Et voilà comme l'accord se fit entre Fritz et la princesse.
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La noce eut lieu la semaine suivante. Quelle noce, mes amis ! La mariée portait une robe aussi brillante que les rayons du soleil et aussi douce à regarder que ceux de la lune. Fritz n'avait pas oublié son violon -un autre, pas celui qui avait été brisé par les méchants gamins et qui grinçait comme vous savez. Tous deux marchaient entre deux haies formées par des petits pages, portant des guirlandes de roses et des torches allumées, ce qui, en plein jour, peut vous paraître du luxe. Le roi les suivait, la couronne en tête et vêtu du manteau royal, tout brodé d'or ; puis venaient les grands officiers, les seigneurs, les dames, les valets, les serviteurs, les soldats ; puis les gamins, enfin un cortège à n'en plus finir.
Et le meunier ? Et la meunière ?
Ils n'avaient pu venir à la noce, Roger Mitron ne voulant pas abandonner son moulin, et Blanche-Farine ne voulant pas abandonner son mari ; mais, le lendemain, les jeunes époux allèrent les voir, et Blanche-Farine les régala de galette, de flans aux prunes et de tartes à la crème, tels que vous n'avez jamais rien mangé d'aussi bon.
FIN