LES TROIS SOUHAITS
COMÉDIE EN UN ACTE
de Lemercier de Neuville,
dessins de Jean Kerhor.
Domaine public.
PERSONNAGES
CLAUDINE.
NICOLAS.
LA FÉE MARRAINE.
GERMAINE.
LAFLEUR.
BONIFACE.
LE TUTEUR.
LÉANDRE.
DÉCOR :
Un jardin avec pavillon à droite.
(On prendra le décor de Madame la Baronne pour le pavillon :
http://ombres-et-silhouettes.wifeo.com/madame-la-baronne.php)
Dover publications inc.
COSTUMES
Claudine, Jeune fermière,
La Fée Marraine, Costume de Fée.
Nicolas, Jeune paysan.
Germaine, Vieille domestique,
Lafleur, Valet de chambre.
Boniface, Cocher.
Claudine, Jeune fille.
Le Tuteur, Vieux professeur.
Léandre, Jeune homme élégant.
SCÈNE PREMIÈRE
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CLAUDINE. - Les poules, les chiens, les chevaux, les vaches et aussi les cochons, sauf votre respect, voilà tout le monde servi... excepté moi, comme d'ordinaire ! Ça n'est pas une existence, ça ! Manger après tous les autres, travailler plus que tous les autres et ne se reposer jamais. Ce n'est pas possible que ça continue comme ça, j'y laisserai ma peau ! Si ce n'était ma marraine qui m'a placée ici, il y a longtemps que je m'aurais ensauvée à la maison, mais ma marraine est une fée et je ne peux pas aller à l'encontre de sa volonté. C'est égal, la première fois que je la verrai, je lui demanderai de changer de condition. J'aurai peut-être bien moins de travail ailleurs et puis je serai débarrassée de Nicolas, le garçon de ferme, qui est laid comme un hérisson et est toujours à me dire des bêtises ; j'aime pas ça, moi ! Là ! Tiens, le v'là encore ! J' te vais le renvoyer un peu à son ouvrage !
SCÈNE II
CLAUDINE, NICOLAS.
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NICOLAS. - Vous v'là, Mam'selle Claudine.
CLAUDINE. - Vous l' voyez ben que me v'là ! Qu'est-ce que vous m' voulez ?
NICOLAS. - Oh ! ben ! c'est sûr que je n' vous veux pas de mal.
CLAUDINE. - Il n' manquerait plus que ça.
NICOLAS. - C'est bien tout l' contraire, Mam’zelle Claudine, vous l' savez ben. J' voudrais plutôt vous mettre dans une boîte pleine de coton, comme une petite bête à bon Dieu.
CLAUDINE. - V'là qu' vous m' prenez pour une bête maintenant.
NICOLAS. - Non ! La bête c'est moi qui ne sais pas vous parler comme il faut.
CLAUDINE. - Vous n'avez pas besoin de me parler, vous n'avez rien à me dire.
NICOLAS. - Oh ! Qu' si ! Oh, qu' si !
CLAUDINE. - Eh ben, dites-vite, j'ai à travailler !
NICOLAS. - Mais voilà, vous ne m'encouragez pas, et moi, j'ose pas.
CLAUDINE. - Eh ben, si vous n'osez pas, ne dites rien, et laissez-moi tranquille.
NICOLAS. - C'est toujours ça que vous me dites et ça me rend tout bête.
CLAUDINE. - Restez comme vous êtes. Vous êtes bien comme ça.
NICOLAS. - Ah ! Claudine ! Si vous saviez...
CLAUDINE. - Je sais peut-être bien, Nicolas, mais je n' veux pas comprendre... Allons ! Allons ! allez faire votre ouvrage.
NICOLAS. - Oui, Claudine ! Mon ouvrage maintenant c'est de me péri.
CLAUDINE. - Eh non ! mon ami, c'est d'être pas si bête.
NICOLAS. - J' m'en y vas, Claudine, mais j'ai bien du chagrin. (Il sort.)
SCÈNE III.
CLAUDINE. - Imbécile ! Son chagrin, il n'est pas difficile à deviner. Un gros bêta qui vient soupirer autour de vous, on sait tout de suite ce qu'il demande, mais on ne veut point comprendre. Je sais bien qu'un jour je prendrai un mari, mais ça ne sera point un lourdaud comme celui-là. D'ailleurs j'ai d'autres idées dans la tête. Allons, en attendant, à la besogne ! Tiens ! ma marraine !
