THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

LE CRIME DE SAINT-JUST


COMÉDIE EN UN ACTE

1911

Lemercier
 de Neuville
dessins de Jean Kerhor.

Domaine public.

 

http://www.archive.org/stream/ombreschinoisesd00lemeuoft#page/n5/mode/2up

DÉCOR

Une place publique. À gauche une grange. À droite une charcuterie.


COSTUMES

Valentin, Costume de touriste.

Richepanse, Juge, toge et robe.

Larisette, Gendarme.

Fricandard, Grand tablier, bras nus.

Ratatouille, id.


PERSONNAGES.

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VALENTIN, voyageur.


 

RICHEPANSE, juge.

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LARISETTE, gendarme.


 

FRICANDARD, charcutier.

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RATATOUILLE, charcutier.


SCÈNE PREMIÈRE


VALENTIN. - Je suis fait comme un voleur et cependant c'est moi qui suis volé. Personne ne le croirait, pourtant c'est l'absolue vérité. Écoutez mon aventure. J'aime les excursions, et surtout les excursions fantaisistes, partant sans avoir de but, sans savoir où je vais, à pied bien entendu et ne manquant jamais le train que je n'attends jamais. Comme je voyage toujours seul, je m'arrête quand je veux, je poursuis mon chemin quand il me plaît et je cause avec la nature qui est toujours de mon avis. Or, hier soir, comme je sortais d'un bois, je me trouvai tout à coup en face de trois gaillards déguenillés qui, sans me dire un mot, sautèrent sur moi, s'emparèrent de mes vêtements et me laissèrent tout nu au pied d'un arbre. L'endroit était désert, je jugeai inutile de crier. Ces gentilshommes de grand chemin avaient cependant eu une attention ; du moins l'un d'eux, celui qui avait revêtu mes habits, m'avait laissé ses guenilles que j'endossai avec plaisir et qui me permirent d'arriver jusqu'à ce village où je vais me reposer. Voici d'abord une grange où je réparerai mes fatigues. (Il rentre dans la grange à droite).


SCÈNE II


FRIGANDARD, et RATATOUILLE, entrant par la gauche.


FRICANDARD. - La meilleure manière est de lui donner un coup de massue sur la tête.

RATATOUILLE . - Évidemment le procédé est bon, mais il n'est pas définitif, il arrive souvent que le sujet n'est qu'étourdi.


FRICANDARD. - Peut-être, eh bien nous le saignerons. D’autant plus que nous n'avons pas de temps de perdu. C'est à six heures je crois que nous trouverons Monsieur Richepanse.

RATATOUILLE. - Oh ! nous ne le manquerons pas.

FRICANDARD. - Tu as repassé ton couteau ?

RATATOUILLE. - Il est fraîchement aiguisé.

FRICANDARD. - Allons, le moment est venu, viens !

RATATOUILLE. - Je te recommande surtout de le bien tenir, de façon à ce qu'il ne bouge pas.

FRICANDARD. - Sois tranquille ! Tu regorgeras du premier coup (ils rentrent à droite).


SCÈNE III


VALENTIN, sortant de la grange. - Qu'ai-je entendu ? J'en suis encore tout tremblant. Ce sont peut-être les brigands qui m'ont dévalisé. Ils vont le couper par morceaux. C'est sans doute un pauvre voyageur comme moi. Que faire ? Je ne puis pas laisser commettre un crime ; il faut intervenir. Si j'avais des armes ! Mais rien ! Et ceci se passe en plein jour dans un pays civilisé, c'est horrible ! J'ai envie de crier au secours...


SCÈNE IV


VALENTIN, LARISETTE.


LARISETTE, à part . - Un étranger !

VALENTIN, sans voir Larisette. - J'ai envie d'aller avertir la gendarmerie. (Il va pour sortir).


LARISETTE, l'arrêtant. - Un instant ! Vos papiers.

VALENTIN. - Il s'agit bien de mes papiers ! Gendarme, on va commettre un crime.

LARISETTE. - Ça ne me regarde pas. Vos papiers ?

VALENTIN. - Mais, malheureux. Il n'y a pas un instant à perdre. Le crime se commet peut-être en ce moment. Il faut l'empêcher à tout prix ! À tout prix, entendez-vous ?

