SCÈNE VII
MADAME DU PLUMEAU, MARCHAND DE POMMES DE TERRE
MADAME DU PLUMEAU. - Elle est gentille, cette petite ; mais c' n'est point celle que la lettre annonce.
LE MARCHAND. - Au boisseau, la vitelotte, au boisseau. En faut-il, la bourgeoise ?
MADAME DU PLUMEAU. - Pas aujourd'hui.
LE MARCHAND. - J'ai d' la belle hollande.
MADAME DU PLUMEAU. - N'en faut pas.
LE MARCHAND. - Dix-huit sous le boisseau.
MADAME DU PLUMEAU, avec humeur. - Puisque je vous dis qu'il n'en faut pas.
LE MARCHAND. - Vous fâchez pas : on s'en va. (Il sort).
MADAME DU PLUMEAU. - Cette lettre me trotte dans la tête ; elle m'annonce la visite d'une personne que je chéris jadis...
SCÈNE VIII
MADAME DU PLUMEAU, LA MARCHANDE DE POISSONS
LA MARCHANDE. - Beau poisson de la Seine ; merlan à frire, à frire.
MADAME DU PLUMEAU. - Je n'ai besoin de rien.
LA MARCHANDE. - À la moule, à la moule : la moule est fraîche et bonne.
MADAME DU PLUMEAU. - Impossible d'être tranquille un instant !
LA MARCHANDE. - Vous fâchez pas, méchante : si on ne vous vend pas, on vendra à d'autres. (Elle sort).
SCÈNE IX
MADAME DU PLUMEAU, UN REPASSEUR
LE REPASSEUR. - V'là le r'passeur de couteaux.. À r'passer les couteaux, canifs, ciseaux.
MADAME DU PLUMEAU. - Encore !
UN PORTEUR D'EAU. - À l'eau !... À l'eau !...
LE REPASSEUR - Vous n'avez rien à repasser ?
MADAME DU PLUMEAU. - Rien de rien.
LE REPASSEUR. - Alors, je repasserai... un autre jour.
MADAME DU PLUMEAU. - C'est ça.
(Le repasseur et le porteur d'eau s'en vont).
SCÈNE X
MADAME DU PLUMEAU, puis UN CHANTEUR
et UN MARCHAND DE COCO
MADAME DU PLUMEAU. - Enfin me voici seule : je puis réfléchir à mon aise à ce message qui m'est arrivé sur l'aile du zéphyr... par la main du facteur.
LE CHANTEUR DES RUES, chantant. -
De la mère Angot
Je suis la fille (bis)
Demandez les chansons, romances les plus nouvelles, avec le calendrier, pour (dire l'année dans laquelle on représente la scène) un sou.
MADAME DU PLUMEAU, avec colère. - C'est une gageure.
LE MARCHAND DE COCO, criant. - À la fraîche, qui veut boire ?
LE CHANTEUR DES RUES, chantant. -
Les bons charbonniers sont tout noirs,
Tout noirs ;
Les bons fariniers sont tout blancs,
Tout blancs (bis)
Les charbonniers sont bons enfants.
MADAME DU PLUMEAU. - Ah ! J'enrage !
(Le chanteur et le marchand de coco sortent).
SCÈNE XI
MADAME DU PLUMEAU, UN MARCHAND D'ASPERGES
UN MARCHAND D'HABITS, UNE MARCHANDE DE MELONS
LE MARCHAND D'ASPERGES. - Ma botte d'asperges, ma botte d'asperges.
LE MARCHAND D'HABITS. - Chaud d'habits.
MADAME DU PLUMEAU. - Décidément, je vais fermer ma porte-cochère.
LE MARCHAND D'HABITS. - Avez-vous des vieux habits, des vieux chapeaux à vendre ? Chaud d'habits.
UNE MARCHANDE DE MELONS. - Beaux m'lis, beaux m'lons.
(La marchande, le marchand d'asperges et le marchand d'habits sortent).
SCÈNE VII
MADAME DU PLUMEAU, UN MONTREUR D'OURS
MADAME DU PLUMEAU. - Cette fois, j'espère que c'est bien fini et que je vais pouvoir déguster, sans être interrompue, mon Zanzibar au lait de la Martinique. (Un piémontais entre avec un ours et le fait danser). Qu'est-ce que cela ? Un ours... Au secours ! à la garde ! au secours ! (Elle se sauve).
(Le piémontais joue de la flûte et bat du tambour en faisant danser l'ours, puis ils sortent).
SCÈNE XIII
GEORGES. - (Il entre en portant sur son épaule un paquet au bout d'un bâton). À la boutique si ou plaît !... à la boutique !... Ah ! que j'sons bête ! c'est point une boutique. C'est donc ici que demeure ma tante Du Plumeau. Faut qu'elle soye joliment riche pour avoir une maison aussi cossute.
SCÈNE XIV
GEORGES, MADAME DU PLUMEAU
MADAME DU PLUMEAU. - Quoi que vous demandez, jeune homme ?
GEORGES. - Madame Du Plumeau.
MADAME DU PLUMEAU. - C'est moi.
GEORGES. - Vous... toi... embrassez-mé, ma tante.
