THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

M. DÉSEMPLÂTRES. - Restez ici !

LOUISON. - Je vais m'en aller !

M. DÉSEMPLÂTRES, se lève de son lit. - Ah ! vous voulez vous en aller... je sous en empêcherai bien.

LOUISON. - Mon pauvre papa, ne me donnez pas le fouet (elle sort du côté du lit).

M. DÉSEMPLÂTRES. - Attendez ! Attendez ! (il sort et revient du côté du lit en tenant la petite Louison sous son bras. On le voit et on l'entend la fouetter).

LOUISON. - Ahi ! Ahi ! Ah ! mon papa ! (M. Désemplâtres la met du côté opposé au lit. On la voit étendue). Ah ! mon papa, vous m'avez blessée... Ah ! mon Dieu, je suis morte ! (elle contrefait ta morte et ne bouge plus).

M. DÉSEMPLÂTRES. - Louison ! Louison !... Ah ! mon Dieu, Louison, qu'as-tu ma chère enfant ? Ah ! ma fille ! Malheureux que je suis... ma pauvre fille est morte... (il se baisse). Qu'ai-je fait, mon Dieu, qu'ai-je fait ?... (il se relève). Ah ! chiennes de verges ! la peste soit des verges ! Ah ! ma pauvre fille !.. ma pauvre Louison !


LOUISON, se relevant du côté opposé au lit. - Là, là, mon papa, ne pleurez pas tant. Je ne suis pas morte tout à fait..

M. DÉSEMPLÂTRES. - Voyez-vous la petite rusée !... Ah ! ça, je vous pardonne pour cette fois-ci... allez vous en et ne recommencez plus.

     (Louison se retourne et sort du côté opposé au lit. M. Désemplâtres se retourne et va se mettre au lit.)


SCÈNE VII


M. DÉSEMPLÂTRES, dans son lit, il tousse. - Ah ! mon Dieu, que de contrariétés de tous les côtés. Je n'ai seulement pas le temps de songer à ma maladie (il tousse). En vérité, je n'en puis plus.


SCÈNE VIII


M. DÉSEMPLÂTRES, PIERROT (arrivant à grandes enjambées).


 

PIERROT. - Ouf ! Ouf ! Ouf !...

M. DÉSEMPLÂTRES. - Eh bien ! que t'a dit mon médecin ?


PIERROT, tout essoufflé. - Ouf ! Ouf !

M. DÉSEMPLÂTRES. - Eh bien ! as-tu bientôt fini de souffler ?


PIERROT. - Ouf !

M. DÉSEMPLÂTRES. - Mais voyez donc ce drôle-là !... Parlera-t-il enfin ?

PIERROT. - Ouf ! not' maître.

M. DÉSEMPLÂTRES. - Que t'a dit mon médecin ?

PIERROT. - Je m'en vas vous conter ça tout du long not' maît'.

M. DÉSEMPLÂTRES. - Que m'a-t-il ordonné ?

PIERROT. - Ce qu'il vous a ordonné ?... dame ! je serais bien embarrassé de vous le dire.. Tenez, not' maître, toutes ces ordonnances de médecin, c'est du galimatias. Si vous voulez me croire, je m' charge de vous guérir sans toutes ces drogues-là. Pour vous faire passer le mal de tête, je vais d'abord vous chanter une petite chanson.

M. DÉSEMPLÂTRES. - Je te défends d'ouvrir la bouche !

PIERROT. - Ça n' sera pas long, not' maître, rien que quatre-vingt-dix-neuf couplets.

M. DÉSEMPLÂTRES, gesticulant. - Ah ! Traître ! tu veux donc me faire mourir ?

PIERROT. - Dame, not' maître, faut bien que vous sachiez ce que vot' médecin m'a chargé de vous dire.

M. DÉSEMPLÂTRES. - As-tu fini, coquin ? as-tu fin ?

PIERROT. - Je n'ai pas encore commencé !... (il se prépare a chanter). Hum ! Hum ! Hum !

Premier couplet.
Tout aussitôt que j' fus sorti,
Mon maître, de votre logis,
En voulant courir au galop,
V'là que j' m'étends dans un ruisseau.
J' me relève tout barbouillé,
Tout crotté comme un chien barbé !

Deuxième couplet.
J' vis bien, en me considérant,
Qu' c'était tout à fait guignolant.
N' pouvant pas rester planté-là,
J' prends mon parti et pis, j' m'en vas :
J'enfile tout droit mon chemin,
Courant partout, comme un lapin !

Troisième couplet.
L' premier passant qu' j'ai rencontré,
Sans plus d' façon me fit au nez,
J' lui dis :  « Connais-tu la maison
De c' méd'cin dont je n' sais pas l' nom ?
I' m' dit : — Mon ami, va la-bas.
Tu trouveras ce médecin là. »

Quatrième couplet.
Sur la port' je trouve un marteau.
Je m' mets à frapper comme il faut.
On ouvre, j'entre en demandant
Si votre méd'cin était d'dans.
Ah ! c'est toi, mon ami Pierrot !
M' répond Collas, va'-t-en là-haut !

