THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

LOUIS. - Tricheur, menteur, voleur.


FRANÇOIS. - Si tu n' te tais pas, Louis, j' t'allonge une tape.


LOUIS. - Et moi un coup d' poing. Avance donc, pour voir.


FRANÇOIS. - J' me gênerais.


LOUIS. - N' t'inquiète pas, va, tu me le paieras, je l' dirai à ta mère.


FRANÇOIS, courant après lui. - Tiens, tiens, vas porter ça à ton père, toi, méchant gamin.


     (Ils sortent tous deux par la droite. Le guéridon peut rester en scène comme ornement.)



SCÈNE  VII

GRIS-GRIS, seul, entrant par le côté droit.

 


chat
 

GRIS-GRIS. - Miaou ; miaou ; mia, miaou...


(Il s'approche en miaulant du pot au feu, se lève sur ses pattes de derrière, renverse le pot, vole une partie des tripes, et sort avec à reculons.)



(Il faut remarquer ici qu'il y a à l'angle inférieur de gauche du tableau un fil qui renverse la marmite lorsque le chat s'en approche, et qu'au même endroit il existe une ficelle dont un bout s'accroche au nez de Gris-Gris, qui l'emporte à reculons, pour figurer les tripes qui semblent sortir de la marmite.)



SCENE  VIII.

MONSIEUR  DUFOUR, seul.


Monsieur Dufour


MONSIEUR DUFOUR. - (On le fait entrer par le côté droit en passant le manche de son gouvernail au compère de gauche, après avoir retourné la figure, afin quelle n'entre point à reculons.) La porte ouverte... personne... voilà une maison bien gardée ! On ne se douterais pas que j'y suis attendu. Allons, allons, je n'ai rien à dire : tant de maris, de retour d'un long voyage, ont eu à se plaindre de trouver trop de monde chez eux, que je dois m'estimer heureux, moi, de n'y trouver personne. Du reste, tout est propre, rangé, parfaitement en ordre, et je vois que ma ménagère n'a rien perdu de ses qualités en ce genre. Je suis curieux de savoir si ma longue absence aura produit sur madame Dufour l'effet que j'en attendais. Seule ici, privée de son époux, elle a dû être embarrassée dans bien des circonstances, et sentir d'autant mieux de quelle utilité je suis chez moi, qu'elle ne m'aura pas trouvé là pour satisfaire à toutes ses fantaisies, exécuter tous ses caprices, souscrire à toutes ses volontés. Elle est loin de s'attendre à la résolution que j'ai prise de secouer le joug petit à petit, et de prendre enfin, si ce n'est le tout, du moins la moitié de l'autorité.



Air : Sans mentir.

Plus de joug, plus d'esclavage,
Il est, jarni, temps, je crois,
Que je me mette en sevrage ,
Et que j' sois l' maître chez moi.
Si, voyant que je projette
D' la rendre comme un mouton,
Ell' veut fair' la mauvais' tête,
Foi d' Dufour, jarnicoton,
Le bâton,
Le bâton,
Va lui rabaisser le ton.

Au gré de mon espérance,
Si ma moitié s'adoucit,
Dans une juste balance
Le pouvoir se rétablit ;
Si son humeur intraitable
Par mes soins peut s'apaiser ,

Et qu'un caractère aimable
Parvienne à la remplacer,
D'un baiser,
D'un baiser ,
J' saurai la récompenser.

Mais, chut, la voici, voyons-la venir.



SCÈNE IV.

MONSIEUR et MADAME DUFOUR.



MADAME DUFOUR, entrant à droite. - Enfin, vous v'là, mon cher époux !


MONSIEUR DUFOUR. - Embrassons-nous, ma chère femme. (Ils s'embrassent.)


MADAME DUFOUR. - Par quel chemin êtes-vous donc arrivé ? car enfin , j'ons été au devant d' vous, et j' serions encore en route, si l' passeux du bac n' m'avait assuré qu'il venait d' vous conduire abord.

 

MONSIEUR DUFOUR. - C'est vrai, ma bonne ; mais je m'étais arrêté chez le voisin Baptiste pour goûter son petit vin.


MADAME DUFOUR. - Pardi, c'était ben pressé. Est-ce qu'il n'y en a pas ici du p'tit vin ? Vous avez montré là un grand empressement pour vot' femme.


MONSIEUR DUFOUR. - Je te sais gré, ma chère, de celui que tu as mis à me voir, et je ne puis me fâcher du reproche que tu m'adresses.


MADAME DUFOUR. - Vous fâcher ! je ferais ben. Attendez donc un peu que monsieur se fâche. Une autre fois, monsieur Dufour, j' vous défends d' vous arrêter en chemin.

MONSIEUR DUFOUR, à part. - Nous y voilà. (Haut.) Je vous défends ! Halte-là, maman Dufour, je ne connais plus ce français là, moi.


MADAME DUFOUR. - Voyez-vous ça ! Ah ! J' te l' ferai ben connaître moi.


MONSIEUR DUFOUR. - C'est ce que nous verrons. Mais ne parlons plus de cela : comment vont nos affaires ?


MADAME DUFOUR. - Pardi, très bien ; entre mes mains elles ne peuvent aller que comme ça. D'abord, j'ai promis à Gros-Jean que vous r'nouvelleriez son bail.


MONSIEUR DUFOUR. - C'est ce que je ne ferai pas.


