MONSIEUR BISCUIT. - Déshabillez-vous ! Faut-il que j'aille chercher votre bonne !? (Anatole quitte son pantalon court, son paletot et apparaît en chemise). Ce n'est pas comme un singe qu'il est bâti, c'est comme deux singes ! Vivement, l'uniforme ! (Il lui fait enfiler un pantalon trop long, une tunique trop large dont le collet monte aux oreilles et dont les manches couvrent ses mains, il lui met sur la tête un képi qui s'enfonce jusqu'au cou).
ANATOLE, du fond de son képi. - Mais, m'sieu, j'étouffe, il est trop grand.
MONSIEUR BISCUIT. - Trop grand imbécile ! Je vais vous faire voir s'il est trop grand ! (Monsieur Biscuit prend le képi et le place sur le bout de sa tête). Et vous osez dire que ce képi est trop grand ! Trop petit au contraire !
ANATOLE. - Mais m'sieu, vous n'avez pas la même tête que moi !
MONSIEUR BISCUIT. - Je l'espère bien ! Allons, vous êtes admirablement costumé. En étude maintenant et plus vite que ça ! (Il le pousse dehors. Anatole s'en va en trébuchant). Si on les écoutait, ces garnements, il faudrait les faire habiller chez Worth. (Un coup de cloche). Allons bon ! L'heure du ressemelage. Pas une minute de repos. Et l'on s'étonne que les économes meurent jeunes ! (Il sort avec des gestes désespérés).
LE GARÇON, le poursuivant. - Monsieur Biscuit, vous oubliez votre mètre !
MONSIEUR BISCUIT, revenant. - Rappelle-toi bien cette devise, Baptiste, si jamais tu deviens économe : notre ennemi, c'est notre mètre !
Exeunt.
QUATRIÈME TABLEAU
LA SALLE D'ÉTUDES
(Accessoires : bureau de maître et banc d'élèves).
MONSIEUR LHÉRISSÉ, MAÎTRE D'ÉTUDE, ANATOLE BIENCHÉRI, UN AUTRE ÉLÈVE
MONSIEUR LHÉRISSÉ, sommeillant à moitié. - Silence !
ANATOLE BIENCHÉRI. - Ce n'est pas moi !
L'AUTRE ÉLÈVE. - Ni moi, m'sieu ! (Anatole fait courir une souris sur le bord de la table, et l'autre élève un lézard).
MONSIEUR LHÉRISSÉ, toujours endormi à moitié. - Silence donc !
ANATOLE, faisant claquer ses doigts. - M'sieu, m'sieu !
L'AUTRE ÉLÈVE, même jeu. - M'sieu, m'sieu !
MONSIEUR LHÉRISSÉ. - Allez ! (Les deux élèves se précipitent et se bousculent). Aurez-vous bientôt fini ce tapage ?
ANATOLE. - C'est moi qui avais demandé le premier.
L'AUTRE ÉLÈVE. - Pas vrai, c'est moi ! (Ils se gourment).
MONSIEUR LHÉRISSÉ. - C'est bien, vous irez tous les deux ? à la retenue !
LES DEUX ÉLÈVES. - C'est à faux !
MONSIEUR LHÉRISSÉ. - Le premier qui réplique ! (Les deux élèves se lèvent et se couchent sur leur table. Monsieur Lhérissé profite de de moment d'accalmie pour reprendre son sommeil. Bientôt, on entend un ronflement progressivement sonore. Anatole prend de longs ciseaux dans sa case et fait une potence avec un homme pendu en chantant :)
ANATOLE. -
Aspice Pierrot pendu
Qui librum n'a pas rendu
Si librum redidisset
Pierrot non pendu fuisset.
(Puis Anatole et son camarade confectionnent l'un une pipe en papier et l'autre une longue allumette. Ils lui plantent la pipe à la bouche et l'allumette dans le cou, puis ils y mettent le feu. Le maître, se sentent roussir, s'élance sur les élèves qui disparaissent derrière la chaire en chantant :)
LES DEUX ÉLÈVES. -
Vive les vacances
Denique tandem !
Et les pénitences
Habelunt finem !
Les pions intraitables
Vultu barbaro
S'en iront au diable
Gaudio nostro.