Cinquième couplet.
J' mont' quatre à quatre l'escalier,
Sans m'arrêter jusqu'au grenier.
On m' dit de descendre au second ;
Je r'viens sur mes pas à reculons.
Tout au bout d'un long corridor,
Je vois un gros monsieur qui sort.


Sixième couplet.
J' mets aussitôt mon chapeau bas
Et j' commenc' par lui dir' comm' ça :
Que dans vot' lit, rouge allongé,
Vous étiez sans cess' tracassé.
Ayant de je n' sais quoi grand peur...

M. DÉSEMPLÂTRES, en colère. - De la goutte ! de la goutte !... Ah ! Drôle ! tu as oublié le plus essentiel !

PIERROT. - C' qui vous f'sait crier au voleur.

M. DÉSEMPLÂTRES. - Ce qui m'occasionne des douleurs.

PIERROT. -

Septième couplet.
Que vous aviez l’œil offusqué

Par la cathédrale et l' clocher.

M. DÉSEMPLÂTRES. - La cathédrale ! est-il possible de dire de semblables sottises. Ah ? Coquin ! je t'avais pourtant bien expliqué que j'avais un commencement de cataracte dans l’œil.

PIERROT.
Qu' les catholiques étaient au fond
D' vot' ventre rond comme un ballon.

M. DÉSEMPLÂTRES. - Des coliques ! Animal ! des coliques !

PIERROT.
Que vous étiez enfin, partout,
Comme un damné rongé de poux !


M. DÉSEMPLÂTRES. - Que j'avais le pouls très agité, impertinent ! Ah ! mon Dieu, que les maîtres sont à plaindre quand ils sont si mal servis !

PIERROT.

Huitième couplet.
C'est bien, mon ami, m'a-t-il dit,
Que ton maît' se soit mis au lit.
Auprès d' lui je serai tantôt.
En attendant, j'ordonn', primo :
De la tisane au chien couchant.

M. DÉSEMPLÂTRES. - De là tisane de chiendent.

PIERROT. - Et qu'à l'église, il aill' souvent.

M. DÉSEMPLÂTRES. - Et de réglisse.

PIERROT.

Neuvième couplet.
Retourne bien vite au logis

Et n'oublie pas c' que j'ai prescrit .
Je prends aussitôt mon élan

Et j' pars tout comm' un cerf volant,
Ouf ! j'arriv' en pressant le pas
Vers vous, mon maître, et puis me v'là !

M. DÉSEMPLÂTRES. - C'est comme cela, animal, que tu as fait ma commission ! Il eût autant valu rester à la maison.

PIERROT, dépité. - Je n' me serais pas tant crotté, barbouillé, fatigué ; il y a plaisir, not' maître, à vous rendre service. Au surplus, je n'ai pas autre chose à vous dire. Si je ne vous en ai pas dit assez long, voici votre médecin qui va vous en débiter tant que vous voudrez. Votre serviteur, monsieur !e médecin ; donnez-vous la peine d'entrer, je vous prie, monsieur le médecin (Pierrot sort du côté opposé au lit).


SCÈNE IX


M. DÉSEMPLÂTRES, M. PURGON (il arrive du côté opposé au lit en toussant).

M. PURGON. - Hum ! hum ! hum ! (arrivé auprès de monsieur Désemplâtres, il se tourne vers lui). Eh bien, eh bien, mon cher monsieur Désemplâtres, qu'est-ce ? comment vous portez-vous ?

M. DÉSEMPLÂTRES. - Ah ! monsieur Purgon, fort mal !

M. PURGON. - Comment, fort mal ?... Allons, voyons, votre pouls, quid dicis ?... repoussant. Je m'en doutais... c'est pourquoi j'ai recommandé à monsieur Visautrou, votre apothicaire, de venir vous administrer, tout à l'heure, un clystère, que j'ai pris plaisir à composer moi-même dans toutes les règles de l'art, et qui doit faire dans vos entrailles un effet merveilleux.

M. DÉSEMPLÂTRES. - Je vous suis obligé, monsieur, des bontés que vous avez pour moi.

M. PURGON. - De quoi dites-vous, que vous êtes malade, mon cher monsieur Désemplâtres ?

M. DÉSEMPLÂTRES. - Je pense que c'est du foie, d'autres disent que c'est de la rate.

M. PURGON, agitant le bras. - Ce sont tous des ignorants ! C'est du poumon que vous êtes malade.

M. DÉSEMPLÂTRES. - Du poumon ?

M. PURGON. - Oui... que sentez-vous ?

M. DÉSEMPLÂTRES. - Je sens, de temps en temps, des douleurs de tête.

M. PURGON. - Justement, le poumon.

M. DÉSEMPLÂTRES. - Il me semble parfois, que j'ai un voile devant les yeux.

M. PURGON. - Le poumon !

M. DÉSEMPLÂTRES. - J'ai quelquefois des maux de cœur.

M. PURGON. - Le poumon !

M. DÉSEMPLÂTRES. - Je sens quelquefois des lassitudes dans tous les membres.

M. PURGON. - Le poumon !

M. DÉSEMPLÂTRES. - Et quelquefois, il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c'étaient des coliques.

M. PURGON. - Le poumon ! Vous avez appétit à ce que vous mangez ?

M. DÉSEMPLÂTRES. - Oui, monsieur.

 
 



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