THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

SCÈNE  IV

LE  BARON, puis LA  BARONNE


 
LE  BARON. - Allons, tout marche à merveille !

LA  BARONNE, entrant. - Eh bien ?

LE  BARON. - Eh bien, baronne, tout a réussi !

LA  BARONNE. - Charles... ?

LE  BARON. - Charles, tout joyeux d'apprendre que les masques, qu'il ne voit pas dans la rue, vont venir ici, est allé prévenir sa soeur.

LA  BARONNE. - Le grand décor est placé, la gondole nous attend, tout est donc prêt pour la fête.

LE  BARON. - Fort bien !
 
LA  BARONNE, écoutant. - J'entends Louise.

 
SCÈNE  II

LES  MÊMES,  LOUISE

 
 
LOUISE. - Mon cher papa, ma chère maman, Charles vient de m'apprendre que nous allons tous passer la journée à Venise.

LA  BARONNE. - As-tu fait les préparatifs de départ ?

LOUISE. - Oh ! cela ne sera pas long. Ma chère maman, me sera-t-il permis d'emmener notre fidèle Toto ?

LA  BARONNE. - Bien volontiers.

LOUISE. - En ce cas, je cours le chercher. Ce pauvre chien a depuis longtemps envie de voir la mer ; il va être bien joyeux.
 
(Elle sort.)

SCÈNE  VI

LE  BARON,  LA  BARONNE

 
 
LE  BARON. - Vous le voyez, tout va au gré de nos désirs.

LA  BARONNE. - Heureux âge ! âge de naïve confiance, de douce crédulité !

LE  BARON. - Tout conspire avec nous pour que notre projet soit conduit à bonne fin. Le temps même nous est favorable.

ENSEMBLE.

Air des Conspirateurs (La Fille de madame Angot.)

Oui tout conspire
Pour, qu'en secret,
Chacun admire
Notre projet.

Vers la Venise
Qu'on construit là
La douce brise
Nous guidera ! (bis)


SCÈNE  VII

LES  MÊMES,  CHARLES,  LOUISE, UN  PETIT  CHIEN;


 
LOUISE et CHARLES. - Nous voici.

LE  BARON. - En ce cas, embarquons-nous.

LOUISE et CHARLES. - Où donc ?

LA  BARONNE. - Regardez de ce côté.

LOUISE  et  CHARLES. - Oh ! la délicieuse barque !

LA  BARONNE. - C'est une gondole vénitienne.

LE  BARON. - Qui va nous transporter rapidement à Venise. (Bas, à la baronne.Leur ignorance de la géographie nous permet de risquer cet innocent mensonge.

TOUS. - Partons vite.
 
(Ils sortent tous.)

 
SCÈNE  VIII

LES  MÊMES, dans une jolie gondole
qui passe lentement pendant l'ensemble suivant.


 
ENSEMBLE

Air : Bon voyage, monsieur Dumollet !

En voyag' partons à l'instant,
Notre gondole
Vers Venise s'envole ;
En voyag', partons à l'instant,
Le carnaval ne dure qu'un moment. (Bis.)

(La gondole disparaît.)

SCÈNE  IX

BOULINGRIN, TOINON, costumés et masqués.


 
BOULINGRIN. - Par exemple ! j'en revenons point ! Et j'y comprenons rin, foi de Boulingrin ! qui est mon nom propre, mon propre nom et celui de mes ancêtres.

TOINON. - Tu n'as point besoin de comprendre.

BOULINGRIN. - Mais enfin, ce costume, Toinon ?

TOINON. - Te va à merveille.

BOULINGRIN. - Mais ce nez, cet affreux nez, qui défiguront mon physique.

TOINON. - Tu l'ôteras après la fête.

BOULINGRIN. - À la bonne heure ! Du reste, je sons très satisfait de voir ma petite Toinon habillée en Ecossaise de l'Ecosse.

TOINON. - Allons prendre notre place dans le cortège.

BOULINGRIN, riant. Ho ! ho ! ho ! Allons-y gaîment ! comme on dit dans les salons de la capitale.  

(Ils sortent.)

SCÈNE  X

(Un magnifique palais vénitien est placé
à la droite du spectateur.
)

LE  BARON,  LA  BARONNE,  LOUISE,  CHARLES,
tous quatre à pieds.


 
CHARLES. - Ainsi, nous sommes à Venise.

LOUISE. - Tu le vois bien, mon cher Charles, ce beau palais ne rappelle en rien les monuments de notre pays.

CHARLES. - Je me suis endormi dans la gondole.

LOUISE. - Moi de même.

CHARLES. - Ainsi le trajet ne m'a-t-il par paru long.

LOUISE. - C'est comme moi.

(On entend une musique bruyante.)

LOUISE
. - Papa, maman, voici des masques.

CHARLES. - Ah ! cette fois, nous ne sommes plus à Paris.

(Des masques passent en battant la caisse et en sonnant bruyamment de la trompe.)

LE  BARON
. - Entrons dans le palais, pous assister à la fête.

LOUISE et CHARLES. - Vive le carnaval !

