THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

SCÈNE  XVI

LE  SORCIER,  CHARLES


 
CHARLES. - Moi.

LE  SORCIER. - Toi !... tu n'as donc pas peur ?

CHARLES. - Non... c'est à dire... un peu.

LE  SORCIER. - À la bonne heure ! Nul ne saurait me mentir : je lis dans le fond des coeurs, comme dans un livre. Que veux-tu savoir, enfant ?

CHARLES. - Le passé.

LE  SORCIER. - Le passé. Tu le connais aussi bien que moi ! D'ailleurs, ton passé ne tient pas beaucoup de place pour un homme qui a vécu plus de deux mille ans. N'importe ! je vais te satisfaire : ton enfance a été heureuse et dorée. Tes excellents parents ont semé des fleurs sur ton passage, depuis ta sortie du berceau jusqu'à ce jour.

CHARLES. - C'est vrai, je n'ai jamais formé un désir sans que ce désir fût exaucé.

LE  SORCIER. - Pour toi le présent est aussi heureux que le passé. Ta vie est une féérie perpétuelle ! N'oublie pas, enfant, que tout âge a ses devoirs, ses obligations.

CHARLES. - Que voulez-vous dire, savant sorcier ?
 
LE  SORCIER. - Que tu n'es pas toujours appliqué à l'étude ; que parfois, tu consacres au jeu le temps que du devrais employer à apprendre tes leçons.

CHARLES. - C'est si bon de jouer !

LE  SORCIER. - Je sais : j'ai été jeune aussi.

CHARLES. - Il y a longtemps !

LE  SORCIER. - Oui : j'ai joué aux barres avec Annibal, le héros carthaginois, et aux billes avec Scipion l'Africain.

CHARLES. - Comment, on jouait déjà aux billes dans ce temps-là ?

LE  SORCIER. - Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. En échange des bontés incessantes que tes parents ont pour toi, de cette sollicitude qui ne se dément jamais, sois studieux, docile, appliqué.

CHARLES. - Je vous le promets.

LE  SORCIER. - En travaillant à leur donner cette satisfaction, tu travailles pour toi-même. L'instruction est répandue aujourd'hui dans toutes les classes : il n'est plus permis d'être un ignorant, et, sache-le, on n'apprend bien que dans la jeunesse. À cette heureuse époque de la vie, la mémoire, cet admirable don de la Providence, est souple et malléable.

CHARLES. - C'est vrai : il ne me faut qu'une heure pour bien savoir toutes mes leçons.

LE  SORCIER. - Une heure !... c'est-à-dire la vingt-quatrième partie d'une journée.

CHARLES. - Oui.

LE  SORCIER. - Considère donc cette heure à apprendre. Plus tard tu comprendras que l'étude est un bienfait immense, une source de satisfaction et de petits bonheurs !

CHARLES. - Je vous le promets.

LE  SORCIER. - Je te quitte : d'autres enfants me réclament. Adieu, souviens-toi.
 
(Le sorcier sort.)
 
 
SCÈNE  XVII

 
CHARLES. - Il a raison. Je le sais, et pourtant, bien souvent, je n'ai pas la force de dompter mon goût pour le jeu. Mais, pour plaire à mes parents, pour obtenir une bonne place dans les concours, je travaillerai avec plus de courage, je le jure !

 
SCÈNE  XVIII

 
CHARLES,  LE  BARON,  LA  BARONNE,  LOUISE
 
 
LE  BARON. - Bien dit !

CHARLES, surpris. - Vous m'avez entendu ?

LA  BARONNE. - Oui, mon cher fils.

LOUISE. - Oui, cher frère, et ce que tu as dit me servira de leçon, d'enseignement.

LE  BARON. - Je crois, mes chers enfants, que ce carnaval aura de bons résultats.

CHARLES. -  Il n'est tel que le carnavl de Venise.

LA  BARONNE. - Certes.

LOUISE. - Si nous étions restés à Paris, nous n'aurions pas vu de masques, de gondoles.

CHARLES. - Et je n'aurais pas reçu de conseils de ce savant sorcier.

LE  BARON. - C'est juste.

CHARLES. - Dès que nous serons de retour à Paris, je veux me mettre résolument au travail.

LE  BARON. - En attendant, demandons encore à Venise et au carnaval d'innoncentes distractions.

(Musique bruyante. Chant animé.)

VOIX  DE  TOINON  et  BOULINGRIN.
Mardi-Gras
N' t'en va pas,
J' ferons des crèpes,
J' ferons des crèpes.
Mardi-Gras
N' t'en va pas,
J' ferons des crèpes et t'en auras.


CHARLES. - Encore des masques !

     (Un marquis passe en saluant ; il est suivi d'un singe qui fait des gambades et des grimaces. Toinon et Boulingrin entrent dans leurs costumes de carnaval.)
 
 
SCÈNE  XIX
 
 
CHARLES,  LE  BARON,  LA  BARONNE,  LOUISE
TOINON,  BOULINGRIN


 
TOINON  et  BOULINGRIN. - Ohé ! ohé : les autres, ohé ! ohé ! ohé ! les autres !
 
LOUISE. - C'est singulier : on parle ici le langage parisien.

LA  BARONNE. - Licence de carnaval.

TOINON. - Bonjour, monsieur Charles.

BOULINGRIN. - Bonjour, mam'salle Louise.

LOUISE. - Ils nous connaissent !

TOINON. - Amusez-vous bien.
 
BOULINGRIN. - Chacun un bonsoir, tout le monde et la compagnie, sans vous oubliai, m'sieur le baron et m'ame la baronne.

CHARLES
. - C'est étrange : je connais cette voix.
 
LE  BARON, bas à la baronne. -  La ruse va être découverte.
 
LA  BARONNE, bas au baron. - Oui, ce Boulingrin a un organe compromettant. (Haut.) Allez-vous en, beaux masques, et bien du plaisir !

TOINON  et  BOULINGRIN. - Salut bien, tout le monde

(Toinon et Boulingrin sortent en chantant.)

Ohé ! Ohé ! les autres, ohé !
Ohé ! Ohé ! les autres.

LOUISE
; - C'est charmant.

CHARLES. - Oh ! maman, voyez donc la superbe voiture !

LE  BARON. - Elle vient de ce côté.

CHARLES  et  LOUISE. - Quel plaisir !
 
(Une grande voiture remplie de masques arrive lentement sur la scène.)
 
Carrosses Séraphin planche d`ombres théâtre d`ombres ombres chinoises silhouettes marionnettes
(Il s'agit de la voiture du dessus.)
 
CHOEUR  DES  MASQUES.

Air : Savez-vous planter les choux.

Viv' viv' le carnaval !
Chacun chante,
Ça m'enchante.
Viv' viv' le carnaval ;
C'est un plaisir sans égal !

LE  POSTILLON. - 
Gare ! gare ! les bourgeois !

LE  BARON  et  la  BARONNE. -  Rangeons-nous. (Ils se retirent avec leurs enfants.)

UN  JEANNOT, buvant.

Air : Savourons le jus de la treille.

Savourons le jus de la treille :
Qui veut boire un verr' de mon vin ?
Admirez sa couleur vermeille :
Il est fait avec du raisin !

UNE  FOLIE. - Je suis la Folie : voyez les grelots qui ornent mon casque : grelottez, grelots !


Air du Réveil-Matin.

Tin, tin, tin ! (bis)
La folie
Charme la vie.
Tin, tin, tin !
Du soir au matin.

(Musiques bruyantes, grelots, crécelles.)

TOUS  LES  MASQUES. - 
Vive le carnaval de Venise !
 
(La toile tombe.)

FIN
 
 



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