THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

LE NAIN JAUNE

ou

QUIRIBIRINI


PIÈCE  FÉERIE  EN  DEUX  ACTES.


PERSONNAGES :

LE  NAIN  JAUNE,
FLORESTAN, prince de ***,
ARLEQUIN, son écuyer,
ILCANOR, magicien, roi des Îles Noires,
ROSEMONDE.


 

ACTE  I

séjour décor en théâtre d`ombres chinoises silhouettes

     Le théâtre représente une chaumière ; sur un des côtés est une énorme bouteille, sur laquelle est écrit Essence ; du côté opposé : un bahut praticable .


SCÈNE  PREMIÈRE.

Arlequin d'abord, ensuite Florestan.

     (Arlequin entrant avec précaution, il salue de tout côté, ensuite il appelle son maître).

clown en théâtre d`ombres ombres chinoises silhouettes marionnettes
Arlequin

ARLEQUIN. - Seigneur Florestan !

prince en théâtre d`ombres ombres chinoises silhouettes marionnettes
Florestan

FLORESTAN. - Je ne vois personne.

ARLEQUIN. - Ni moi non plus.


FLORESTAN. - Il paraît que cette chaumière n’est point habitée.

ARLEQUIN. - Tant pis, mon prince... Nous n'y trouverons point à manger et j'ai une faim !...

FLORESTAN. - Gourmand ! qui ne penses qu'à manger ! N'as-tu pas bien déjeuné avant de partir ?

ARLEQUIN. - Oh ! oui, parlez-moi de ça ! Quatre pruneaux et deux noisettes.

FLORESTAN. - Et tu n'as rien laissé.

ARLEQUIN. - Sangodémi, ne fallait-il pas encore inviter une demi-douzaine d'amis ? Et dire que c’est à peu près mon régime de chaque jour... Aussi, je m'amoindris, je fonds à vue d’œil. Mais que regardez-vous ainsi, mon prince ?

FLORESTAN. - Cette porte qui conduit, sans doute, dans une autre pièce. Entrons-y.

ARLEQUIN. - Entrez-y tout seul, mon prince. Quant à moi, je demeure.

FLORESTAN. - Que crains-tu donc ?

ARLEQUIN. - Tout absolument, depuis que nous sommes sortis de notre pays pour courir après une femme, que nous ne reverrons peut-être jamais.

FLORESTAN. - Infortunée Rosemonde !

ARLEQUIN. - Nous n'avons eu que mésaventures sur mésaventures. Vous avez manqué périr mille fois pour une.

FLORESTAN. - Hé ! que m'importe la vie sans Rosemonde !

ARLEQUIN. - Ah ! voilà qui est bien dit ! Il y a deux mois que cette belle princesse vous fut enlevée au moment où vous alliez devenir son époux ; vous résolûtes aussitôt de courir la prétantaine jusqu’à ce que vous l'eussiez retrouvée ; en serviteur fidèle, je vous ai suivi, et depuis notre départ, nous n'avons rien appris, sinon que la princesse avait été enlevée par un magicien ; mais lequel ? Nous nous sommes embarqués, mais nous avons fait naufrage et sur le point d'être engloutis, nous avons pu, à force de lutter contre les flots, aborder sur cette plage inconnue... Cette cabane s’est offerte à nos regards : nous y avons pénétré, et d'après ce que je crains, nous n'avons échappé à la fureur de l'onde que pour périr misérablement de faim ici.

UNE VOIX. - Tu te trompes, Arlequin.

ARLEQUIN, tombant de frayeur. - Ah ! mon Dieu ! on a parlé !

FLORESTAN. - En effet, j'ai entendu...

ARLEQUIN. - Tenez, mon prince, allons-nous-en. Nous sommes dans l'habitation de quelque sorcier, qui nous tuera s'il nous trouve. Décampons, décampons. (Fausse sortie. Une grille barre la porte). Ohimé ! voilà que ça commence. Nous mourrons ici, c’est sûr.

LA VOIX. - Tu te trompes, te dis-je, demande ce que tu voudras.

