THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

ARLEQUIN. - Il est vrai que, quoi qu'étant tous deux vos neveux, nous ne sommes guère cousins ensemble.

CASSANDRE. - Arlequin, tu commences à m'échauffer les oreilles ! Si tu dis encore un mot, je te mets à la porte... par la fenêtre... . Mais les témoins ne sont pas encore arrivés. En les attendant, je vais déjeuner ; d'ailleurs j'ai pour habitude de ne jamais parler affaires avant ce repas ; avec cela qu'aujourd'hui j'ai un mets extraordinaire, je suis sûr que personne n'en a encore mangé.

PIERROT. - Oh ! qu'est-ce que c’est donc, mon oncle ?

COLOMBINE. - Le vilain gourmand !

CASSANDRE. - C’est un œuf de Rock que j'ai eu l'adresse de dénicher ce matin. 

ARLEQUIN. - Savez-vous, mon oncle, que c’est très imprudent ce que vous avez fait là.

CASSANDRE. - Je le sais bien, car le Rock est l’oiseau le plus fort et le plus féroce ; mais enfin il ne m'a pas vu et j'en profite.... Pierrot, va me chercher mon œuf, et surtout prends garde de le laisser tomber. (Pierrot sort). J'ai commandé qu'on le fasse cuire à la coque, pour le voir entier le plus longtemps possible.

PIERROT, rentrant avec l’œuf. - Le voici, mon oncle. Dieu ! quel œuf ! j'en ai ma charge ; il y a de quoi faire une omelette pour vingt personnes. Vous m'en donnerez, n'est-ce pas, mon oncle ?

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Le rock


 

CASSANDRE. - Oui, et je vais... (Au moment où il commence à casser l’œuf un petit oiseau en sort). Ah ! quel prodige ! (Le Rock paraît et enlève la perruque de Cassandre).
 

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TOUT LE MONDE. - Ah ! le Rock ! le Rock !

CASSANDRE. - Mais il m'enlève ma perruque. Au secours ! je suis perdu, je sens tous mes maux qui reviennent. (Il tousse). Aïe ! Aïe ! Aïe ! mon catarrhe. (Il veut se relever). Aïe, aïe, aïe, ma goutte, je ne puis plus marcher.

ARLEQUIN. - Mon pauvre oncle !

PIERROT. - Comme c’est contrariant pour la noce !

CASSANDRE. - Va-t-en au diable, toi, avec ta noce ! Est-ce que je peux marier ma fille dans un état pareil ? Le mariage n'aura lieu que lorsque j'aurai retrouvé ma perruque.

PIERROT. - Ah ! mon Dieu ! que dit-il là ?

CASSANDRE. - Partez tous, je ne donnerai ma fille qu'à celui qui me la rapportera... ma perruque.

ARLEQUIN. - Je vais me mettre en route sur le champ. Tout espoir n’est pas encore perdu, ma petite Colombine.

PIERROT. - Mais, mon oncle...

CASSANDRE. - C'est mon dernier mot ; invoque ta marraine, elle est puissante et te donnera sans doute, le moyen de la retrouver. Allons, conduisez-moi dans ma chambre, car je ne peux plus bouger.

(Il sort avec Pierrot et Colombine).


SCÈNE  III.

Arlequin, seul.


ARLEQUIN. - C'est vrai, il a sa marraine qui le fera réussir, tandis que moi je n'ai personne pour me protéger.


SCÈNE  IV.

La Fée Blanchette ; Arlequin.

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fée

LA  FÉE, sortant d'un bahut. - Tu te trompes, Arlequin.

ARLEQUIN. - Que vois-je ?

LA  FÉE. - La fée Blanchette. Je suis touchée de ton amour pour Colombine, et viens à ton secours. Malheureusement je suis reçue depuis peu de temps à la cour des fées et n'ai pas autant de pouvoir que la fée Carabosse, qui en est la doyenne ; cependant j'espère t'être utile plus tard ; mais pour le moment je t'engage à ne pas quitter Pierrot un seul instant.

ARLEQUIN. - Je vous obéirai, madame la fée, quoique cela doive m'être peu agréable.