MADAME DUFOUR. - Et pourquoi, s'il vous plaît ?


MONSIEUR DUFOUR. - Parce que j'ai besoin de mes terres, et que j'en ai disposé autrement.


MADAME DUFOUR. - Vous r'nouvellerez , monsieur Dufour, vous r'nouvellerez ; je l'ai promis, l' bail est passé, et j'entends qu 'vous alliez aujourd'hui chez l' tabellion pour le signer.


MONSIEUR DUFOUR. - C'est encore ce que nous verrons. Après.


MADAME DUFOUR. - J'ai vendu sur parole toute not' récolte de foin à Gros-René, il n'attend plus que vous pour ratifier l' contrat, et j'espère ben qu'vous n'y manquerez point.


MONSIEUR DUFOUR. - Fort bien. Ensuite, madame.


MADAME DUFOUR. - Ensuite, comme mes intentions n' sont plus d' travailler, j'ai dit au propriétaire de not' ferme qu'il cherche un aut' fermier, parce que vous vouliez vous r'poser itou.


MONSIEUR DUFOUR. - Eh ! ben, mais, bravo ! madame Dufour, bravo ! c'est affaire à vous, et il était temps que j'arrivasse. Ah ! ça, maintenant que vous m'avez exposé toutes vos petites volontés , voici les miennes.


MADAME DUFOUR. - Comment, les vôtres ? Non pas, s'il vous plaît ; ça s'rait la première fois que vous en auriez eues.


MONSIEUR DUFOUR. - C'est possible, il y a commencement à tout. Je reprends mes terres à Gros-Jean ; je garde ma récolte de foin pour mes chevaux, et j'irai demain trouver notre propriétaire pour lui dire que vous êtes une folle, et que je veux continuer mes fermages.


MADAME DUFOUR. - Ah ! vous voulez, monsieur Dufour ?


MONSIEUR DUFOUR. - Oui, madame, je veux... Je veux ! et il ne tiendra qu'à vous que je dise avant peu : Nous voulons.


MADAME DUFOUR, ironiquement. - Ma foi, vivent les voyages ! ils vous rendent un homme en bel état ! (Avec une expansion mêlée de doute.) Ah ! ça, c'est eun' plaisanterie, n'est-ce pas, mon p'tit homme, n'est-ce pas, mon p'tit minet, tu approuveras le bail de Gros-Jean ?


MONSIEUR DUFOUR. - Non.


MADAME DUFOUR. - Oh ? si... tu tiendras le marché de foin avec Gros-René ?

MONSIEUR DUFOUR. - Non, ma foi.


MADAME DUFOUR. - Et nous nous retirerons de not' ferme ?


MONSIEUR DUFOUR. Non, non, pardieu non, mille fois non ! Je ne plaisante pas, et je veux enfin être le maître.


MADAME DUFOUR. - Ah ! vous le prenez sur ce ton-là !...


MONSIEUR DUFOUR. - Je le prends comme il le faut prendre. Voyez un peu la belle équipée ! vendre tout notre foin à présent, quand tout fait croire qu'il n'y en aura presque point cette année, et qu'il enchérira ! Nous retirer de notre ferme, quand nous avons un enfant à établir !... Cela n'a pas le sens commun.


MADAME DUFOUR. - Monsieur Dufour, prenez garde à vous, ça va s' gâter.


MONSIEUR DUFOUR. - Tenez, ma femme, ne m'échauffez pas les oreilles : je rentre dans ma chambre, j'y vais prendre un peu de repos jusqu'au dîner. Durant ce temps, faites vos réflexions, et songez que rien ne me coûtera pour vous rendre docile, douce, soumise, et pour assurer la paix dans mon ménage. (Il sort par la gauche en se retournant.)



SCÈNE  X.

Madame DUFOUR, seule.


 

MADAME DUFOUR. - Vlà du nouveau, par exemple !... Est-ce bien monsieur Dufour qui vient de dire : Je veux !...


Air : Moi, je frise.

Quel blasphème !
Quel blasphème !
Que ma surprise est extrême !
Quel blasphème !
Quel blasphème !
Je veux !...
J'en mourrai, grands dieux !
Mon mari commandera !
Sera mon souverain maître !
Et moi, faudra me soumettre
A ce qu'il exigera !...
A tout il faudra souscrire,
Et se taire désormais,
Me garder de l' contredire,
Obéir !... Oh ! non, jamais !!!...

Quel blasphème !
Quel blasphème !
Que ma surprise est extrême !
Quel blasphème !
Quel blasphème !
Je veux !...
J'en mourrai, grands dieux !



Ah ! ça, mais il a donc perdu l'esprit ? c'est donc un autre lui-même ?... Est-ce un rêve, une illusion ? Non, je veille et je m'y perds... (Apercevant la, marmite renversée.) Ah ! mon dieu, qu'est-ce que j' vois !... En v'là ben d'une autre, à présent ! mes pauvres tripes renversées !... Et c' coquin d'enfant, où est-il ? J' lui avais tant recommandé de n' pas sortir. François !... attends, attends, va, tu vas payer pour tout le monde ; François !...


(En appelant François par la droite, madame Dufour sort un peu du tableau ; cette courte absence donne le temps de retourner son gouvernail et d'en passer le manche au compère de gauche. Madame Dufour rentre par conséquent a reculons ; et se retourne ensuite si l'on veut.)


 

 
 



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