THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

ARLEQUIN. - Oh ! je ne serai pas long à me pelotonner, je serai aussi prêt que ces dames... Mais vous-même ?

VALÈRE. - Ne t'inquiète pas, va faire ta toilette.

ARLEQUIN, riant. - Oh, oh, oh, oh, je vais avoir bonne tournure. (Il sort, il revient). Monsieur, voici notre Mégère et la belle Didon.

VALÈRE. - Ah ! bravo ! bravo !

ARLEQUIN. - Bravissimo ! Madame est très bien sous ce costume, et je suis sûr qu'elle jouera son rôle d'après nature.

VALÈRE. - Mais va donc t'habiller.

ARLEQUIN. - Je ne fais qu'un saut.
 

SCÈNE  III.

Valère, Hortense, Madame Richard.

 

VALÈRE. - Ah ! ma chère Didon, je vous quitte, non pas comme Enée, pour vous être infidèle, mais pour revenir auprès de vous et plus tendre et plus confiant.

MADAME RICHARD. - En voyant, monsieur, le zèle que vous mettez à corriger mon mari, je vous trouve de plus en plus digne de posséder la main de ma fille. Mais je crois que nous étions convenus de faire transporter monsieur Richard tout endormi dans ce salon.

VALÈRE. - C'était bien d'abord mon plan, mais j'ai trouvé mieux de le faire mettre tout à fait à l'entrée de cette salle, pour, à l'instant qu'il s'éveillera, mettre les diables à ses trousses.

HORTENSE. - Mon cher cousin, c'est pour moi le plus grand bonheur que de me prêter à tout ce stratagème. Que n'est-il fini, et que ne sommes-nous tous heureux !

VALÈRE. - Nous le serons, ma belle, et même avant peu. Je reviens à l'instant. (Il sort).

 

SCÈNE  IV.

Arlequin, Madame Richard.

 

ARLEQUIN, habillé en Pluton , éternuant. - Atchoum ! Atchoum ! Atchoum ! Trois éternuements de plain-pied qu'il vient encore de faire.

MADAME RICHARD. - Ah ! c'est le seigneur Pluton.

ARLEQUIN. - Oui, madame Mégère, c’est lui-même qui est bien votre petit valet.

MADAME RICHARD. - Daignez monter sur votre trône, Majesté diabolique.

ARLEQUIN. - Diabolique vous-même... Mais c’est bien haut pour moi.

MADAME RICHARD. - Il faudra pourtant y monter.

ARLEQUIN. - Non pas, non pas, je perdrais la tramontane ;je tomberais et je me fendrais la cervelle, me démettrais le bras, me disloquerais le... Voyez donc le beau coup de théâtre que ça ferait...

 

SCÈNE  V.

Valère, les précédents.

 

VALÈRE. - Me voilà prêt, monsieur est où il doit être ; il commence à se frotter les yeux, retirons-nous, retirons-nous.

     (L'orchestre joue).

 

SCÈNE  VI.

 

Les démons, devant et derrière Monsieur Richard, sont à le tourmenter.

 

MONSIEUR RICHARD, se débattant. - Miséricorde laissez-moi tranquille.

UN DIABLE. - Tu t'es donné la mort, tu es notre gibier.

     (L'air continue).

MONSIEUR RICHARD. - Ah ! Dieux ! par pitié, retirez- vous.

LE DIABLE. - Oui, par pitié nous allons te griffer. Heureusement pour toi, Pluton nous appelle : ne t'impatiente pas, nous allons revenir.

 

SCÈNE  VII

Monsieur Richard, Valère, Didon.

 

MONSIEUR RICHARD, seul. - Quoi ! je suis aux enfers ! Ciel ! est-il possible ? Je me serais donné la mort sans m'en apercevoir ? J'aperçois des ombres qui s'avancent, interrogeons-les... Pourriez-vous me dire où je suis et qui vous êtes ?

VALÈRE, en Romain. - Qui je suis, moi ?... Caton d'Utique, qui me tuai de désespoir, parce que la république romaine avait été renversée par César.

DIDON. - Et moi, cette tendre Didon, qui me donnai la mort après avoir été trompée par l'infidèle Enée.

VALÈRE. - Mais avez- vous subi votre jugement ?

MONSIEUR RICHARD. - Quel jugement ?

VALÈRE. - Celui que tout nouveau venu doit subir, et qui est terrible. Mais fuyons, fuyons, j'aperçois les Furies qui nous cherchent, et Pluton lui-même qui vient dans ces lieux.

 

SCÈNE VIII.

Arlequin-Pluton marche Jusqu’au moment où il est sur le trône.

 

ARLEQUIN. - Halte-là !.. Mais quel est encore ce vaurien, ce maroufle qui s'est avisé de prévenir la mort ? Réponds à ma question. Qui a pu te dégoûter de la vie ? Tu ne parles pas ! Je vais te faire délier la langue. Que Mégère paraisse, qu'elle s'arme de ses fouets de qu'elle étrille d'importance ce coquin, pour lui rendre la parole.

 

MÉGÈRE, paraissant. - Que faut-il faire, seigneur Pluton ?

ARLEQUIN. - Donner cent coups d'étrivières à ce pendard.

