THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

     Aussi faut voir comme tous ces petits auteurs me font des rôles. Ils s'attachent tous à mon char ; ils soupirent pour moi... Mais je fais la cruelle... Cela change un peu mes habitudes, depuis cela fait mousser ma réputation.

ARLEQUIN. - Au fait, c’est un moyen tout comme un autre.


PAMÉLA. - Oui, mais je suis la première femme qui le mette en usage.

ARLEQUIN. - D'après ce que vous m'avez dit, ma bonne amie, aucun genre ne vous est étranger ?

PAMÉLA. - Aucun, monsieur, mais je suis modeste, et il ne m'appartient pas de faire mon éloge.

ARLEQUIN. - Vous m'avez dit, je crois, que dans la tragédie vous étiez...

PAMÉLA. - Délicieuse, cher ami. Si vous me voyiez sur un trône, je suis gentille à croquer. Mon pied n’est pas plus gêné dans le cothurne que dans le brodequin, quand celui-ci n’est pas trop étroit et que j'ai coupé mes cors.

ARLEQUIN. - Mais si en homme j'avais votre pendant, je n'aurais besoin que de deux sujets pour former ma troupe. Votre nom, ma belle ?

PAMÉLA. - Paméla.

ARLEQUIN. - Votre demeure ?

PAMÉLA. - Rue Percée, hôtel de la Chaste-Suzanne.

ARLEQUIN. - Demain, au plus tard, j'aurai l'honneur de vous écrire.

PAMÉLA. - Votre lettre sera reçue à bras ouverts. Votre servante, monsieur.

ARLEQUIN. - Votre serviteur, mon cœur. (Il la conduit et revient). Oh ! la drôle de créature. J'ai bien fait de reconduire, elle et sa modestie. Mais, qui vient ?... Par la batte de mon père, c’est madame Dupont, une vieille connaissance.

SCÈNE V.

ARLEQUIN, madame DUPONT

femme silhouette theatre d`ombres ombres chinoises marionnettes
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84374221

MADAME DUPONT. - Bonjour, mon cher Arlequin ; comment vous portez- vous ?

ARLEQUIN. - Fort bien, madame Dupont. Vous aussi, à ce qu'il me paraît ; car vous avez bon visage.

MADAME DUPONT. - Au contraire, mon ami. J'ai le foie attaqué, un rhumatisme affreux et une migraine épouvantable.

ARLEQUIN. - Hé, madame, pourquoi alors sortir dans cet état ! Il fallait rester chez vous.

MADAME DUPONT. - Au contraire... J'ai lu ce matin dans les journaux l'annonce de la prochaine ouverture de votre spectacle, et je viens vous donner des conseils.

ARLEQUIN. - Vous êtes trop aimable.

MADAME DUPONT. - Au contraire... Un devoir rigoureux veut qu'on fasse tout pour ses amis.

ARLEQUIN. - Charmé d'être le vôtre. Je vous dirai donc que je cherche des acteurs : l'essentiel est d'en avoir de bons.

MADAME DUPONT. - Au contraire.

ARLEQUIN. - Comment, au contraire ?

MADAME DUPONT. - J'entends par là que vous devez plutôt chercher à avoir de belles actrices. C'est un point plus important qu'on ne pense, pour attirer le public.

ARLEQUIN. - Je crois que vous pouvez avoir raison.

MADAME DUPONT. - Au contraire.

ARLEQUIN. - Vous dites pourtant que cela contribuera beaucoup à amener le public.

MADAME DUPONT. - Au contraire, mon cher. Ce sont les pièces qui vous feront faire des recettes.

ARLEQUIN. - Aussi compté-je ne garder de mon ancien répertoire que les ouvrages les plus amusants, et donner force nouveautés... À propos de nouveautés, j'ai un certain Nain Jaune sur lequel je compte beaucoup. On m'a promis un salmigondis dans le genre à la mode.

MADAME DUPONT. - Mais c’est moins au poème qu'à la musique qu'il faut s'attacher.

ARLEQUIN. - Qu'à cela ne tienne; j'aurai, quand je le voudrai, d'excellente musique. Ainsi, nous voici d'accord.

MADAME DUPONT. - Mais au contraire.

ARLEQUIN. - Que voulez-vous donc encore ? Car nous avons presque tout dit... Au reste, madame au contraire, mêlez-vous de vos affaires et laissez-moi conduire les miennes à ma fantaisie.

