ARLEQUIN. - Eh ! Sans doute ! Ce ne peut être que Pierrot ! (À part). Tout s'explique maintenant. Si Pierrot m'évitait, c'est qu'il avait pris la cassette.
LE DOCTEUR. - Eh bien, où est Pierrot ? On t'a vu avec lui. ARLEQUIN. - On m'a vu avec lui ! Qui ça ?
LE DOCTEUR. - Scapin, parbleu !
ARLEQUIN. - Scapin ! (À part). Toujours à nous espionner, ce Scapin !
LE DOCTEUR. - Voyons, où est Pierrot, que je lui reprenne la cassette qu'il m'a volée.
ARLEQUIN. - Je ne sais pas, moi ! Je l'ai bien vu comme cela, de loin ; mais je ne sais pas où il est.
LE DOCTEUR, à part. - Je vois que Scapin m'a trompé ; il a dû s'arranger avec Pierrot pour garder mon trésor. C'est à Arlequin que j'aurais dû me confier. (Haut). Dis-moi, Arlequin, aimes-tu les petits écus ?
ARLEQUIN. - Mais oui, docteur, quand ils ne sont pas rognés.
SCÈNE VIII
Le Docteur, puis PIERROT.
LE DOCTEUR. - Excellente nature ! Il ferait tout pour un petit écu ! Oh ! mais qu'est-ce que je vois là ? N'est-ce pas Pierrot ? Oui, c'est lui-même ! Ah ! parbleu ! la rencontre est bonne, je vais me faire rendre moi-même ma cassette, comme cela, je gagnerai deux petits écus.
PIERROT, entrant en chantant. - Tralalalère ! Tralalala. Jamais Scapin ne reviendra ! (Apercevant le docteur.) Oh ! Le docteur ! Comment sortir de là ?
LE DOCTEUR. - Hé ! Tu es bien gai, Pierrot ?
PIERROT. - Oui, mon bon maître, oui, parce que j'ai un poids de moins sur la conscience. Oui ! J'avais eu la faiblesse de vous emprunter votre cassette ; vous savez, on a des idées... mauvaises quelquefois, mais on a du cœur, on se repent.
LE DOCTEUR. - C'est bien, cela. Alors tu l'as remise à Scapin ?
PIERROT. - Oh, non ! Il l'aurait gardée.
LE DOCTEUR. - Alors, tu me la rapportes ?
PIERROT. - Pas précisément.
LE DOCTEUR. - Enfin, tu ne la gardes pas ?
PIERROT. - Non, mais je vais vous dire où je l'ai cachée, vous la reprendrez vous-même.
LE DOCTEUR. - Je savais bien que tu étais gentil.
PIERROT. - Eh bien, regardez par ici. Voyez-vous ces rochers à pic et ces vagues qui viennent se briser dessus, et ce gros rocher ?
LE DOCTEUR. - Où ça, ce gros rocher ?
PIERROT. - Là ! Penchez-vous un peu. Vous voyez ? Penchez-vous encore. Oh ! mon Dieu ! Il est tombé ! (Le docteur tombe.) Mon pauvre docteur ! Tu n'as plus besoin de cassette maintenant ! Elle est bien à nous !
SCÈNE IX
PIERROT, ARLEQUIN.
ARLEQUIN. - Ah ! Pierrot ! Je te cherche partout !
PIERROT, à part. - Arlequin ! Je l'avais oublié ! Comment me débarrasser de celui-là ! (Haut.) Et moi aussi, je te cherche ! Je voulais t'inviter à dîner.
ARLEQUIN. - J'accepte, mon cher Pierrot, j'accepte.
PIERROT, à part. - C'est un ivrogne. Je mettrai un peu de poison dans son vin et tout sera dit.
ARLEQUIN. - Tu es un véritable ami !
PIERROT, - Je t'ai toujours aimé. Allons, viens, mon bon Arlequin, tu vas voir comme je vais bien te traiter !
ARLEQUIN. - Tu as donc de l'argent ?