MÉGÈRE. - J'y suis toute préparée.

MONSIEUR RICHARD. - C’est en vain que tu crois m'épouvanter ; de mon vivant je n'ai jamais craint ma femme, qui était encore plus méchante que toi.

MÉGÈRE. - Il blasphème, seigneur ; cent coups de plus, n'est-il pas vrai ?

ARLEQUIN. - Tout beau ! belle dame ; je suis plus indulgent et je lui pardonne ce blasphème ; mais puisqu'il se refuse de répondre à mes questions, je vais moi-même rappeler à sa conscience les crimes dont il est coupable. Dis-moi, tu avais à ton service un nommé Arlequin ?

MONSIEUR RICHARD. - Oui, un fripon qu'il ne faudra pas épargner, car il est descendu dans votre empire.

ARLEQUIN. - Houais ! les étrivières ; les étrivières, on te les donnera tout à l'heure. Poursuivons : je fais que tu lui as donné des coups de canne, que tu l'as même mis à la porte parce qu'il n'a pas voulu se pendre...

MONSIEUR RICHARD. - Comment ! Est-ce qu'un maître n'a pas le droit de battre un impertinent, un lâche poltron ?

ARLEQUIN. - C'en est trop ! Agissez, Mégère ! Paraissez, démons, et mettez-le dans l'huile bouillante pour le rafraîchir.

MONSIEUR RICHARD. - Grâce ! seigneur Pluton, grâce !

MÉGÈRE. - Ne vous laissez point attendrir ! Point de miséricorde pour ce malheureux.

ARLEQUIN. - Si fait, je suis bon diable. Je vais lui offrir les moyens d'échapper aux châtiments qu'il mérite. D'abord, demande pardon à ce pauvre Arlequin que tu as si maltraité ; c'est moi qui le représente.

MONSIEUR RICHARD. - Vous, seigneur, le dieu des enfers, Pluton, le représentant de ce faquin ?...

ARLEQUIN. - Hein ! tu veux donc...

MONSIEUR  RICHARD. - Eh bien ! oui, je lui demande pardon.

ARLEQUIN. - Je suis satisfait de ton obéissance ; mais ce n'est pas tout. Consens-tu que je marie ces deux ombres que tu vois ici présentes ?

MONSIEUR RICHARD. - Vous êtes bien le maître là-dessus,

ARLEQUIN. - Non, il me faut ton consentement, sinon...

MONSIEUR  RICHARD. - Ah bien ! oui, j'y consens.

ARLEQUIN. - Ta soumission m'interpelle en ta faveur, je veux faire encore plus pour toi : tu es mort je te rappelle à la vie.

MONSIEUR  RICHARD. - Bon, si j'étais veuf ; mais ma femme ?

ARLEQUIN. - Eh bien ! ta femme vaut plus que tu ne mérites : c’est ta folle manie qui te la faisait craindre, parce qu'elle s’opposait à tes extravagances ; mais je ne veux te rendre la vie, qu'autant que tu vas signer de ton sang que tu renonces à ta folie pour jamais.

MONSIEUR  RICHARD. - Oh ! oui, j'y renonce.

ARLEQUIN. - C'est de tout ton cœur : ne va pas tromper le diable, au moins.

MONSIEUR RICHARD. - Oh ! oui, oui, de tout mon cœur.

ARLEQUIN. - Oh ! sangodémi, nous sommes tous heureux. Monsieur Caton d’Utique l'avait bien prédit.

VALÈRE. - Oui, Monsieur Richard, nous sommes tous heureux.

MONSIEUR RICHARD. - Eh quoi ! Où suis-je donc ?

ARLEQUIN. - Eh ! sangodémi, vous êtes chez vous : la farce est, jouée ; moi, trop heureux de l'avoir fait réussir ; mais c’est à vous, messieurs, à certifier son succès.

MADAME RICHARD. - Oui, mon tendre ami, tu es dans ton salon que nous avons fait ainsi décorer pour te jouer cette pièce, dont nous te conterons le détail en soupant.

MONSIEUR  RICHARD. - Vous l'avez très bien jouée, mes amis, de ma reconnaissance.

ARLEQUIN. - Bon, de la reconnaissance ; mais surtout tenez votre promesse, sangodémi, et ayez toujours devant les yeux cette maxime :

Air: Des dettes.

Quelque triste que soit son sort,
Soi-même se donner la mort,
C’est étrange manie.
Malgré les plus fâcheux dessins,
Malgré les soucis, les chagrins,
Ma foi, vive la vie !

 

RIDEAU
 


     On trouvera des ombres de diables sur la planche d'Epinal suivante :

La tentation de Saint Antoine Séraphin planche d`ombres théâtre d`ombres ombres chinoises silhouettes marionnettes


     Les personnages devant changer d'apparence, on mettra leur tête sur une des silhouettes tirées des planches suivantes :
 

carnaval de nice silhouettes ombres chinoises theatre d`ombres
 
Carnaval de Venise planche d`ombres théâtre d`ombres ombres chinoises silhouettes marionnettes
 
Carnaval de Paris planche d`ombres théâtre d`ombres ombres chinoises silhouettes marionnettes

 
 
 



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