SCÈNE IV
CLAUDINE, LA FÉE MARRAINE.
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CLAUDINE. - Bonjour, ma marraine.
LA FÉE. - Bonjour Claudine. Je viens te voir en passant. Es-tu heureuse ?
CLAUDINE. - Pas tout à fait, marraine.
LA FÉE. - Ah ! ah ! Qu'y a-t-il donc ?
CLAUDINE. - Il y a que je m'attendais bien à travailler, mais pas à obéir !
LA FÉE. - Tu savais pourtant qu'ici tu n'étais qu'une servante.
CLAUDINE. - C'est vrai, mais je ne savais pas ce qu'était une servante. Je savais ce que je devais faire, mais on ne me commandait pas de le faire. Obéir toujours est humiliant.
LA FÉE. - Ma petite, dans la vie, on obéit toujours les uns aux autres. Le Roi, qui commande à son peuple est souvent obligé de lui obéir ; le magistrat obéit à la loi. Nul n'est indépendant. Mais puisque tu n'es pas satisfaite de ton sort, je veux bien faire quelque chose pour toi. Je t'autorise à former trois souhaits, ils seront exaucés. Réfléchis bien, ne te prononce pas à l'aventure, car tu ne pourras pas formuler un quatrième vœu. Et pour que tu n'aies rien à me reprocher, je ne veux pas même te conseiller, car probablement tu ne m'écouterais pas. Quand tu seras décidée, tu entreras dans le petit pavillon que voici, et là, tu m'appelleras. Je viendrai aussitôt opérer ta métamorphose. Adieu ma petite Claudine. Réfléchis bien. (Elle sort.)
SCÈNE V
CLAUDINE. - Ainsi me voici libre de mon sort ! Qu'est-ce que je veux ? Je ne veux plus être servante, c'est entendu ! Cependant ma maîtresse était bien bonne, mais ça lui était facile, elle faisait ce qui lui plaisait, elle commandait et on lui obéissait. Il est vrai qu'elle n'était plus jeune, mais qu'importe ! Il est vrai qu'elle avait des douleurs par tout le corps, mais elle savait les soigner. Elle avait de l'argent pour tous ses caprices, aussi les gens du village l'appelaient la bonne dame ; ce qui est très flatteur. On lui faisait des cadeaux, on venait la visiter, elle était très considérée. Ma foi, tant pis ! Je voudrais bien être à sa place. Je vais demander cette faveur à ma marraine. (Elle entre dans le pavillon.)
SCÈNE VI
http://www.archive.org/details/parisquirouleav00bastgoog
http://ombres-et-silhouettes.wifeo.com/larrivee-du-soleil-au-pays-de-malon.php
CLAUDINE, sortant du pavillon en vieille. Coup de tam-tam. - Hem ! Hem ! Atchich ! Ah ! ce vilain rhume ne finira donc pas ! Atchich ! Cela me déchire la poitrine ! (Appelant.) Germaine ! Germaine !
SCÈNE VII
CLAUDINE, GERMAINE.
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GERMAINE. - Me v'là ! Madame, qu'est-ce que vous voulez ?
CLAUDINE. - Je veux d'abord que vous soyez polie et que vous me parliez à la troisième personne.
GERMAINE. - La troisième personne, où qu'elle est ?
CLAUDINE. - C'est bon ! Nous nous expliquerons là-dessus ! Allez-moi chercher ma boîte de dragées !
GERMAINE. - Faudrait savoir où vous l'avez mise ?
CLAUDINE. - Mais dites donc, Germaine, veuillez me parler plus respectueusement.
GERMAINE. - J' vous parle français je pense ! Où qu'elle est votre boîte ?
CLAUDINE. - Dans ma chambre. Et puis ne répliquez pas ou vous ne ferez pas long feu ici.
GERMAINE. - D'abord, Madame, j' suis pas ici pour les commissions. J' suis pour la cuisine.
CLAUDINE. - C'est bon ! Ne répliquez pas et faites ce que je vous dis.
GERMAINE, à part. - Quelle baraque ! Tu vas voir comme je vais saler ton bouillon ! (Elle sort.)