(Au même moment, monsieur Séchard, proviseur, arrive. Il s'arrête stupéfait devant ce spectacle et s'écrie :)
LE PROVISEUR. - Vous aussi, infortuné Lhérissé ! Ah vous êtes digne de la porter ! (Et il lui repasse sa couronne de martyr).
CINQUIÈME TABLEAU
LE DORTOIR
Accessoires : Un lit, un vase de nuit.
MONSIEUR LHÉRISSÉ, ANATOLE BIENCHÉRI, UN AUTRE ÉLÈVE.
(Anatole Bienchéri couché avec un énorme bonnet de coton. On entend un coup de sonnette. Monsieur Lhérissé entre en chemise, coiffé lui aussi d'un bonnet de coton et de sa couronne de martyr. Il s'approche du lit d'Anatole et le secoue vivement).
MONSIEUR LHÉRISSÉ. - C'est vous, polisson !
ANATOLE, se réveillant, se frottant les yeux, prononce des paroles incohérentes. - Oui, non, de quoi, M'sieur, laissez-moi dormir !
(On entend un second coup de sonnette, dans une autre direction. Le maître se précipite. Anatole se recouche, enfonçant son bonnet de coton. Troisième coup de sonnette. Le maître revient toujours en chemise, cherchant le coupable. À peine est-il arrivé près du lit d'Anatole, qu'un quatrième coup de sonnette le fait retourner et ainsi de suite. Cette scène se renouvelle jusqu'à ce que le malheureux pion, impuissant à découvrir le coupable, s'écrie d'un ton lamentable :)
MONSIEUR LHÉRISSÉ. - Tant pis, qu'ils carillonnent à leur aise, les bandits ! Je tombe de fatigue ! Ô Morphée, viens me verser le sommeil et l'oubli !
(Il sort. À peine est-il parti qu'Anatole se lève doucement sur son séant, en faisant Ps'tt ! Un entre Ps'tt lui répond. Et bientôt on voit apparaître un second élève en caleçon, marchant sur la pointe des pieds et apportant son pot de chambre. Anatole tire une bouteille cachée sous son traversin et en verse le contenu dans le pot de chambre. Ils mettent du sucre, remuent avec un ceinturon, puis ils allument le punch qui flambe. Ils esquissent tous deux un pas de caractère autour du vase nocturne flamboyant. Apparition de monsieur Lhérissé, même costume, chemise, bonnet de coton et auréole).
MONSIEUR LHÉRISSÉ. - Au feu ! au feu ! (À ce cri, l'autre élève se précipite dans le lit d'Anatole et Anatole s'assoit vivement sur le vase, ce qui étouffe la flamme).
MONSIEUR LHÉRISSÉ, furibond. - Que faites-vous là, misérable !?
ANATOLE. - Vous voyez bien, M'sieu ! Je suis malade...
MONSIEUR LHÉRISSÉ. - C'est bon, vous irez demain à l'infirmerie. (Roulement de tambour) Le matin déjà. Et dire que je n'ai pas dormi une demi-heure. Enfin, je me vengerai pendant l'étude.
SIXIÈME TABLEAU
L'INFIRMERIE
Accessoires : Un lit, une table, une seringue.
LE DOCTEUR DUFLUTEAU, ANATOLE BIENCHÉRI, UNE SŒUR FIGURÉE PAR UNE CORNETTE EN PROFIL, XÉNOPHON, GARÇON D'INFIRMERIE, DÉFILÉ D'ÉLÈVES.
LE DOCTEUR DUFLUTEAU, assis à sa table. - Xénophon !
LE GARÇON. - Baptiste, Monsieur !
LE DOCTEUR. - Non, je préfère vous appeler Xénophon.
LE GARÇON. - Pourquoi, monsieur le Docteur ?
LE DOCTEUR. - Un rapprochement classique avec l'auteur de la Retraite des dix-mille.
LE GARÇON. - Comprends pas !
LE DOCTEUR. - Imbécile ! Parce que Xénophon avait l'habitude, comme vous, de surveiller les derrières.
LE GARÇON. - Ah ! c'est un métier difficile... autour du printemps surtout, au moment des ballons.
LE DOCTEUR. - Assez bavardé ! Combien d'inscriptions pour la visite, ce matin ?
LE GARÇON. - Comme d'habitude, monsieur le Docteur, trente-huit à quarante.
