THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

SCÈNE III

 

ARLEQUIN, puis PIERROT.

 

ARLEQUIN. - Que pouvait-elle bien raconter ainsi à Pierrot ? Depuis quelque temps ils sont toujours ensemble. Ces gaillards-là s'entendent comme larrons en foire ! Oh! mais Pierrot sera moins discret, je l'interrogerai et, s'ils ont fait quelque bonne affaire, j'en veux ma part.

 

PIERROT, entrant, à part. - Le coup est fait ! Je viens de prendre la cassette et l'ai cachée dans la chambre de Colombine. Maintenant elle ne me refusera plus sa main.

 

ARLEQUIN, apercevant Pierrot. - Hé mais, ce bloc de farine, ce fantôme blanc qui regarde la mer, n'est-ce pas Pierrot ? Holà ! Pierrot !

 

PIERROT. - Arlequin ! (A part.) Pourvu qu'il n'ait rien vu !

 

ARLEQUIN. - Hé ! Que fais-tu ici ?

 

PIERROT. - Ce que tu y fais toi-même. Je prends l'air pur !

 

ARLEQUIN. - Tu ne prends que cela ?

 

PIERROT, à part. - Est-ce qu'il se douterait ? (Haut.) Mon Dieu, oui. Il fait si bon ici, l'air y est doux, toutes les fleurs répandent des parfums enivrants.

 

ARLEQUIN. - Ça te fera mal à la tête.

 

PIERROT. - Je ne crois pas. Le docteur m'a recommandé de me promener. (Il part.) Je voudrais bien m'en débarrasser pour prévenir Colombine.

 

ARLEQUIN. - A moi aussi, le docteur a recommandé le soleil : veux-tu nous promener ensemble ?

 

PIERROT, à part. - Il ne veut pas me quitter ! Je crois qu'il se doute de quelque chose.

 

ARLEQUIN. - Dis, veux-tu nous promener tous deux ? Tu causes si bien.

 

PIERROT. - C'est que...

 

ARLEQUIN. - Il hésite. Il veut rester seul, ne le quittons pas.

 

PIERROT. - C'est que ma promenade est finie et j'allais...

 

ARLEQUIN. - Où allais-tu ? J'irai avec toi.

 

PIERROT. - Viens donc ! (A part.) Je le lâcherai en route. (Ils sortent.)

 

SCÈNE IV

 

LE DOCTEUR, SCAPIN.

 

 

LE DOCTEUR. - Oui, Scapin, comprends-tu cela ? Ma cassette. Je la regardais encore ce matin. Eh bien, elle a disparu.

 

SCAPIN. - N'ayez pas peur, mon cher maître, je la retrouverai. D'abord, il faut savoir qui a fait le coup ? Je soupçonne Pierrot ou Arlequin. Ils sont capables de tout.

 

LE DOCTEUR. - Et qui te fait penser ?

 


 

SCAPIN. - On ne les a pas vus de la matinée. Laissez-moi faire, je vous rattraperai votre voleur.

 

LE DOCTEUR. - Ma pauvre cassette !

 

SCAPIN. - Elle était bien pleine ?

 

LE DOCTEUR. - Oh oui, jusqu'au bord.

 

SCAPIN, à part. - C'est bon à savoir. (Haut.) Eh bien, si j'ai un conseil à vous donner, c'est d'aller vous reposer un moment. S'ils nous voyaient ensemble, ils se méfieraient, mais ils ne craindront rien de moi.

 

LE DOCTEUR. - Tu as peut-être raison. (Il sort.)

 

SCÈNE V

 

SCAPIN. - Scapin, mon ami, sois habile ! Il faut maintenant que la cassette soit à toi.

 

SCÈNE VI

 

SCAPIN, PIERROT.

 

PIERROT. - Je m'en suis débarrassé ! (Apercevant Scapin.) Oh ! Scapin ! Encore un que je n'attendais pas.

 

SCAPIN. - Hé ! Te voilà Pierrot ?

