THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

SCÈNE  I.

 

Arlequin, courant.

 

ARLEQUIN. - Ouf ! je n'en puis plus. Reprenons haleine. Ah ! mon Dieu, mon Dieu, que c’est donc terrible ce qui vient de se passer ! Mon pauvre maître tombé dans un grand trou ; le Nain disparu et mam'zelle Rosemonde changée en statue ! Pauvre femme ! elle ne pourra plus parler. Et moi, qui, à force de courir, me trouve transporté dans cet affreux pays, où je ne resterai pas longtemps sans mourir de faim, ou sans être dévoré par les animaux féroces. Mais n'ai-je pas entendu quelqu'un qui s'avance ?


UN  ÉCHO. - Avance.

ARLEQUIN. - Sangodémi ! on me répond ! ai-je bien ouï ?

L'ÉCHO. - Oui.
 

ARLEQUIN. - La frayeur s'empare de moi. Tout mon corps tremble.


L'ÉCHO. - Tremble !!!
 

ARLEQUIN, tombant par terre. - Oh ! Là ! Là ! Seigneur Génie, accorde-moi la vie et je donne tout ce que je possède, si tu l'ordonnes.


L'ÉCHO. - Donne.
 

ARLEQUIN, se relevant. - Mais je suis fou ! c’est un écho qui est ici. Parbleu ! il vaut encore mieux causer avec un écho que de causer tout seul. Celui-ci a l'air très complaisant ; amusons-nous.


L'ÉCHO. - Amusons-nous.

     (Un ours sort debout de la caverne).


ours

ARLEQUIN. - Ohimé ! je suis mort !

L'OURS. - Je te fais donc peur aussi ?

ARLEQUIN. - On ne peut pas plus.


L'OURS. - Eh bien, vois-moi sous ma véritable forme. (Il change et on voit le Nain Jaune). Reconnais le protecteur de ton maître.

ARLEQUIN. - Alors, monsieur le Nain Jaune, vous le protégez bien mal, ou vous n'avez guère de puissance.

LE  NAIN. - Je ne puis changer le destin ; mais je le sauverai encore de bien des maux et ce sera par toi.


ARLEQUIN, saluant. - Vous êtes bien bon ! mais si j'avais le pouvoir de sauver quelqu'un, je commencerais par me sauver moi-même.

LE NAIN. - Ne réplique pas et obéis. Ecoute, je vais te confier le talisman que le sort a désigné. Arrache-moi la queue.

     (Il se retourne).

ARLEQUIN. - Ah ! Seigneur, vous voulez rire. Je vous ferai mal.

LE  NAIN. - Ne crains rien et arrache, te dis-je tel est l'ordre du destin. (Arlequin arrache la queue. - Lazzis). Lorsque tu désireras quelque chose, tu n'auras qu'à l'agiter, en prononçant ce mot tout puissant : Quiribirini !

ARLEQUIN. - Quiribirini ! Je ne pourrai jamais dire ce mot-là .

LE  NAIN. - Il suffit. Je te quitte. Souviens-toi que lorsque tu voudras revoir ton maître, ce mot talismanique te rapprochera de lui à l'instant même. Mais souviens-toi aussi qu'il est sans effet pour la délivrance de la princesse.


      (Il sort).

 

SCÈNE  III.

 

Arlequin seul.

 

ARLEQUIN. - Ce que c’est que de nous ! avec cette queue et un Quiribirini proféré à propos, je peux bouleverser la nature entière ! C’est incompréhensible... Ah ! ça, moi qui bavarde là, tandis que je devrais m'occuper de mon pauvre maître....


FLORESTAN, dans la caverne.

Air : Tandis que tout sommeille.

Dans une tour obscure
Un prisonnier gémit.
Sans recours il languit,
Étendu sur la dure.
Qui le plaindra,
Le soutiendra,
Dans sa douleur profonde ?
Plus jamais pour lui de bonheur !
Ni plus de repos pour son cœur. . .
Hélas ! il a dans son malheur
Entraîné Rosemonde !

 

ARLEQUIN. - Je ne me trompe pas ! c’est sa voix... ce bon maître... il faut le consoler. Entrons.

     (Il se dirige vers la caverne. Une licorne en sort et vomit des flammes).
     Oh ! tu ne me fais pas peur. Quiribirini !

     (Il agite la queue et la licorne disparaît. Un rideau de nuages la remplace et masque l'entrée de la caverne).

     Qu'est-ce que cela veut dire ? des nuages ! Est-ce que ce serait sa prison ? elle serait d'un nouveau genre... Allons, Quiribirini !

     (Les nuages se dissipent et laissent voir une cage de fer dans laquelle est couché Florestan).


cage

SCÈNE  IV.

Arlequin, Florestan.

