Le monstre, contre leur attente,
Ne leur fit aucun mal, et même il entendit
Avec quelque plaisir leur prière touchante,
Puis sur le champ il répondit :
« Je consens à laisser tranquilles
Les habitants de ce canton,
Et puisqu'ils se montrent dociles
Et qu'ils implorent mon pardon,
Dès ce jour je fais la promesse
De cesser leur punition.
Je prends en pitié leur détresse,
Mais voilà ma condition :
J'exige qu'une jeune fille
Me soit remise tous les ans ;
Mais je veux-qu'elle soit gentille
Et qu'elle ait au plus vingt printemps.
J'ai dit. » Hélas ! dans toute la contrée
On accepta la proposition,
Et le dragon, gardant la foi jurée,
Ne commit plus de dévastation.
Mais depuis lors, dans la saison nouvelle,
Quand le printemps reverdissait les fleurs,
Une victime jeune et belle
Que conduisait une famille en pleurs,
Était livrée au monstre, à mourir condamnée.
Depuis longtemps ce tribut monstrueux
Strictement, au dragon, se payait chaque année,
Lorsqu'arriva, voyageant dans ces lieux,
Un chevalier d'un courage indomptable
Dont les vertus égalaient la valeur.
Pour le faible surtout se montrant secourable,
Il vouait son courage à l'aide du malheur.
C'était saint Georges. Outre sa bonne épée
Il avait pour soutien et pour guide la foi,
Que dans bien des périls il avait retrempée
En prêchant aux païens la bienfaisante loi
Du Dieu martyr; car une foi nouvelle,
La foi du Christ, à ce peuple égaré
Se révélait, et cette loi si belle
Commençait à briller sur le monde éclairé.
Saint Georges, en battant la contrée,
Par hasard un jour rencontra,
Dans son chemin, une vierge éplorée
Dont le chagrin tout d'abord l'étonna.
— Pourquoi pleurer ? lui dit-il, ô ma fille !
Et d'où vous vient cette grande douleur ?
Auriez-vous donc perdu votre famille ?
Eh quoi, si jeune et déjà le malheur !
— Bon chevalier, vous souffrez de mes larmes,
Répondit-elle ; hélas ! votre valeur,
Votre désir ni vos puissantes armes
Ne peuvent rien, rien contre ma douleur !
En peu de mots la jeune infortunée
Eût raconté que, victime du sort,
Elle devait se livrer cette année
Et racheter son pays par sa mort.
Le Saint, ému de l'aspect de ses larmes,
Lui répondit: — Calmez votre douleur ;
Ma confiance entière est ailleurs qu'en mes armes,
Elle est en Dieu, qui guide ma valeur.
Je crains peu le dragon, de sa fatale atteinte
J'espère vous sauver avec l'aide de Dieu ;
Montez sur mon cheval, vous le pouvez sans crainte,
Et guidez-moi vers ce terrible lieu.
Saint Georges alors se livre à la prière,
Il comprenait que ce cruel dragon,
Qui décimait une contrée entière,
Était sans doute un suppôt du démon.
On arriva sur le haut de la lande
Où reposait le dragon endormi.
Saint Georges encore à Dieu se recommande
Et se prépare à frapper l'ennemi,
— Que me veux-tu ? dit le monstre avec rage,
Et comment oses-tu venir me réveiller ?
Es-tu donc las de vivre, ou ton faible courage
Tenterait-il de vouloir m'effrayer ?
Le Saint d'abord eut recours à la ruse :
— Maître, dit-il, cesse de t'irriter.
De te troubler je te demande excuse,
C'est ton tribut que je viens t'apporter.
Le monstre alors, sans plus de défiance,
Et fort content, regarde par dehors.
Satisfait de sa proie, en rampant il avance,
Montrant à découvert la moitié de son corps,
Puis il ouvre la gueule. Au même instant saint Georges,
Qui suivait du dragon le moindre mouvement,
Sans plus tarder, profite du moment
Et plonge par trois fois sa lance dans la gorge
Du monstre enfin vaincu. Puis son noble coursier,
Écrasant sous ses pieds et le corps et la tête,
Achève l’œuvre de l'acier
Et du monstre expirant complète la défaite.
Dans ce combat, saint Georges enfin vainqueur
Éleva vers le ciel sa voix reconnaissante,
Et de sa compagne tremblante
Il essaya de calmer la peur.
En peu d'instants pourtant la jeune fille
Reprit ses sens et gaiement respira.
Bientôt le Saint la rassura
Et la rendit à sa famille.
Je vous ai dit la stricte vérité.
Ce combat est réel, quoi qu'on en puisse dire,
Et je me suis donné la peine de l'écrire
Pour garantir son authenticité.
FIN