PIERROT. - Quelques petites économies... que personne ne connaît ; nous les mangerons ensemble. Va, passe le premier. (Ils sortent.)
SCÈNE X
COLOMBINE, entrant avec un coffret. - Il a pris la cassette du docteur et l'a mise dans ma chambre, c'est bien imprudent ! Moi d'abord je me moque de la cassette, c'est son contenu que je voudrais connaître. Pierrot ne va pas tarder sans doute à venir.
SCÈNE XI
COLOMBINE, PIERROT.
PIERROT. - C'est fait ! Ah ! ça n'a pas été long. Au premier verre de vin je lui ai mis une petite poudre dans son verre et un moment après, il a fait couic ! Me voici libre, riche, heureux et, chose étonnante, je n'ai pas l'ombre d'un remords.
Air : De la Boulangère.
Maintenant que j'ai des écus,
Je suis à mon affaire,
Tous mes soucis sont disparus,
Plus de tristesse amère ;
Bien plus,
Mon sort est très prospère.
Avec Colombine, je vais
Passer ma vie entière.
Nous habiterons un palais
Ou bien une chaumière.
Jamais
Nous n'aurons de misère !
Comme je vais jouir de la vie dans ce beau pays, avec Colombine : Tiens ! Justement la voici. Bonjour Colombine !
COLOMBINE. - Ah ! te voilà ! Dis-donc, j'ai la cassette avec moi. On aurait pu la découvrir dans ma chambre.
PIERROT. - Qui ça ?
COLOMBINE. - Mais Scapin !
PIBRROT. - Il est mort !
COLOMBINE. - Ou bien Arlequin.
PIERROT. - Il est mort !
COLOMBINE. - Enfin, le docteur !
PIERROT. - Il est mort !
COLOMBINE. - Ah bah ! Ils sont tous morts. Comment cela est-il arrivé ?
PIERROT. - Oh ! C'est bien simple ! Scapin a voulu prendre un bain de mer et il s'est noyé. Le docteur, lui, regardait dans la mer ; tiens, là ! Il s'est trop penché et est tombé dans l'eau. Quant à Arlequin, je l'avais invité à déjeuner ; en se mettant à table, il a eu une congestion et il a fait couic ! Allons ! Oublions tout cela et voyons ce qu'il y a dans la cassette.
COLOMBINE. - Elle n'est pas bien lourde.
PIERROT. - Lourde ou légère, qu'elle soit pleine, c'est tout ce que je demande. (Il ouvre la cassette qui est pleine de papiers.)
COLOMBINE. - Des papiers et pas d'argent ! Nous sommes volés !
PIERROT. - Qui sait ! Ce sont peut-être des obligations, des actions, des titres de rentes...
COLOMBINE. - Hélas ! Ce ne sont que des recettes, vois plutôt.
PIERROT, lisant. - Recette infaillible pour le mal de dents : Si une dent vous fait mal, arrachez-la, vous n'en souffrirez plus.
COLOMBINE. - Elle est jolie, la recette !
PIERROT. - Une autre. Recette infaillible pour les cors aux pieds : Si vous avez un cor aux pieds, faites-vous couper la jambe. Le cor ne reviendra pas.
COLOMBINE. - Et voilà les médecins !
PIERROT. - Si vous avez un rhume de cerveau, mettez-vous dans un courant d'air, vous attrapez une fluxion de poitrine qui vous emportera et, avec vous, le rhume de cerveau.
COLOMBINE. - Bien obligé ! Et voilà le cadeau du docteur ? Tu n'es qu'un imbécile !
PIERROT. - Moi ! Un imbécile ?
COLOMBINE. - Eh ! sans doute, tu n'es qu'un imbécile î
PIERROT. - Est-ce que je pouvais savoir ?
COLOMBINE. - Il fallait savoir ! Je ne veux pas d'un homme aussi bête que toi. Je te reprends ma parole ; je ne t'épouserai pas, adieu ! (Elle sort.)