THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

SCÈNE  X
 
JEAN  (seul)

 
     (Musique. On voit aussitôt à gauche un ours montrer le bout de son nez. Il s'avance avec précaution, regarde derrière lui, traverse la scène, regarde à droite si personne ne vient... Puis il revient au milieu, et là, soudain, rabat sa tête d'ours, à la place de laquelle on voit celle de Jean).
 
JEAN. - Ouf ! ce qu'on a chaud, là-dedans !... c'est une idée de Fleur d'Iris, cette peau d'ours ! Elle est charmante, cette petite Chinoise, charmante, charmante... une vraie Parisienne... en jaune ; mais c'est une couleur qui lui va si bien !... Il paraît que le mandarin a perdu un ours, la nuit dernière... La peau dudit ours était déjà prête à être tannée pour une descente de lit... "Mettez-vous là-dedans, me dit la petite... Je viens d'apprendre qu'une ménagerie devait passer par cette porte pour entrer dans Pékin, il vous sera facile de vous mêler à la troupe, et de sortir d'ici..." Je trouve l'invention superbe... Et me voilà... Il paraît que la ménagerie est justement arrivée ; seulement, je ne voudrais cependant pas faire connaissance de trop près avec certains pensionnaires... Les chiens et le cochon, ça m'est égal... mais le lion... Oh ! du bruit !... Soyons prudent, remettons notre tête... ma foi, on se croitrait au bal de l'Opéra !

 
SCÈNE  XI

JEAN, puis FRÉDÉRIC

 
     (Entre à droite, avec de grandes précautions, un ours qui regarde derrière lui, puis descend en scène).
 
JEAN. - Diable : Un confrère - celui de la ménagerie, sans doute !... On voit tout de suite qu'il est vrai, celui-là... Tenons-nous bien !... (L'ours s'arrête en voyant Jean).  Hum ! Il s'arrête...

     (Mais l'ours refait un pas... Il s'arrête de nouveau... Enfin, comme décidé à franchir tout obstacle, il s'approche de Jean sans plus d'hésitation. Jean recule, mais arrivé à l'extrémité de gauche, il crie tout à coup, perdant la tête :)

 
JEAN. - N'approchez pas, ou je vous mords !...

     (L'ours stupéfait se retourne et regagne vivement la droite. Là, il se retourne de nouveau et s'écrie :)

 
L'OURS. - Un ours qui parle !...
 
JEAN, ahuri. - Deux ours qui parlent !...
 
L'OURS. - Mais je connais la voix de cet ours-là... Nous nous sommes sûrement rencontrés quelque part... au pôle nord... probablement...
 
JEAN. - Voici certes un accent que je connais !...

     (Ils s'approchent prudemment l'un de l'autre).


JEAN et L'OURS, en même temps. - Pardon, monsieur l'ours. (Ils se décoiffent en même temps, et à la place du deuxième ours se montre la  tête de Frédéric). Grand dieu ! Frédéric ! Jean !
     (Ils se donnent l'accolade).

 
FRÉDÉRIC. - Ça, par exemple, c'est extraordinaire... Raconte-moi...

JEAN. - Oh ! pour moi, c'est bien simple... Le mandarin a perdu un ours... et je cherchais à m'évader sous la défroque de cet ours ; mais toi...

FRÉDÉRIC. - Moi, c'est aussi simple... Quand tu as été fait prisonnier, je me suis dit : "Ça ne se passera pas comme ça... Jean est prisonnier, devrais-je prendre Pékin à moi tout seul, je le délivrerai !..."

JEAN. - Brave ami !

FRÉDÉRIC. - Mais il fallait trouver le moyen de prendre Pékin... ou tout au moins d'y pénétrer pour te retrouver... Or, depuis deux jours, nous avions rencontré dans un état lamentable et complètement ruiné par la guerre, un brave homme d'Italien, directeur de cirque, qui faisait le tour de Chine, et qui vivait dans la montagne depuis un mois avec la peur atroce d'être massacré par les Boxers... Je fais part de mon projet au signor Pancracio... qui me répond : "J'ai peut-être votre affaire !...Nous risquons tous d'y laisser notre peau, mais on peut toujours essayer... Les Chinois aiment beaucoup les acrobates... Il me reste quelques peaux de mes pauvres animaux morts et quelques costumes que vos camarades les plus adroits revêtiront... Nous allons reconstituer mon cirque et aller donner des représentations au Palais d'Eté !..." Parfait, ça me va !... J'endosse une peau d'ours. Nous partons... Et nous voilà !...
 
 
 



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