ARLEQUIN. - Ah ! Seigneur, donnez-nous à manger pour quatre - Je mangerai pour trois, d'abord.

     (Une table magnifiquement servie sort de terre).


 

table en théâtre d`ombres ombres chinoises silhouette marionnette

     Ah ! cette vue me rassure et me réjouit. Voyez donc, mon prince. Je croyais n'avoir faim que pour trois... Je me trompais ! Je vais manger pour dix. Mettez-vous donc à table.

FLORESTAN. - Je n'ai besoin de rien.

ARLEQUIN. - Je vais boire à la santé de l'hôte généreux qui me fait faire une si bonne chère.

FLORESTAN. - Tu n'y songes pas, Arlequin ; si ce repas t'était servi par le diable ?

ARLEQUIN. - Sangodémi ! mon prince, vous me troublez la digestion.... Mais non, cela ne saurait être... car, enfin.


AIR : du Petit Courrier.

Si c’est le diable qui me sert,
Vous conviendrez, mon très-cher maître,
Que je puis fort bien me permettre
De le chanter pour le dessert.
Oui, vraiment ! je serais coupable
Si je ne répétais ici
Qu'à coup sûr c’est un fort bon diable,
Que celui qui me traite ainsi.

     (La table est entraînée).

     Hé bien, hé bien. Voilà qu'elle disparaît ! Et je n'ai pas pris mon café ! Un instant ! il faut que je la rattrape, et je profiterai de l’occasion pour inspecter la maison et tâcher de découvrir son propriétaire. (Il sort du côté par où la table a disparu).


SCÈNE  II.

Florestan, le Nain Jaune.


LA  VOIX. - Florestan ! Florestan !

FLORESTAN. - On m'a nommé !... D'où vient cette voix ?


LA VOIX . - Regarde de ce côté. Vois cette énorme bouteille ; elle renferme ton bonheur.

FLORESTAN. - Mon bonheur, dis-tu ? Qui que tu sois, être inconnu, apprends-moi ce que je dois faire pour l'obtenir ?

LA  VOIX. - La briser, et tu y trouveras un ami et un protecteur.

FLORESTAN. - Dois-je croire ?...

LA  VOIX. - Tu hésites ?

FLORESTAN. - Après tout, que risqué-je ? (Il s approche de la bouteille qu'il brise en éclats. Coup violent de tonnerre. Au milieu d'une épaisse fumée apparaît le Nain Jaune ; il a une longue queue au bas des reins).


nain jaune
 

LE NAIN, sautant à terre. - Reçois mes remerciements, mortel courageux, qui a brisé la prison où je gémissais depuis trois-mille-sept-cent-treize ans.


FLORESTAN. - Daignez m'expliquer...

LE  NAIN. - Je vais satisfaire ta curiosité ! Je me nomme le Nain Jaune. Mes fonctions sont, sur la terre, d'aider les chevaliers fidèles et braves comme toi. Un méchant enchanteur, le roi des îles Noires, jaloux de ma mission, parvint à force de conjurations à me soumettre à son pouvoir ; il m'enferma dans cette bouteille où j'aurais pu demeurer éternellement, si un heureux hasard ne t'avait amené en ces lieux. Tu m'as arraché à ma prison ; je ne mettrai point de bornes à ma reconnaissance.


SCÈNE  III.


Les mêmes, Arlequin.


ARLEQUIN. - Seigneur, j'ai bien visité toute la maison et je n'y ai pas trouvé un chat. (Apercevant le Nain) Sangodémi ! Vous êtes en société ? Si c’est le maître de l'établissement, il n’est pas beau.


FLORESTAN. - Silence, maroufle.
 

LE  NAIN. - Florestan, je connais le but de ton voyage : tu es à la recherche de la belle Rosemonde... Hé bien, je veux te la faire retrouver, et cela avec d'autant plus de bonheur, que celui qui te l'a ravie est ce maudit enchanteur à qui j'ai dû ma trop longue captivité, le perfide Ilcanor.


FLORESTAN. - Quoi ! il se pourrait ?...

ARLEQUIN. - Voilà qui est curieux !
 

 
 



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