LE DOCTEUR. - Allons, dépêchons ! Faites entrer ces infirmes. Numéro un ! (Un élève entre et se tient debout devant la table). Qu'est-ce que vous avez ?
L'ÉLÈVE. - M'sieur, je me sens tout chose !
LE DOCTEUR. - Qu'est-ce que ça veut dire : tout chose ?...
L'ÉLÈVE. - J'ai des gargouillements dans l'estomac.
LE DOCTEUR. - Montrez votre langue ! (L'élève tire une langue raisonnablement grosse). Je vois ce que c'est ! Sœur ! Riz et œuf, guimauve, lait. À un autre ! (Entrée d'un second élève -toujours le même). Qu'est ce que vous avez ?
L'ÉLÈVE. - J'ai mal à la tête.
LE DOCTEUR. - Où ça, à la tête ?
L'ÉLÈVE. - Mais, M'sieur !
LE DOCTEUR. - C'est bon, montrez votre langue. (L'élève tire une langue plus longue que l'autre). Ah, je vois ce que c'est : Sœur ! Riz et œuf, guimauve, lait ! Au troisième. Qu'est-ce que vous avez ?
L'ÉLÈVE. - M'sieur, j'ai mal aux dents.
LE DOCTEUR. - Quelle dent ?
L'ÉLÈVE. - Je ne sais pas, M'sieur, de ce côté ! (Il montre sa mâchoire).
LE DOCTEUR. - C'est bien : Montrez votre langue ! (Il tire une langue de plus en plus grande). Ah, je vois ce que c'est : Sœur ! Riz et œuf, guimauve, lait ! Le numéro quatre ! Qu'est-ce que vous avez ?
L'ÉLÈVE. - M'sieur, j'ai des engelures...
LE DOCTEUR. - Bon, faites voir la langue ! (L'élève tire une langue démesurée). Je vois ce que c'est : Sœur ! Riz et œuf, guimauve, lait ! (L'élève reste). Au cinquième ! Qu'est-ce que vous avez ?
ANATOLE BIENCHÉRI. - M'sieur, j'ai mal au ventre.
LE DOCTEUR. - Compris. Allez vous coucher. Xénophon, à vos pièces ! (Le Docteur sort. Xénophon prend une seringue et se met en mesure d'opérer l'élève aux engelures, qui a passé dans la coulisse. Il est déjà à moitié chemin de l'opération, lorsque le docteur survient en s'écriant :) Imbécile, vous vous trompez ! Ce n'est pas celui-là, c'est l'autre !
XÉNOPHON. - Si ce n'est que ça ! Y a pas d'offense. Je le retire. (Xénophon retire le piston et reporte la seringue à l'élève couché. Truc de la vessie qui se gonfle sur le ventre et finit par éclater).
SEPTIÈME TABLEAU
LA SORTIE
Accessoires : une table de café, deux chaises.
ANATOLE BIENCHÉRI, UNE COCOTTE.
ANATOLE BIENCHÉRI, seul. - (Il se promène en costume de potachien élégant, képi sur l'oreille, faux-col, manchettes, énorme cigare à la bouche). La sortie de quinzaine ! Une journée de délivrance du bahut ! Ô liberté ! Comment occuper agréablement ces heures fugitives ? Irreparabile tempus ! Je fume déjà un cigare qui me donne des nausées. Mon estomac menace de se rendre... Mais ce n'est pas assez ! Épuisons jusqu'au fond la coupe des voluptés... Une femme ! Si je pouvais rencontrer une femme... Ô Cupido, ô Éros ! Justement, en voici une. Elle vient à moi ; quelle élégance, quelle majesté, quelle grâce ! Vera incessu patuit Dea... Tenons nous, Anatole, et montre toi digne de l'Université et de la Jeune France. (Entrée de la cocotte, troisième catégorie. Grimaces et falbalas).
ANATOLE, s'inclinant profondément. - Madame !
LA COCOTTE. - Quê qu'y veut ce moucheron ?
ANATOLE. - Déesse !
LA COCOTTE. - Pas de bêtises ! Je m'appelle Amélie.
ANATOLE. - Qu'importe le nom ! Si vous êtes belle et si je vous aime !
LA COCOTTE. - Déjà ! il va bien le petit.