THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

LE  LION. - Ne prononcez pas ce nom, seigneur Perroquet, car mon cœur se brise à l'idée d'employer ce subterfuge, moi qui avais la plus belle crinière de tout mon royaume.

LE  RENARD. - Je vous assure, Sire, que votre crinière était trop grosse autrefois, et que les traits si nobles et si beaux de Votre Majesté gagnent à ce qu'elle soit légèrement diminuée.

LE  LION. - Ministre Renard, vous êtes un flatteur, mais je sais à quoi m'en tenir ; je réussis beaucoup moins auprès des lionnes et des panthères, et le seigneur Perroquet me disait encore ce matin que ma crinière était le sujet de toutes les conversations.

LE  PERROQUET. - Sire, mon opinion...

LE  LION. - Eh ! mon cher Perroquet, je ne vous demande pas votre opinion, car je sais que vous n'en avez pas ; vous ne parlez que d'après les autres, et voilà pourquoi je m'en rapporte à vous pour savoir ce qui de passe. Mais je commence à être très inquiet, car, malgré la récompense promise, peut-être ne pourrai-je obtenir cet objet tant désiré. Mais que nous veut notre grand-chambellan ?
 

SCÈNE  III.

Les précédents, le Singe.


LE  SINGE. - Sire, l'ambassadrice de votre illustre cousin, le grand-duc le Rock, désire parler à Votre Majesté à l'instant même.
 

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LE  LION. - Faites entrer.

UNE  VOIX  DANS  LA  COULISSE. - Madame la comtesse la Pie.


SCÈNE  IV.

Les précédents, la Pie.

LA  PIE. - (Elle parle très-vite). Pardonnez-moi, Sire, de me présenter si brusquement devant Votre Majesté ; mais l'affaire qui m'amène étant de la plus haute importance, ne pouvait souffrir de retard.

LE  LION. - Je vous écoute, madame.

LA  PIE. - Je vais vous expliquer en peu de mots le motif de mon ambassade : le grand-duc, monseigneur le Rock, ayant appris que vous désiriez une perruque, m'a chargée de vous apporter celle-ci ; il l'a enlevée à un nommé Cassandre, pour le punir d'avoir eu l'audace de lui prendre un de ses œufs.

LE  LION. - Je vous prie, madame, d'exprimer ma sincère reconnaissance à mon cher cousin, et de lui dire que je tâcherai de reconnaître un si grand service.

LA PIE. - Monseigneur le Rock sait que les deux neveux de Cassandre sont en route pour venir demander cette perruque à Votre Majesté, et il désire, pour toute récompense, que vous vengiez sur eux l'outrage que leur oncle lui a fait.

LE  LION. - Il sera obéi.


SCÈNE  V. 

Les précédents, le Singe.


LE  SINGE. - Sire, deux voyageurs qui viennent d'arriver dans votre île, l'un au nord, l'autre au midi, réclament l'honneur de vous être présentés.

LE  LION. - Ce sont sans doute ceux que nous attendons. Faites entrer. (Le Singe sort).


SCÈNE  VI.

Les précédents, Pierrot, Arlequin.


PIERROT. - Sire, je viens...

ARLEQUIN, l'interrompant. - Sire, le sujet qui m'amène...

PIERROT, de même. - Je demande pardon à Votre Majesté...

ARLEQUIN, de même. - Je supplie Votre Majesté de me pardonner...

LE  LION. - Voulez-vous bien vous taire, messieurs. Je connais le but de votre voyage ; vous venez me demander la perruque de votre oncle, mais vous ne l'aurez pas, d'abord parce que notre cher cousin, le grand-duc le Rock, qui vient de me l'envoyer, veut venger sur vous la témérité de votre oncle, et ensuite parce que je veux la garder pour mon usage. Maintenant, messieurs, je veux bien vous accorder la faveur de choisir vous-mêmes celui de mes sujets par lequel vous préférez être dévorés.

PIERROT, à part. - Ah ! que dit-il ? Je sens mes jambes qui fléchissent fous moi.

