LA CASSETTE DU DOCTEUR
ARLEQUINADE EN UN ACTE
1911
Lemercier de Neuville
dessins de Jean Kerhor.
Domaine public.
http://www.archive.org/stream/ombreschinoisesd00lemeuoft#page/n5/mode/2up
PERSONNAGES :
Colombine.
Pierrot.
Le Docteur.
Arlequin.
Scapin.
Le Gendarme.
DÉCOR
Une falaise au bord de la mer. Un Rocher à droite.
À la Scène XI, la cassette apportée par Colombine est fixée dans ses bras par une épingle recourbée qui s'enlève dans la coulisse à la Scène XII.
COSTUMES
Colombine, Soubrette Louis XV.
Pierrot, Costume légendaire de la Comédie Italienne.
Le Docteur, id.
Arlequin, id.
Scapin, id.
Un Gendarme, Costume moderne.
SCÈNE PREMIÈRE
PIERROT, COLOMBINE.
PIERROT. - Je te dis que non.
COLOMBINE. - Je te dis que si !
PIERROT. - Jamais tu ne me feras commettre une mauvaise action,
COLOMBINE. - Mais ce n'est pas une mauvaise action.
PIERROT. - Je te dis que si !
COLOMBINE. - Je te dis que non ! Du reste, mon cher Pierrot, c'est à prendre ou à laisser : pas de cassette, pas de Colombine !
PIERROT. - Mais tu y tiens donc bien ?
COLOMBINE. - Eh ! sans doute, j'y tiens ! Ce doit être une fortune...
PIERROT. - Mais enfin, comment le docteur, notre maître, t'a-t-il dit cela ?
COLOMBINE. - Voilà ! C'était après son dernier accès de goutte, je l'avais privé de vin, de café, de cognac, de gibier, de salade, de citrons, d'oranges, de tout enfin ! Jamais un goutteux n'avait été soigné ainsi ! Il avait toujours la goutte, mais il avait été bien soigné, ce qui est l'important... pour le médecin. Alors dans sa reconnaissance, il me dit: Colombine, mon enfant, je veux reconnaître tes bons services ; tu vois cette cassette ? Eh bien, elle est à toi ! J'allais la prendre vivement, quand il ajouta : tu en prendras possession après ma mort.
PIERROT. - Eh bien, tu vois, le docteur n'est pas mort, puisque depuis hier il s'est installé ici au bord de la mer avec tout son personnel : Arlequin, Scapin, toi et moi. Il est vrai que c'est pour sa santé, mais, dans un si beau pays, il ne consentira jamais à mourir.
COLOMBINE. - Aussi l'important n'est pas qu'il meure, c'est que j'aie la cassette, qui est à moi, bien à moi, comme il me l'a dit.
PIERROT. - Cependant...
COLOMBINE. - Est-ce l'amour que tu dis avoir pour moi, qui te rend si scrupuleux ? mais, mon pauvre bêta de Pierrot, tu ne raisonnes pas. Le docteur m'a-t-il promis sa cassette, oui ou non ?
PIERROT. - Oui ! Puisque tu le dis.
COLOMBINE- Eh bien ! Chose promise, chose due ! Et ce n'est pas voler que de prendre son dû.
PIERROT. - En es-tu bien sûre ?
COLOMBINE. - Mais certainement, grand nigaud !
AIR : Le Serin.
Tiens ! Je le promets un baiser
Un tout petit baiser pour rire,
Tu le prends, il n'est pas volé,
Ne t'ai-je pas autorisé.
Ce baiser, qui te vient de moi,
Comprends ce que je veux te dire,
C'est ta conquête, il est à toi,
Tu peux le garder sans effroi.
Donc, si le docteur m'a fait don
De sa précieuse cassette
Elle est à moi, je le répète.
Grand imbécile, prends-là donc.
PIERROT. - C'est ma foi vrai ! Cela me décide, je prendrai la cassette du docteur.
COLOMBINE. - A la bonne heure ! Et quand tu m'auras remis la cassette, nous nous marierons.
PIERROT. - J'y cours, ma chère Colombine !
COLOMBINE. - Attends ! Une dernière précaution ! Méfie-toi d'Arlequin et de Scapin... s'ils se doutaient ?...
PIERROT. - Oh ! Je suis plus malin qu'eux, n'aie pas peur ! (Il sort.)
SCÈNE II
COLOMBINE, puis ARLEQUIN.
COLOMBINE. - J'ai eu bien de la peine à le décider, mais enfin j'ai pu le convaincre. C'est vrai, depuis que le docteur m'a promis cette cassette, je meurs d'envie de savoir ce qu'il y a dedans. C'est un cadeau qu'il a voulu me faire, par conséquent ce doit être de l'or ou des bijoux. Voilà qui va nous être utile pour nous mettre en ménage. Au fond, je n'ai pas de remords ! N'est-ce pas rendre un service au docteur que de l'obliger à tenir sa parole ? Car enfin, s'il m'avait oubliée sur son testament, la cassette reviendrait à ses héritiers et ainsi sa volonté ne serait pas remplie.
ARLEQUIN, entrant. - Que racontes-tu là toute seule, Colombine ?
COLOMBINE. - Des choses qui ne te regardent point, mon cher Arlequin.
ARLEQUIN. - Oh ! Oh ! Je viens de te voir causer avec Pierrot. Vous méditez quelque mauvais coup ensemble.
COLOMBINE. - Peut être bien! En tout cas, tu n'as pas besoin de savoir ce que nous disions.
ARLEQUIN. - Et si je le devinais ?
COLOMBINE. - Tu serais bien malin ! mais rien ne t'empêche de faire des suppositions.
ARLEQUIN. - Avoue que vous méditez quelque tour contre le docteur.
COLOMBINE. - Notre maître ! Que nous aimons tant ! Peux-tu le penser ?
ARLEQUIN. - Ou contre un autre.
COLOMBINE. - C'est bien possible, mais je ne te dirai rien... parce qu'il n'y a rien. Et sur ce, mon très curieux Arlequin, je te tire ma révérence ! (Elle sort.)