THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

LE CHAT VOLEUR

ou


LA  MAISON  MAL  GARDÉE

SCÈNES  MÊLÉES  DE  COUPLETS.


L`embarras du ménage Séraphin planche d`ombres théâtre d`ombres ombres chinoises silhouettes marionnettes



pièce d'ombres chinoises
libre de droits (domaine public).

original visible sur :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55250647.r=ombres+chinoises.langFR

PERSONNAGES.

Monsieur DUFOUR, riche fermier.
Madame DUFOUR, sa femme.
FRANÇOIS, leur fils.
Madame SIMON, voisine.
LOUIS, son fils.
GRIS-GRIS, chat de M. Dufour.
La scène se passe à Asnières.

 


LE  CHAT  VOLEUR,

ou

LA  MAISON  MAL  GARDÉE.


 

par M.T.T.

1825

 


     Le théâtre représente une chambre rustique dépendant de la ferme de M. Dufour ; à gauche du spectateur une cheminée et un fourneau, sur lequel est une marmite.


décor de gauche.

 

SCÈNE  PREMIÈRE.



Madame DUFOUR.


MADAME DUFOUR, entrant par la droite avec un balai à la main. - Quel beau jour pour une femme sensible, que celui qui lui ramène un époux après un long voyage !... Ce cher monsieur Dufour, c'est donc aujourd'hui qu'il arrive !... Oui, si j'en croyons sa lettre que j'ai fait lire hier à notre magister, je vais bientôt le serrer dans mes bras !... Ah ! dame, c'est que monsieur Dufour n'est pas un mari comme un autre, au moins : un homme qui fait tout ce que sa femme veut, qui lui obéit comme un enfant, c'est à considérer, ça. Aussi, je lui prépare une fière surprise : un beau compliment répété par son fils, et des tripes à dîner ! Je ne sais pas trop à qui il donnera la préférence, car il aime son François presque autant que les tripes. Ah ! ça, voilà la chambre propre ; à présent, soignons la marmite, afin que tout soit cuit à point. (Elle sort par la droite, et va poser son balai dans la coulisse ; elle revient ensuite avec un soufflet, et souffle le feu.) Je suis bien curieuse de savoir ce que notre homme me rapportera de la Bourgogne ; quelques joyaux, quelques beaux déshabillés de soie, c'est sûr. J'ai beau lui dire : monsieur Dufour, un bon quartier de terre vaut mieux que toutes ces frivolités, il n'en fait qu'à sa tête, et il faut toujours qu'il me pare comme une princesse. (Elle sort à gauche pour poser son soufflet dans la coulisse, et revient en scène. Madame Simon entre de l'autre côté.)
 


SCÈNE  II.

Madame DUFOUR, Madame SIMON.



Madame SIMON.


MADAME SIMON, entrant à droite. - Bonjour, voisine.

MADAME DUFOUR. - Tiens, c'est vous, madame Simon ; comment ça va-t-il ce matin ?

MADAME SIMON. - Mais, pas mal, comme vous voyez. Dites-moi donc, on dit que votre homme arrive aujourd'hui ?

MADAME DUFOUR. - On vous a dit vrai, voisine, et vous m'en voyez dans le ravissement.

MADAME SIMON. - Etes-vous heureuse, ma commère, de revoir votre mari avec plaisir ! quant à moi, je voudrais que le mien fût à tous les diables.



Air : De Marianne.

J'ai l'homme l' plus insupportable
Qui soit de Paris à Pékin ,
Qu'il s 'lève, qu'il s' couche, qu'il s' mette à table,
Avec lui faut avoir du train ;
J' fais, ma commère ,
Tout pour lui plaire,
Et c' n'est jamais
A propos que je l' fais
Sans cesse il gronde
Après tout l'monde,
Enfant, moitié,
Vraiment, ça fait pitié.
Dans l' paradis j'aurai, je gage,
Un' fameus' plac', car, dieu merci,
J'ai, grâce à mon tendre mari,
L'enfer dans mon ménage. (bis.)