MADAME DU PLUMEAU, le repoussant. - Doucement... doucement... jeune homme. Je ne m' laissons point embrassser par quiconque, sans savoir. Qui que vous êtes, d'abord ?
GEORGES. - Moi, ma tante ? Je suis votre neveu.
MADAME DU PLUMEAU, à part. - Si c'est mon neveu, je dois être sa tante. (Haut) Mon neveu, qui ? J'en ai plusieurs de neveux, dont quatre nièces et dix-huit cousines germaines.
GEORGES. - Votre neveu Georges Rousselot, né natif de la Patte d'Oie, oùs que j' sis né.
MADAME DU PLUMEAU. - Rousselot ! Embrasse-moi, m' n'ami !
(Ils s'embrassent).
MADAME DU PLUMEAU. - C'est y toi qui m'as écrit une lettre mystérieuse ?
GEORGES. - Non ma tante, j' savons point écrire, mé ; j' savons que compter, carculer, traire les vaques et faucher la luzarne.
MADAME DU PLUMEAU. - Alors qui donc qu' ça pouvont être ?... Enfin n'importe ! On m'annonçait la visite d'une personne que je chéris jadis. Eh ben ! J' t'ons toujours aimé, mon garçon.
GEORGES. - Merci ma tante : j' vous aimons ben, itou !
MADAME DU PLUMEAU. - Seulement, tu aurais dû venir de meilleure heure.
GEORGES. - J' pouvions point. Fallait donner à manger aux vaques et aux bestiaux.
MADAME DU PLUMEAU. - Tu m'aurais évité de dévisager une foule de gens qui sont venus ce matin. Enfin, te voici, nous allons déjeuner et tu me donneras des nouvelles de toute la famille.
GEORGES. - Merci, ma tante. Tout le monde va bien : le cousin Michaud a la jaunisse, l'oncle Pitauchard a des coliques, la brebis noire a la clavelée et ma tante Cunégonde souffre toujours de sa petite catarhe.
MADAME DU PLUMEAU. - Tu me rassures complètement.
GEORGES. - Maintenant, j'allons déposer mon paquet dans votre cheux vous.
MADAME DU PLUMEAU. - C'est ça, mon garçon, va ; ne te gêne pas.
(Georges sort).
MADAME DU PLUMEAU. - Il est un peu nigaud, c' garçon, mais il a bon coeur, et puis c'est mon sang propre et mon propre sang.
SCÈNE XV
MADAME DU PLUMEAU, JASMIN, conduisant un chien en laisse.
JASMIN . - Eh bien, mame Du Plumeau, l'avez-vous bien avalé ?
MADAME DU PLUMEAU. - Avalé quoi donc ? monsieur Jasmin.
JASMIN. - Le poisson.
MADAME DU PLUMEAU. - Quel poisson ?
JASMIN. - Le poisson d'avril. La lettre que vous avez reçue.
MADAME DU PLUMEAU. - Comment, c'est un poisson d'avril ?
JASMIN. - Sans doute ! c'est aujourd'hui le premier. Jacinthe, la femme de chambre de madame, a dit : "Faut faire une attrape à madame Du Plumeau." et nous vous avons écrit cette lettre. Regardez le timbre de la poste. Pas vrai que vous avez mordu à l'hameçon ?
MADAME DU PLUMEAU. - Pour ça oui ! avec ça que, depuis ce matin, les marchands se suivent à la queue leu leu ! J'en ai la tête cassée.
JASMIN, riant. - Hi ! Hi ! HI ! c'est moi qui vous les ai envoyés : histoire de rire ! Ho ! Ho ! Ho !
MADAME DU PLUMEAU. - Vous pouvez vous flatter de m'avoir fait enrager, mais je ne vous en veux pas : le premier avril tout est permis.
JASMIN. - À preuve que le maître d'hôtel m'a envoyé chez l'épicier chercher un flacon d'huile de cotret pour faire cuire des petits pois carrés.
MADAME DU PLUMEAU. - Et vous y êtes allé ?
JASMIN. - Pardine ! je n' songeais plus à ce satané premier avril.
MADAME DU PLUMEAU. - Alors consolons-nous mutuellement : vaut mieux rire que pleurer ! On nous a attrapés, nous en attraperons d'autres, à notre tour. Ça me fait penser que madame la baronne, votre maîtresse, m'a dit de vous dire d'aller de suite chez le cordonnier, chercher les deux paires de bottines qu'elle a commandées pour ce pauvre Zozor.
JASMIN. - Deux paires !
MADAME DU PLUMEAU. - Sans doute, puisqu'il a quatre pattes.
JASMIN. - J'y vais bien vite et j'emmène Zozor, pour qu'il les essaie. En vous remerciant, mame Du Plumeau.
(Il sort avec le chien).
SCÈNE XVI
MADAME DU PLUMEAU. - À bon chat, bon rat !... Cours, mon garçon. Grand imbécile ! C'est qu'il y va tout bêtement ! Il a ri de moi ce matin ; je vais rire à ses dépens avec les locataires et avec mon neveu. Faut qu' poisson d'avril se passe !
(La toile tombe).
FIN