 

PIERROT. - Comme tu vois, je prends l'air !

 

SCAPIN. - C'est bien peu ! (A part.) Frappons tout de suite le grand coup ! (Haut.) Alors tu prends l'air tranquillement comme ça, sans remords ?

 

PIERROT, à part. - Est-ce qu'il se douterait aussi ? (Haut.) Pourquoi des remords ?

 

SCAPIN. - Dame, mon cher Pierrot ; à ta place je serais moins calme.

 

PIERROT, à part. - Il sait tout ! (Haut.) Pourquoi ?

 

SCAPIN. - Parce que le Docteur s'est aperçu du vol de sa cassette.

 

PIERROT. - Ah ! on lui a volé sa cassette ? Ce n'est pas moi.

 

SCAPIN, à part. - C'est lui ! (Haut.) Il est bien possible que ce ne soit pas toi, mais le Docteur croit que c'est toi.

 

PIERROT. - Et alors ?

 

SCAPIN. - Alors, je dois t'avouer que le Grand Juge est averti, que ton signalement est donné et que d'un moment à l'autre, tu peux être arrêté.

 

PIERROT. - Diable ! Comment faire ?

 

SCAPIN. - Mais si tu ne l'as pas prise, tu n'as rien à craindre.

 

PIERROT. - Certes ! Je ne l'ai pas prise... c'est tout au plus si je l'ai empruntée.

 

SCAPIN. - C'est tout comme ! Eh bien, rends-la moi, et il ne te sera rien fait.

 

PIERROT. - Est-ce que tu la rendrais, toi ?

 

SCAPIN, hésitant.J'avoue que...

 

PIERROT. - Alors tu me comprends.

 

SCAPIN. - Il faut pourtant que tu sortes de là. Ah ! si je l'avais prise, moi, je sais bien ce que je ferais.

 

PIERROT. - Que ferais-tu ?

 

SCAPIN. - Mais je ne l'ai pas prise.

 

PIERROT. - Voyons, mon cher Scapin, dis-moi ce que tu ferais.

 

SCAPIN. - Eh bien, donne-moi la moitié du trésor et je te le dirai.

 

PIERROT. - La moitié, c'est beaucoup.

 

SCAPIN. - Et si tu es pendu, tu n'auras rien.

 

PIERROT. - Eh bien, viens avec moi, nous allons partager.

 

SCAPIN, à part. - Allons donc ! J'y suis arrivé.

 

PIERROT. - Je vais te conduire, mon adorable Scapin.

 

SCAPIN. - Je te suis, aimable Pierrot. (Ils sortent.)

 

SCÈNE VII

 

ARLEQUIN, puis LE DOCTEUR.

 

ARLEQUIN. - Pierrot m'a glissé entre les mains. Comment le rattraper maintenant ? Évidemment, il ne se souciait pas de m'avoir pour compagnon ; c'est qu'il aura fait quelque bonne affaire dont il ne veut pas me donner une part. Raison de plus pour ne pas le quitter.

 

LE DOCTEUR. - Je me suis assez reposé, j'aime mieux me promener. Justement voici Arlequin. Quand on voit Arlequin, Pierrot n'est pas loin. Holà ! Arlequin !

 

ARLEQUIN.

Le Docteur ! Que voulez-vous, mon bon maître ?

 

LE DOCTEUR. - Il ne tremble pas en me voyant ! Mais tous mes valets sont tellement effrontés ! Je vais l'intimider ! (Haut.) Tu m'as pris ma cassette !

 

ARLEQUIN. - Vous aviez une cassette ?

 

LE DOCTEUR. - Avoue que c'est toi et rends-la moi, je ne te ferai rien.

 

ARLEQUIN. - Comment me pouvez-vous soupçonner. Moi, Arlequin, un si honnête homme !

 

LE DOCTEUR, à part. - Il n'a pas tremblé. (Haut.) Mais alors, si ce n'est pas toi, c'est Pierrot.

 
 



Créer un site
Créer un site