LA  FÉE. - Il le faut... Mais je l'aperçois, il va venir invoquer sa marraine ; cache-toi ; adieu, du courage !


SCÈNE  V.

Arlequin, seul.


ARLEQUIN. - Je ne reviens pas de ma surprise. Mais voilà Pierrot, cachons-nous, comme madame Blanchette me l'a dit.


SCÈNE  VI.

Arlequin caché, Pierrot.


PIERROT. - Il n'y a pas moyen de faire entendre raison à mon oncle. Ah ! s'il n'était pas si riche, comme je le laisserais là, lui, sa fille et sa perruque. Voyons, invoquons ma marraine. Puissante fée Carabosse, venez à mon secours.


SCÈNE  VII

Pierrot, la fée Carabosse.

(Elle descend sur un manche à balai).

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Carabosse

LA  FÉE  CARABOSSE. - Me voici, mon garçon, je sais ce dont il s'agit ; ainsi ne perdons pas de temps en paroles inutiles. La perruque de Cassandre est maintenant dans l'île des bêtes ; je te donnerai les moyens d'y pénétrer, mais ce ne sera pas sans de grandes difficultés, car le Rock est tout puissant, et il en veut mortellement à ton oncle de lui avoir enlevé son œuf.

PIERROT. - Oui, j'ai entendu dire que le Rock avait le cœur très dur. Mais, dites donc, marraine, j'ai peur d'être dévoré dans l'île des bêtes.

LA  FÉE. - J’espère que tu y seras bien reçu, mais il faut d'abord sortir d'ici ; viens te placer à côté de moi.
 

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PIERROT. - Sur votre manche à balai ?

LA  FÉE. - Sans doute.

PIERROT. - Mais, dites donc, marraine, c’est bien étroit, je vais tomber.

LA  FÉE. - Ne crains rien.

PIERROT. - Vous me donnerez la main, n'est-ce pas ?

LA  FÉE. - Sois tranquille.

     (Pierrot se place près de la fée Carabosse. Au moment où ils s'élèvent, Arlequin saisit la jambe de Pierrot et dit :)

ARLEQUIN. - Maintenant, je ne te quitte plus.

PIERROT, criant. - Aïe : Aïe ! Aïe ! Qui est-ce qui me tire la jambe comme cela ?

(La toile tombe).


ACTE  II

Le théâtre représente le bord de la mer.

bord de mer

SCÈNE  PREMIÈRE.

Pierrot, Arlequin,

PIERROT. - Ouf ! il était temps que ma marraine me fasse prendre pied ici, car le siège sur lequel elle voyage est terriblement dur ; je suis bien fatigué.

ARLEQUIN. - Et moi aussi.

PIERROT. - Je te conseille de te plaindre, tu m'as presque brisé la jambe en t'accrochant après moi.

ARLEQUIN. - Il m'eût été difficile de te suivre autrement.

PIERROT. - Je me serais bien passé de toi, car je connais ton projet : tu espères profiter de la protection de ma marraine pour retrouver la perruque de mon oncle, mais tu n'y parviendras pas, car si la fée Carabosse n'a pu t'empêcher de me suivre jusqu'ici, je saurai bien me débarrasser de toi.

ARLEQUIN, à part. - C’est ce que nous verrons.

     (Pendant la tirade de Pierrot, il a marché de long en large et Arlequin l'a suivi pas à pas).

PIERRO, se retournant brusquement. - Ah ! Ah ! veux-tu me laisser tranquille ?

ARLEQUIN. - Mais je te laisse parfaitement tranquille.

PIERROT, à part. - Et dire que ma marraine m'a prévenu en route qu'elle ne pouvait t’empêcher de me suivre ! Si je pouvais, cependant, avec adresse... Essayons... Dis donc, Arlequin ?

ARLEQUIN. - Qu'est-ce que tu veux ?

PIERROT. - Je pense que, puisque tu ne veux pas me quitter, et que nous devons voyager ensemble, il vaut mieux être bons amis.

ARLEQUIN. - Je ne demande pas mieux.

 
 



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