13. LA ROUTE
Une route un talus au fond (Cortège d'autos)
Et voici maintenant la route
(défilé d'automobiles conduits par des chauffeurs aux vêtements fourrés).
Où vont ces chariots cruels à l’odorat ?
Ce sont des Esquimaux, sans doute,
Des gens aussi velus que l'ours ou l'angora ?
(Corne d'auto).
Non ! ce sont les gens de la ville,
Les gens chics en automobile.
(Sur le talus passe rapidement un train de chemin de fer).
Sur le talus, quel bruit d’enfer !
(Sifflet) Haletant comme une fournaise,
Passe en sifflant un long serpent de fer :
Le train de quatre heures seize !
14. LES CARROSSES
(Sur la même route, une cavalcade du temps jadis chasseurs, chasseresses, etc. puis des carrosses, des litières portées par des mules).
Ah ! que sont loin ! que sont loin !
Les galantes chevauchées
Quand allaient, faucons au poing,
Les dames empanachées.
Ah ! que sont loin ! que sont loin !
Les carrosses de gala,
Les palanquins, les litières,
Les seigneurs en tralala,
Caracolant aux portières !
Ah ! que sont loin ! que sont loin !
(La Cavalcade s'efface et on revoit la route déserte).
Tout ça c'est vieux, passé, rococo, baliverne,
Admirons la ville moderne.
15. LA VILLE MODERNE
(Une rue très régulière bordée de maisons à six étages ; toutes les maisons sont semblables).
Nous sommes dans un beau quartier (Sonnerie électrique)
Maisons pierre de taille et brique,
Ascenseur, lumière électrique,
Téléphone chez le portier. (Sonnerie électrique)
Boite aux lettres automatique
Aucun tracas, aucun ennui,
C’est confortable, c'est pratique,
Ce sont les maisons d’aujourd’hui. (Sonnerie électrique)
(Devant les maisons passe un défilé de messieurs en chapeau haut de forme vêtus de noir).
Dans la Ville moderne, ils vont les gens modernes,
Corrects, modéré. sérieux et cossus,
Secs, nets, muets et ternes,
Tous vêtus de sombres tissus.
Leur chef, coiffé d'un noir chapeau de soie, émerge
D'un col blanc très haut cravaté
Et ils ne portent au côté
Qu'un parapluie en guise de flamberge.
Ils ne sont pas très ferrailleurs
D'ailleurs :
De graves intérêts ils ont l'âme occupée
Et seulement dans l'eau donnent des coups d'épée.
(Les maisons modernes font place à une rue pittoresque de vieille ville).
16. VIEILLES CITÉS
Vous n'êtes plus, vieilles cités
Clochetons pointus surmontés
De girouettes,
Maisons de bois aux murs penchants
Dessinant sur l'or des couchants
Vos silhouettes.
Jardins où les oiseaux jasaient,
Où les belles dames faisaient
Leurs promenades,
Où, par les soirs mystérieux,
Chantaient les sons mélodieux
Des sérénades.
(La vieille ville disparaît cependant que repassent les gens modernes).
Mais revoici les gens modernes,
Tous vêtus de sombres tissus,
Corrects, sérieux et cossus,
Secs, nets, muets et ternes.
17. LA MER
La Princesse a trouvé ce spectacle affligeant :
Elle a voulu revoir la Mer au flot changeant
Où voguent bateaux d'or et navires d'argent.
(La mer. On voit passer des galères d’autrefois).
Les belles galères
D'autrefois
Sur les ondes claires
Je les vois,
Elles se balancent légères
Et nous apportent les envois
D'îles étrangères,
Les belles galères
Les belles galères,
Deux par deux,
Bravent les colères
Des flots bleus
Et fendant les ondes amères
S'en vont vers les miraculeux pays des Chimères.
Les belles galères.
(Les galères ont disparu. Ce sont maintenant de grands navires à vapeur).
18. LES CUIRASSÉS
À leur place, aujourd’hui,
Sans voiles, sans rameurs,
Les paquebots et les steamers.
(Les paquebots passent lentement ; le décor s’éclaire peu à peu des colorations rouges du soleil couchant, les steamers disparaissent et on voit à l'horizon une escadre ; l’escadre apparaît plus distincte).
Plus de Tritons ni de Sirènes
Décorant le flanc des carènes
Aux mâts plus de gais pavillons,
Mais sous le souffle de la brise,
Une fumée, épaisse et grise,
S’envole en sombres tourbillons
(Le décor est tout rouge et les cuirassés se rapprochent de plus en plus).
Et la Princesse épouvantée
Voit sur la Mer ensanglantée
À l'est, à l'ouest, au sud, au nord,
Au lieu des vaisseaux de naguère,
Passer des cuirassés
Qui portent la haine et la mort.
La Belle a frissonné devant le ciel tragique
Et son cœur s’est gonflé d’un douloureux émoi,
« O Prince, je retourne en ma forêt magique,
Votre siècle moderne est trop nouveau pour moi. »
19. LA BELLE SE RENDORT
Elle dit.
Une fée amie
L'emporte sur ses ailes d'or,
Et la Belle au Bois se rendort.
(On revoit successivement la forêt, puis la chambre de la Belle).
La Belle au Bois s'est rendormie. (peu à peu l’obscurité)
Princesse des contes féeriques,
Belle qu'un manoir enchanté
Garde au fond du grand Bois planté
D'arbres chimériques,
Dormez mystérieusement
Loin des réalités moroses,
Sur votre lit semé de roses
Belle au Bois dormant.
FIN