 

ARLEQUIN. - Oh ! mon pauvre maître, c’est Arlequin, votre écuyer dévoué qui vient vous sauver.

FLORESTAN. - Bon serviteur Et Rosemonde ? ma chère Rosemonde ?


ARLEQUIN. - Vous la reverrez. Mais vous êtes bien mal pour faire la conversation. Attendez un peu que je vous délivre. Quiribirini ! (Les barreaux de la cage tombent).

FLORESTAN. - Cher Arlequin i grâce à toi, me voilà libre. Maintenant, courons sauver la princesse.

ARLEQUIN. - Nous ne le pouvons pas.

FLORESTAN. - Ciel, que me dis-tu ?

ARLEQUIN. - Ce que m'a dit le Nain Jaune, votre protecteur, qui a bien voulu détacher sa queue en votre faveur.

FLORESTAN. - Peu m'importe le secours d'un talisman ! Je la sauverai ou je périrai.

ARLEQUIN. - Vous périrez, mais je ne vous quitte pas. Je vais essayer l'effet de mon Quiribirini ; mais j'ai bien peur de faire chou blanc. Quiribirini !

arbre en ombre chinoise théâtre d`ombres silhouette marionnette

(Le théâtre change et représente une forêt).


ARLEQUIN. - Nous voilà revenus dans la forêt qui est voisine des domaines du roi des îles Noires, votre rival.

sapin en ombre chinoise théâtre d`ombres silhouette marionnette

 

FLORESTAN. - Et c’est ma fatale imprudence qui cause le malheur de tout ce qui m’est cher, et sans le Nain Jaune...

ARLEQUIN. - Vous seriez encore en cage. Vous voyez que monseigneur le Nain Jaune avait bien ses motifs pour vous interdire de songer à Rosemonde, puisque vous ne pouvez rien pour elle.


FLORESTAN. - Silence ! quelqu'un vient... c’est elle...

ARLEQUIN. - De grâce, seigneur, de la prudence, cachons-nous dans ce fourré ; peut-être le ciel nous inspirera-t-il.

 

SCÈNE  V.

 

Les mêmes, cachés et Rosemonde.

 

ROSEMONDE. - Rien ne peut me faire oublier mes peines ; mes malheurs sont si grands que la mort seule peut y mettre un terme. Ah ! Florestan, qu'êtes-vous devenu ?

FLORESTAN. - Je ne puis résister plus longtemps. (Se montrant). Ah ! divine Rosemonde !


ARLEQUIN. - Mon prince, quelle imprudence !

 

SCÈNE  VI.

 

Les mêmes, Ilcanor,

 

ILCANOR. - Téméraire ! Je vous tiens donc en ma puissance ! Rien ne pourra vous y soustraire et ma vengeance sera terrible.

     (Le massif d'arbres s'entrouvre, et le Nain Jaune en sort).


LE  NAIN  JAUNE. - Tu t’abuses, Ilcanor. Les destins ont prononcé ! Rosemonde sera rendue à Florestan, son époux, et toi, méchant génie, tu vas redevenir ce que tu étais avant de paraître sur la terre, et tu expieras aux enfers, par les plus cruels supplices, tes nombreux forfaits.

     (Ilcanor change à vue et est transformé en furie. Tonnerre. Il s'enfonce avec des diables).


furie


diables

ILCANOR. - Ô fureur !

LE NAIN JAUNE. - Vous, belle princesse, et vous, Florestan, recevez le prix de vos vertus et de vos infortunes, et qu'une longue suite de prospérités vous basse oublier les pénibles épreuves que vous avez eu à subir.

ARLEQUIN. - Et moi, monseigneur le Nain, vous ne m'abandonnerez pas !

LE  NAIN. - Non, sans doute.

FLORESTAN. - Tu seras du repas de noce.

ARLEQUIN. - Grand merci ! Je m'en lèche les doigts d'avance. Mais dites-moi que dois-je faire du dépôt que vous m'avez confié ?

     (Il montre la queue).

LE NAIN. - Je le reprends. (La queue va se rattacher à ses reins). Ce talisman t’est désormais inutile, et il peut servir à d'autres infortunés.

     (Le théâtre a changé et représente un superbe palais que viennent éclairer les flammes de Bengale).

château décor aquarium theatre d`ombres ombres chinoises silhouettes marionnettes

ARLEQUIN, au public,

Air : de la Famille de l'apothicaire.

De ce cont' jaune qu'on a pris
Dans la Bibliothèque bleue,
Si vous comprenez tout le prix,
Ah ! Messieurs, fût-ce d'une lieue !
Prouvez-nous en venant nous voir,
Quand vous devriez faire queue,
Que notre succès de ce soir
N'est pas trop tiré par la queue.

 

RIDEAU




 
 
 



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