(Ils entrent tous dans le palais.)

SCÈNE  XI

PIERROT,  ARLEQUIN

 
PIERROT. - Voyons ami Arlequin, laisse ta batte en repos.

ARLEQUIN. - Sangodémi ! la main me démanze.

PIERROT. - Alors, frappe ailleurs que sur mon dos.

ARLEQUIN. - Pourquoi ? puisque ton zoli dos il est à portée de ma batte lézère.

PIERROT. - Tu as donc l'âme aussi noire que le visage ?

Air : Au clair de la lune.

Au clair de la lune,
Tu frappes, Pierrot ;
Tu m' prends pour enclume,
Tu frapp's comme un pot.
Cogner de la sorte,
J'ai les reins en feu !
Il faut que je sorte
Pour l'amour de Dieu.

ARLEQUIN
. - Allons, ne te fâche pas contre ce pauvre Arlequin qui n'a...

PIERROT. - Comment ? Quinquina !

ARLEQUIN. - Qui n'a... pas le désir de te fâcher.
 
PIERROT. - À la bonne huile !

ARLEQUIN. - D'autant plus que tu dois être très malade.

PIERROT. - Pas le moins du monde.

ARLEQUIN. - Je t'assure que si.

PIERROT. - Je te jure que non !

ARLEQUIN. - Cependant, tu es très pâle.

PIERROT. - Parce que j'ai la peau blanche ; tu ne peux pas en dire autant, toi.

ARLEQUIN. - Et puis, tu as le corps couvert de boutons.

PIERROT. - Ce n'est pas mon corps, Arlequin, c'est mon habit.

ARLEQUIN. - On peut jouer aux dominos avec toi.

PIERROT. - Qu'est-ce à dire ?

ARLEQUIN. - On est sûr d'avoir blanc partout.

PIERROT. - Tu ne dis que des Arlequineries.

ARLEQUIN. - Sans doute ; je suis l'ancien mime des Romains, italianisé ; le boufon à tête rase de Voscius.

PIERROT. - Au revoir.

ARLEQUINDu tout, je ne te quitte pas.

PIERROT. - Je me sauve.

ARLEQUIN. - Je te suis et te poursuis.

(Ils sortent en courant.)
 
SCÈNE  XII

 
PAILLASSE. Il entre en criant. - Ohé ! Ohé ! les autres, ohé ! Ohé ! Ohé ! les autres.

Air : J'suis né Paillasse, et mon papa (BERANGER)

J'suis né Paillasse, ça se voit
À mon joli costume.
Aussitôt que l'on m'aperçoit
On rit : c'est la coutume.

Ma toile à carreaux,
Sur tous les tréteaux
Apparut à la ronde.
Je l' dis, sans détours,
J'ai fait tous les tours
Y compris le tour du monde !

Air : A peine au sortir de l'enfance (Joseph MEBUL)

À peine au sortir de l'enfance,
Trente-cinq ans au plus je comptais,
J'étais naïf, plein d'insouciance,
Comme au doux temps où je l'étais !


     Pour lors, un jour l'auteur des miens me dit : "Paillasse, va voir l'heure en bas chez le laitier." -- Moi j' vais voir chez le layetier emballeur... Quand je remonte, papa m' dit, qui m' dit, dit-il : "J'ai fait ton paquet dans une paire de chaussettes, tu vas m' tourner les talons." Je partis à pied, à cheval, en voiture, en ballon, en chemin de fer, en bateau à vapeur, en tramway. Je marche aujourd'hui, je marche demain : à force de marcher, j' fais beaucoup d' chemin.

 
SCÈNE  XIII

 PAILLASSE,  BAMBOCHE
 
 
BAMBOCHE, voix enrouée. - Que fais-tu là, imbécile ?

PAILLASSE. - "Imbécile !" C'est quelqu'un qui me connaît. Tiens, c'est monsieur Bamboche.

BAMBOCHE. - Soit-même.

PAILLASSE. - Mon estimable et honoré maître.

BAMBOCHE. - Qui ne te gardera pas longtemps à son service si tu continues à bavarder, au lieu de vernir sa chaussure et de battre ses habits.

PAILLASSE. - Mais, patron, j'ai verni vos habits et battu votre chaussure.

BAMBOCHE. - Cet animal-là n'en fera jamais d'autres.

PAILLASSE. - Animal... animal... enfin !
 
SCÈNE  XIV
 
LES  MÊMES,  UN  DIABLE qui entre en dansant.

 
LE  DIABLE. - Place, place au savant sorcier Paragarafaramus;

PAILLASSE  et  BAMBOCHE. - Un sorcier !... sauvons-nous !

(Ils sortent, chassés par le diable.)
 
SCÈNE  XV
 
LE  SORCIER. - Je suis le sorcier Paragarafaramus. Depuis deux mille trois cent vingt-deux ans, six mois, trois jours et quatre minutes, j'étudie la conjonction des astres, les phénomènes de la nature... Je prédis le passé, le présent et l'avenir ! -- Qui veut consulter le savant sorcier ?
 
 
 



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