PIERROT. - Faisons la paix.
ARLEQUIN. - Je le veux bien. (à part) Il est trop aimable, tenons-nous sur nos gardes.
PIERROT. - Ne trouves-tu pas que c'est charmant ici ?
ARLEQUIN. - Oui, c’est très joli, très joli.
PIERROT. - Avant de nous remettre en route, je vais aller visiter les environs. Attends-moi un instant, je reviens tout de suite.
(Il sort en courant).
SCÈNE II.
Arlequin , seul
ARLEQUIN. - Ah ! tu n'es pas adroit, cher ami, tu crois pouvoir me laisser là, mais je suis plus habile que toi à la course ; tu as beau courir, je t'aurai bien vite rattrapé. (Il va pour sortir).
PIERROT, dans la coulisse. - Au secours ! au secours !
ARLEQUIN. - Mais, que vois-je ? Il est dévoré par un crocodile. Diable ! je n'ai pourtant pas envie de le suivre jusque-là.
SCÈNE III.
crocodile
(Le crocodile parait, tenant Pierrot dans sa gueule).
PIERROT. - Au secours ! Arlequin, sauve-moi.
ARLEQUIN. - Et comment veux-tu que je fasse ?
PIERROT. - J'étouffe, dépêche-toi.
ARLEQUIN. - Dépêche-toi, dépêche-toi, c’est bien aisé à dire. En vérité, il est si méchant que j'ai bien envie de laisser le crocodile le digérer tranquillement. Mais il faut être meilleur que lui ; d'ailleurs, lui seul peut me faire arriver dans l'île des Bêtes mais comment faire pour le sortir de là ?
PIERROT. - J'étouffe !
ARLEQUIN. - Tâche de sortir par où tu es entré.
PIERROT. - Je ne peux pas, l'animal a les dents serrées.
ARLEQUIN. - Tâche de trouver une porte de derrière. Sangodémi ! c’est qu'il n'y a pas de temps à perdre. Ah ! il me vient une idée. (Il saute sur le crocodile et piétine dessus). Je vais peut-être l'étouffer tout-à-fait, mais, ma foi, je risque le tout pour le tout. (Pierrot commence à sortir). Ah ! je l'aperçois. Attends, je vais te donner la main. (Il va dans la coulisse et tire Pierrot, qui sort du crocodile extrêmement long et mince). Sangodémi ! comme il a grandi dans le corps de ce crocodile ! J'ai beau tirer, je n'en vois pas la fin. Je crois, cependant, que c’est fini, mais le malheureux n'a plus forme humaine.
SCÈNE IV.
Pierrot, Arlequin .
(Pierrot reparaît sous sa forme naturelle).
ARLEQUIN. - Tiens ! tu n'es pas plus grand ! Ah ça, es-tu bien rajusté ?
PIERROT. - Je crois que oui, mais j'ai eu bien peur.
ARLEQUIN. - Cela t'apprendra à vouloir me quitter.
PIERROT. - C'est étonnant comme mon passage dans cet animal m'a creusé l’estomac, je voudrais bien pouvoir me restaurer. (Une table servie paraît). Ah ! quel bonheur !
table
ARLEQUIN. - Oui ! c’est heureux, car j'ai bien faim aussi.
PIERROT. - Mais, dis donc, cette table est envoyée par ma marraine bien sûr, et je ne veux pas que tu y touches.
ARLEQUIN. - Gourmand, va ! Décidément, Pierrot, ça me fait de la peine pour toi, mais tu as tous les défauts... Comment ! tu refuses de me laisser partager ton repas, quand je viens de te sauver la vie !
PIERROT. Tiens ! il n'y en a pas trop pour moi, et je vais... (Au moment où il va manger, sa tête se retourne). Ah ! mon Dieu ! ma tête qui regarde mon dos, à présent.
ARLEQUIN, riant. - C'est pour te punir de ta gourmandise.
(Arlequin mange).
PIERROT. - Est-ce que je vais rester comme cela ? (Sa tête se remet). À la bonne heure ! voyons, mangeons. (Sa tête se retourne). Décidément, ça commence à m'inquiéter. (Sa tête tourne très vite). Ah ! ma tête qui tourne comme une toupie, à présent. Arlequin ! mon cher Arlequin !
ARLEQUIN. - C'est cela, tu as recours à moi dans les moments difficiles, Et quand je t'ai tiré d'embarras, tu me maltraites ; ma foi, que ta tête tourne, si elle veut, pendant ce temps je vais finir le macaroni. (Il mange et boit). Là ! j'ai fini ; tu disais bien. Pierrot, il n'y en avait pas de trop pour une personne.
(La table disparaît).
PIERROT. - Enfin, ma tête reste en place ! mais j'ai l'estomac encore plus creux qu'auparavant.
ARLEQUIN. - Tu vois bien que tu es puni de tes mauvais procédés envers moi ; mais il faut songer à sortir d'ici.
(Un bateau paraît).
bateau
PIERROT. - Justement, voilà un bateau.
ARLEQUIN. - Pour arriver à une île, c’est de première nécessité.
(Ils sautent tous deux dans le bateau, s'asseyant de côté opposé, et rament chacun de leur côté).
PIERROT. - C’est de mon côté qu'il faut ramer.
ARLEQUIN. - Non, d'après notre première direction, ce doit être du mien.
PIERROT. - Je suis sûr que non.
ARLEQUIN. - Je suis sûr que si.
PIERROT. - Mais si nous ramons toujours de côté opposé, nous n'arriverons jamais.
ARLEQUIN. - Pourquoi ne veux-tu pas m'écouter ?
PIERROT - Parce que c’est moi qui ai raison.
ARLEQUIN. - Et moi, je suis sûr du contraire.
(Le bateau se sépare en deux).
PIERROT. - Pour le coup, nous voilà séparés.
ARLEQUIN. - Et moi qui ne devais pas le quitter !
(La toile tombe).
ACTE III
Le théâtre représente l'île des Bêtes. Chaque personnage doit avoir la tête et les pattes de l'animal dont il porte le nom.
SCÈNE PREMIÈRE.
Le Renard, le Perroquet.
LE PERROQUET. - Avez-vous remarqué, seigneur Renard, comme le roi est triste depuis quelque temps ?
LE RENARD. - Oui, seigneur Perroquet, et Sa Majesté a bien sujet de s'affliger, car sa crinière, qui était citée pour sa beauté, diminue tous les jours ; aussi y a-t-il une forte récompense promise à celui de ses sujets qui pourra remédier à cet inconvénient en lui procurant une perruque.
UNE VOIX DANS LA COULISSE : Le Roi !
(Le Renard et le Perroquet s'inclinent).
SCÈNE II.
Le Lion, le Renard, le Perroquet.
LE LION. - Bonjour, mes fidèles ministres. Eh bien, pendant mon absence, a-t-on apporté l'objet que j'ai fait demander ?
LE PERROQUET. - Votre perruque ?... Non, Sire.