THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

LE CHEF DE QUARTIER. — Or çà, tu vois que je n'ai pas été long... Ah ! .. comment... Oh ! tu as beau te déguiser...

HACIVAT. — Comment ça, monsieur le Chef de quartier. C'est moi, c'est bien moi !

LE CHEF DE QUARTIER. — Parbleu ! je te reconnais bien.

HACIVAT. — Eh bien ! qui faut-il bâtonner ? Payez-moi, d'abord.

LE CHEF DE QUARTIER. — À la bonne heure ! tu prends bien les choses, toi. Tu vas gentiment entrer dans cette cage.

HACIVAT. — Comment, dans une cage ?

LE CHEF DE QUARTIER. — J'aime mieux cela que lorsque les gens regimbent et pleurnichent.

HACIVAT. — Ah çà ! de quoi parlez-vous ?

LE CHEF DE QUARTIER. — Tout est prêt, allons, mon camarade !

HACIVAT. — Ah ! vous deviez donc m'enfermer... Je comprends la générosité de Karagöz, à présent. Fort bien ! Monsieur le Chef de quartier, je suis à vous. (Il examine la cage dans tous les sens).

LE CHEF DE QUARTIER. — Eh bien oui, c'est une cage ! Tu peux mettre tes lunettes pour mieux voir.

HACIVAT. — Monsieur le Chef de quartier, la porte ferme mal.

LE CHEF DE QUARTIER, regardant. — Je ne vois pas ça !

HACIVAT. — Regardez de plus près.

LE CHEF DE QUARTIER, entrant dans la cage. — Je te dis que cette porte ferme très bien.

HACIVAT, fermant la cage sur le Cherf de quartier. — C'est ce dont je vais m'assurer.

LE CHEF DE QUARTIER. — Ah ! le brigand !

HACIVAT. — Monsieur le Chef de quartier, je vous présente tous mes respects.
(Karagöz entre).

KARAGÖZ. — Diable ! peste ! voilà de la belle besogne ! C'est toi qui as fait ça ?...

HACIVAT. — C'est mon œuvre.

KARAGÖZ. — Je t'en fais mon compliment ! Ce Chef de quartier est bien placé là !
(Il pousse la cage hors de l'écran).

HACIVAT. — Oui, mais vous m'avez trompé. Vous m'avez donné une affaire qui devait m'envoyer directement en prison.

KARAGÖZ. — Chut ! Pardonne-moi, mon ami... je vais te dédommager. (Il frappe à la porte du Palais).

HACIVAT. — Où vas-tu ?

KARAGÖZ. — Éloigne-toi un instant, je te rappellerai. (Hacivat sort. — Karagöz frappe de nouveau à la porte). Holà ! Garde ! holà ! Beau Garde !

LE GARDE, ouvrant la porte. — C'est encore toi ! tu veux recevoir quelques coups de bâton ? Je crois qu'il m'en reste un peu en réserve...

KARAGÖZ. — Va prévenir le Sultan que je suis riche et que je demande la main de sa fille.

LE GARDE. — Tu recommences !

KARAGÖZ. — Va, te dis-je, si tu tiens à ta tête !

LE GARDE. — Attends ! (Il referme la porte).

KARAGÖZ. — Le coquin n'y sera pas allé ! Il me tient le bec dans l'eau.
(Il frappe de nouveau, la porte s'ouvre brusquement et le Sultan qui entre le heurte).

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Le Sultan
 
KARAGÖZ. — Sultan, je suis riche et spirituel... je demande la main de votre fille.

LE SULTAN. — Prouve-moi ce que tu prétends être !

KARAGÖZ, montrant ses sacs d'argent dans un coin. — Voilà ma fortune. Quant à l'esprit, c'est moi qui suis le fameux marchand de coups de bâton, le grand, le légendaire Karagöz !

LE SULTAN. — Eh bien ! ma fille est à toi, Grand Karagöz.

KARAGÖZ.. — J'ai une autre faveur à vous demander, votre majesté : mon ami Hacivat a enfermé votre Chef de quartier dans une cage.

LE SULTAN. — Hum ! il faut qu'on lui coupe la tête. (Criant) Bourreau !

KARAGÖZ. — Non, non, non, votre Grandeur ! le Chef de quartier a été enfermé à la place de Hacivat, donnez à Hacivat la place du Chef de quartier.

LE SULTAN. — Accordé ! (Il sort vers le Palais).

KARAGÖZ. — Allons célébrer les noces.

HACIVAT, entrant. — Alors, comme ça, mon très cher Karagöz, vous allez encore vous marier...

KARAGÖZ. — Oui, Hacivat, je pense que le public doit trouver toute cette histoire stupide. J'espère qu'il pourra nous pardonner toutes les imbécilités que nous venons de lui montrer.

HACIVAT. — D'accord, cher Karagöz, ce sont des bêtises mais...

KARAGÖZ et HACIVAT, ensemble. — Il y a quelque chose à apprendre pour celui qui sait voir et pour celui qui sait écouter.

(Le Sultan pourra sortir du palais avec sa suite. Karagöz prendra la main de la princesse et un joyeux défilé de mariage pourra être mis en place).
 
FIN
 
     Cette histoire m'a été inspirée par la lecture de la pièce Le marchand de coups de bâton de Louis-Émile-Edmond Duranty (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k618328/f326.item). J'ai tout de suite imaginé Karagöz dans le rôle principal.

      J'ai donc changé Arlequin par Karagöz, j'ai puisé sans vergogne dans le texte, j'ai ajouté, j'ai modifié et j'ai publié.

     Images et ombres sont libres de droits.           N.A.



 
 
 



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