ARLEQUIN, à part. - Diable ! Il ne plaisante pas. Comment sortir de là ?

LE  LION. - Eh bien ! messieurs, avez-vous fait votre choix ?

ARLEQUIN. - Pardon, Sire, mais je suis un peu curieux, avant de mourir, je voudrais bien savoir en quoi cette perruque peut vous être utile.

LE  LION. - Vous êtes bien hardi de m'adresser une pareille question. Cependant, comme c'est la dernière, je veux bien y répondre. Je compte me servir de cette perruque pour suppléer à ma crinière qui diminue tous les jours.

ARLEQUIN. - Eh bien ! Sire, au lieu de vous affubler de cette perruque qui vous enlaidirait, je vous offre de faire repousser votre crinière aussi belle que possible, avec une pommade miraculeuse que j'ai composée.

LE  LION. - Ah ! cela serait merveilleux.

ARLEQUIN. - Je ne demande que quelques heures pour la préparer.

LE  LION. - Eh bien ! on ajournera ta mort jusque-là. Mais ce sursis ne concerne pas ton compagnon.

PIERROT. - Sire, ne l'écoutez pas, il vous en impose avec sa pommade.

ARLEQUIN. - Ah l si je pouvais en avoir de suite, je prouverais à Votre Majesté (Un pot de pommade paraît sur une table). Justement, en voici.

PIERROT. - Je vous répète, Sire, que c'est un imposteur, et qu'au contraire sa pommade est nuisible.

LE  LION. - En ce cas, je veux qu'on en fasse l'essai sur toi.

     (Arlequin frotte la tête de Pierrot, dont le serre-tête disparaît, et qui paraît avec une chevelure qui lui cache la figure et tombe presque jusqu'à terre).

TOUS. - Ah ! quel prodige !

LE  LION. - C'est miraculeux ! Arlequin, non seulement je t'accorde la perruque de ton oncle, mais je veux breveter ta pommade en lui donnant mon nom.

ARLEQUIN. - Ah ! Sire, que de bontés ! Ma petite Colombine, je te reverrai enfin.


SCÈNE  VII  ET  DERNIÈRE. 

Les précédents, la fée Blanchette , Cassandre, Colombine.


(Ils arrivent dans un nuage).


LA  FÉE. - Nous venons te féliciter, Arlequin.

ARLEQUIN. - Combien je vous remercie, madame la fée ! C’est à votre protection que je dois mon bonheur. Eh bien, mon oncle ?

CASSANDRE. - Eh bien, je suis prêt à tenir ma promesse.

ARLEQUIN. - Vous ne nierez plus, j'espère, l’efficacité de mes inventions, et la pommade du lion fera ma fortune.

LE  LION. - Madame l'ambassadrice, vous direz, je vous prie, à mon cher cousin que j'espère qu'il voudra bien pardonner à Cassandre, en faveur du service que son neveu m'a rendu.

(La pie s'envole).

PIERROT. - Et moi, est-ce que je vais rester comme cela ?

LA FÉE. - Oui, car en voyant ton mauvais caractère, ta marraine t'a retiré sa protection.

ARLEQUIN. - C’est cela, tu seras mon enseigne vivante.

PIERROT. - Oh ! Arlequin, je t'en prie.

ARLEQUIN. - Le fait est que tu es si laid comme cela, que tu me fais de la peine. Allons, console-toi, si tu te comportes bien, je composerai une autre pommade pour faire tomber tes cheveux.

COUPLET  FINAL.

Air : de Partie et Revanche.

Nos acteurs sont les vrais modèles
De ces vertus qu'on cherche à l'opéra.
Chez nous, ni soucis, ni querelles,
Cabale, envie, et cetera...
Nous ne connaissons pas cela.
Aucun travail ne nous rebute ;
Jamais de fièvre ou d'enrouement.
Nous ne redoutons qu'une chute.
Car nous nous cassons en tombant.

TOUS.

Nous ne redoutons qu'une chute,
Car nous nous cassons en tombant.

RIDEAU




 
 
 



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