LARISETTE. - J'entends bien. Vous voulez gagner du temps. Mais le gendarme Larisette est un malin, on ne lui en fait pas accroire.

VALENTIN. - Mon Dieu, que ce gendarme est entêté ! Mais vous n'avez donc pas de cœur ? Vous n'avez donc pas d'âme ? Vous ne connaissez donc pas vos devoirs ?

LARISETTE. - Mes devoirs ! Je les connais mieux que vous ! J'ai été averti que certaines personnes de mauvaise mine divaguaient dans la commune de Saint-Just et j'ai reçu l'ordre de les arrêter ; vos papiers ?

VALENTIN. - Mais enfin, je n'ai pas mauvaise mine, moi ?

LARISETTE. - C'est que vous ne vous êtes pas regardé ! D'abord tout un chacun qui n'a pas de papiers, a mauvaise mine. Vos papiers !

VALENTIN. - Mes papiers ! Mes papiers ! Est-ce que j'en ai des papiers ? C'est-à-dire, si, j'en avais, mais on me les a pris.

LARISETTE. - Je vais vous confondre. On ne prend pas de papiers, on prend de l'argent, des valeurs, des bijoux, mais on ne prend pas de papiers ! A quoi ça servirait-il de prendre des papiers ? Mais enfin, une supposition que vous aviez des papiers, qui est-ce qui vous les a pris ?

VALENTIN. - Des malfaiteurs qui m'ont dévalisé.

LARISETTE. - Vous voyez bien que vous mentez ! S'ils vous ont dévalisé, ils n'ont pas pris vos papiers. Quand on dévalise quelqu'un on prend sa valise.

VALENTIN. - Mais mes papiers étaient dans ma valise.

LARISETTE. - C'est invraisemblable ! On porte toujours ses papiers sur soi. Enfin, supposons toujours que vous aviez des papiers ? Si des malfaiteurs vous les ont pris, vous devez savoir où sont ces malfaiteurs ?

VALENTIN. - Parbleu ! Ce sont sans doute ceux qui sont dans cette maison où ils vont assassiner un homme !...

LARISETTE. - Alors ce sont des assassins et non des malfaiteurs.

VALENTIN. - Assassins ! Malfaiteurs ! c'est la même chose !

LARISETTE. - Et d'abord, pourquoi dites-vous que ce sont des assassins ? Si c'étaient des assassins, ils vous auraient tué et n'auraient pas pris vos papiers.

VALENTIN. - Mais, malheureux gendarme, je viens de les entendre comploter leur crime... Je ne crois pas que l'homme soit déjà tué, c'est pour cela que je vous supplie de les arrêter auparavant.

LARISETTE. - Je ne peux pas arrêter un homme pour un crime qu'il n'a pas commis encore.

VALENTIN. - Mais vous pouvez empêcher qu'il commette ce crime.

LARISETTE. - Non pas ! Je n'ai pas reçu d'ordre. Si mon brigadier m'avait dit : « Larisette, voici un homme qui va commettre un crime, il faut l'arrêter ! » Je l'arrêterais ! mais autrement, je ne peux pas, parce que tant qu'il n'a pas commis de crime, il est innocent.

VALENTIN. - Il ne le sera plus tout à l'heure.

LARISETTE. - Alors, tout à l'heure, nous verrons ! Quant à vous, je vous arrête, parce que vous êtes coupable, puisque vous n'avez pas de papiers.

VALENTIN, exaspéré.

Air : Garde à vous.

Des papiers !
Des papiers !
Que voulez-vous qu' j'en fasse ?
Jamais je n' m’embarrasse
En voyage, de papiers !
De papiers !

De papiers !
Je ne fais pas usage
De tous ces griffonnages
Qui servent aux greffiers.
Des papiers ! (ter)

LARISETTE. - Voyons ! n'aggravez pas votre situation ! Tout le monde a des papiers. Moi, qui vous parle, j'ai des papiers. D'abord, mon acte de naissance qui prouve que je suis né : tenez ! montrez-moi seulement votre acte de naissance et je vous laisse aller.


VALENTIN. - Mais on ne voyage pas avec son acte de naissance...

(Rideau.)

 
 



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