SCÈNE IV
JACQUES. - Eh ! bien, ne l'avais-je pas deviné ?... Je savais bien qu'il se fâcherait de lui dire la vérité.
SCÈNE V
VICTOR, JACQUES.
Victor
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VICTOR. - Ah ! te voilà, Jacques; dis-moi donc où est Laflèche. Je cours partout pour le trouver, sans pouvoir le rencontrer.
JACQUES. - Laflèche ? Monsieur Harpagon, votre estimable père, vient de m'apprendre qu'il est congédié de ce logis.
VICTOR. - Quoi ! le seul domestique que je tenais à mes ordres, mon père l'a congédié ? Jacques, va, cours le chercher et dis lui de venir me parler.
JACQUES. - Avec plaisir (Il sort).
SCÈNE VI
VICTOR (seul) - Peut-on rien voir de plus cruel ? Non, je ne puis endurer cette rigoureuse épargne, cette sécheresse étrange où l'on me fait languir. Hé ! que me servira d'avoir du bien s'il ne me vient que dans le temps où je ne pourrai plus en jouir, et si, pour m'entretenir moi-même, il faut que maintenant je demande et m'engage de tous côtés. Non, cela ne peut durer, et pour y couper court, je veux me marier. Si mon père s'y oppose, je suis résolu à m'éloigner de cette maison ; en quittant ces lieux, je m'affranchirai de cette tyrannie où me tient depuis si longtemps son avarice insupportable. Je fais chercher partout, pour ce dessein, de l'argent à emprunter; c'est pourquoi je veux conserver Laflèche qui m'est, pour cela, d'une grande utilité. Ah ! le voici.
SCÈNE VII
LAFLÈCHE, VICTOR.
VICTOR - Eh bien ! où t'es-tu donc allé fourrer ? Ne t'avais-je pas donné ordre ?....
LAFLÈCHE. - Oui, monsieur, je m'étais rendu ici pour attendre; mais Monsieur Harpagon, votre père, le plus malgracieux des hommes, m'a chassé malgré moi et j'ai couru le risque d'être battu.
VICTOR. - Je t'ai déjà dit que tu es à mon service et que tu n'as pas à t’inquiéter de ce que te dira mon père. Laissons cela, parlons de notre affaire. Tu sais que les choses pressent plus que jamais. N'as-tu pas trouvé d'argent ?
LAFLÈCHE. - Pardonnez-moi, monsieur.
VICTOR. - Où est-il donc, cet argent ?
LAFLÈCHE. - Je ne l'ai point.
VICTOR. - Que veux-tu donc dire ? Je ne te comprends pas.
LAFLÈCHE. - J'ai trouvé le moyen d'en avoir.
VICTOR. - Très bien ! et de qui ?
LAFLÈCHE. - De monsieur votre père.
VICTOR. - Cela me paraît bien difficile.
LAFLÈCHE. - C'est une idée lumineuse qu'il a allumée lui-même dans mon cerveau. Écoutez : en sortant d'ici tout à l'heure, lorsqu'il m'eût congédié, je dirigeai mes pas vers le port d'où je vis sortir, à la voile, une galère turque ; cette galère arrivée sur rade serra ses voiles et jeta l'ancre. Elle est restée mouillée en cet endroit.
VICTOR. - Eh bien ! qu'est-ce que cette galère sur rade a de commun avec l'argent que tu prétends obtenir de mon père ?
LAFLÈCHE. - Je vais vous faire connaître ma ruse, venez, car je l'entends et il pourrait nous gêner pour cette affaire (Ils sortent tous deux).
SCÈNE VIII
HARPAGON (seul). - Je viens de faire une tournée du côté de mon argent afin de m'assurer si ce pendard de valet n'en aurait point emporté ; je suis bien aise de l'avoir congédié, car je ne me plaisais point à voir chez moi ce chien de rusé-là. Certes, ce n'est pas une petite peine que de garder chez soi une grande somme d'argent; et bienheureux qui a tout son fait bien placé, ne conservant que ce qu'il faut pour sa dépense; car on ne sait où trouver une cache fidèle. Pour moi, les coffres-forts me sont suspects, je ne veux jamais m'y fier, ce sont justement de vraies amorces à voleurs, et c'est toujours la première chose que l'on va attaquer. Cependant, je ne sais si j'aurai bien fait d'avoir enterré, dans mon jardin, les dix-mille écus qu'on m'a rendus hier. Dix mille écus en or, chez soi, c'est une somme assez... Taisons-nous, j'entends venir quelqu'un.
SCÈNE IX
SIMON, HARPAGON.
Simon
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HARPAGON. - Qu'est-ce, maître Simon ? Venez-vous pour quelqu' affaire ?
SIMON. - Oui, monsieur Harpagon. C'est un jeune homme qui a besoin d'argent : il en passera par tout ce que vous voudrez.
HARPAGON. - Mais croyez-vous, maître Simon, qu'il n'y ait aucun danger à lui prêter ?
SIMON. - Vous serez de toutes choses éclairé par lui-même : sa famille est fort riche, mais il ne peut jouir de son bien avant la mort de son père, qui est fort malade et qui mourra avant qu'il soit un mois.
HARPAGON. - C'est quelque chose que cela. La charité, maître Simon, nous oblige à faire plaisir aux personnes lorsque nous le pouvons.
SIMON. - Il ne lui faut pas moins de quinze mille francs.
HARPAGON, - Diable ! Quinze mille francs ! c'est beaucoup, mais enfin, s'il n'y a aucun danger, cela pourra se faire.
SIMON, - Il voudrait cependant, avant tout, connaître vos conditions.
HARPAGON. - Supposez qu'il y ait toute sûreté, et que ce jeune homme soit majeur, d'une famille où le bien soit solide, assuré, clair, ample et net de tout embarras ; on fera une bonne et exacte obligation par devant un notaire que je choisirai.
SIMON, - Il n'y a rien à dire que cela.
HARPAGON. - Pour ne pas charger ma conscience d'aucun scrupule, je ne prétends donner mon argent qu'au taux légal de six pour cent.
SIMON. - Six francs pour cent francs ? Parbleu, voilà qui est honnête, il n'aura pas à se plaindre.
HARPAGON. - Cela est vrai. Mais comme je n'ai pas chez moi la somme dont il est question, et que pour faire plaisir à ce jeune homme, je suis contraint moi-même de l'emprunter d'un autre sur le pied de six francs par cent francs, il conviendra que ce jeune homme paie de plus cet intérêt, attendu que ce n'est que pour l'obliger que je m'engage à cet emprunt.