MADAME DUPONT. - Mais, au contraire ! l'amitié veut que je vous empêche de faire des sottises.

ARLEQUIN. - Si j'en veux faire, moi ! Et obligez-moi de vous en retourner chez vous...

MADAME DUPONT. - Au contraire ; je suis venue pour dîner avec vous et je dînerai.

ARLEQUIN, la contrefaisant. - Au contraire ! Quoi ! vous parlez de dîner et vous avez une migraine affreuse !

MADAME DUPONT. - Au contraire, mon ami, je ne l'ai plus.

ARLEQUIN. - Que le diable vous emporte, vous et vos commentaires !

MADAME DUPONT. - Mais, mon cher ami...

ARLEQUIN. - Moi, votre ami ? Au contraire, ventrebleu ! au contraire ! Et passez-moi vite la porte.


MADAME DUPONT. - Si vous faisiez bien, vous suivriez mes conseils.

ARLEQUIN. - Au contraire.


MADAME DUPONT. - Vous ne vous ferez pas de partisans.

ARLEQUIN. - Je n'en veux pas de votre espèce. (Il la pousse dehors).

MADAME DUPONT, revenant en scène. - Mais au contraire l au contraire !


SCÈNE VI.

Arlequin, seul.

ARLEQUIN. - A-t-on jamais vu une femme pareille ? Avec son diable d'esprit à l'envers de tous les autres. (On entend du bruit.) Est-ce elle qui revient encore ? Qui va là ?


SCÈNE VII.

Arlequin, Nicolas.

homme silhouette theatre d`ombres ombres chinoises marionnettes
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NICOLAS. - C’est moi, monsieur.

ARLEQUIN. - Comment vous appelez-vous ?


NICOLAS. - Ah ! Je vas vous dire. N, i, ni, c, o, co, las, las. Nicolas.

ARLEQUIN - Quelle est votre profession ?

NICOLAS. - Je fais de tout.

ARLEQUIN. - Cela prouve en faveur de votre complaisance.

NICOLAS. - Point du tout, monsieur; cela dépend surtout de l'argent qu'on me donne.

ARLEQUIN, à part. - Il est naïf ! C'est sûrement un acteur qui vient se proposer pour jouer les niais et qui veut rire.

NICOLAS. - C'est-il pas vous qui êtes couché de tout votre long...

ARLEQUIN. - Comment, qui suis couché de tout mon long.

NICOLAS. - Laissez-moi donc dire... dans le journal... pour un valet qu'il vous faut.

ARLEQUIN. - Sangodémi, c’est ma foi vrai, monsieur.

NICOLAS. - Oh ! monsieur Arlequin, vous êtes trop honnête en me donnant du monsieur. Donnez-moi du Nicolas tout court. Hé bien, ce valet que vous demandiez, il est tout trouvé.

ARLEQUIN, à part. - Je l'avais bien pensé. Et quelles sont vos prétentions ?

NICOLAS. - Oh ! mon Dieu, je ne suis pas exagéré.

Air : Il était temps.

Pour cent euros (bis)
Je promets d' faire
Votre affaire ;
J' vous consacre mes p'tits talents,

Pour cent euros (bis).
Nous pourrons, j'espère, nous entendre...
J'aurai tout le zèle qu'on peut attendre
Pour cent euros.

     Mais je suis homme à me relâcher jusqu’à quatre-vingt euros.

ARLEQUIN. - Vous n'êtes pas cher.

NICOLAS. - Je suis superbe quand il faut m'acquitter d'une commission !

ARLEQUIN. - Comment, d'une commission ? Est-ce que vous ne jouez pas la comédie ?

NICOLAS. - Je ne joue jamais... Je perds toujours, et un pauvre domestique n'a pas le moyen.

ARLEQUIN. - Domestique, dites-vous ? Il paraît que je me suis joliment trompé.

NICOLAS. - Oui, c’est en cette qualité que je me présente chez vous.

ARLEQUIN. - Oh ! sangodémi, la méprise était bonne ! C'est un valet de comédie que je .demandais, Mais n'importe... me voici Directeur, il est bon que j'augmente mon train de maison.

NICOLAS. - Hé bien, nous arrangeons-nous ? D'abord, je suis d'un très bon caractère, moi.

ARLEQUIN. - Et moi aussi ; quelquefois pourtant je jure... mais c'estquand je suis en colère.

 
 



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