MADAME DUFOUR. - Comment ! Je croyais, au contraire, que vous viviez en bonne intelligence.

MADAME SIMON. - Il s'en faut de tout, ma chère ; il n'est pas de jour que nous ne nous disputions, et, s'il vous plaît, pour des misères.


MADAME DUFOUR. - Vous me surprenez, ma voisine ; monsieur Simon m'a toujours semblé si aimable, si doux, si...


MADAME SIMON. - Oui, je crois bien, c'est un agneau hors du logis, et un loup chez lui ; n'ayant aucun égard pour sa pauvre femme, contrariant toutes ses volontés, tous ses désirs ; allant même quelque fois jusqu'à la battre.


MADAME DUFOUR. La... la... comment dites-vous ça ? la battre, la battre ! Tudieu ! la battre !... Et vous l'acceptez, mère Simon !...


MADAME SIMON. - Il le faut bien.


MADAME DUFOUR. - Il le faut bien ! Ah ! bien, par exemple, en voilà une bonne, et vous êtes d'une fière pâte. Ah ! Ah ! Je voudrais ben que Dufour me battit, il verrait beau jeu !...


MADAME SIMON. - Ah ! pardi, il ne s'en avisera pas ; vous le menez comme vous voulez ; voilà en quoi quoi je vous trouve heureuse.


MADAME DUFOUR. - Eh ! ben, ma commère, il ne tient qu'à vous d'avoir ce bonheur-là.

MADAME SIMON. - Ma fine, si c'était, j'en serais bien contente.


MADAME DUFOUR. - Rien de plus facile. Ecoutez-moi : votre mari rentre, n'est-ce pas ?


MADAME SIMON. - Oui.


MADAME DUFOUR. - S'il est soucieux, soyez de mauvaise humeur ; s'il vous lâche une sottise, baillez lui des injures ; s'il élève la voix, criez plus fort que lui ; s'il brise une assiette, brisez un plat ; s'il vous donne une gifle, cassez lui un tabouret sur le dos, et je vous réponds qu'au bout de huit jours d'un pareil manège, votre mari sera doux comme un mouton.


MADAME SIMON. - Vraiment, vous croyez que c'est là le seul moyen ?...


MADAME DUFOUR. - Ah ! mon dieu, le seul. Croyez-en mon expérience ; c'est ainsi que j'ai formé monsieur Dufour. Aussi, c'est la perle des maris, la douceur même.


Air : Contentons-nous d'une simple bouteille.


Dès l' premier jour de notre mariage,
De m'obéir mon époux a fait vœu,
Je l'ai dressé pour les soins du ménage,
Il tourn' la broche, il veille l' pot-au-feu.
Faut l' voir laver, essuyer une assiette,
Mettre l' couvert et ranger le buffet ;
Bref, quand François avait besoin d ' layette,
C'est lui, ma chèr', c'est lui qui m' la chauffait.


MADAME SIMON. - Ah ! Dieu, si je pouvais lui faire aussi chauffer la layette. Allons, grand merci de votre conseil, mère Dufour, je vous promets d'en user. Mais, dites donc, si au lieu de s'arrêter dans une dispute, il continuait de plus belle, savez-vous que ça ferait bien du dégât ?


MADAME DUFOUR. - Oh ! Que non, ne craignez rien ; faites ce que je vous dis, et vous vous en trouverez bien. Les hommes, voyez-vous, sont des animaux qu'il faut mener par le nez ; c'est notre faiblesse qui fait leur force, et dès que nous sommes fortes, l'égalité paraît, et nous finissons toujours par avoir plus d'autorité qu'eux.

MADAME SIMON. - C'est drôle ; moi, je croyais qu'il fallait plutôt pleurer pour adoucir la colère d'un homme.


MADAME DUFOUR. - Pleurer ! Ah ! ben oui ; mauvais moyen, ma chère ; ça ne prend plus, faut laisser ça aux petites maîtresses. D'ailleurs , ça ne sert qu'une fois, et ça ne fait pas beaucoup d'impression ; tandis qu'au contraire rien ne s'imprime dans la mémoire comme une volée de coups de trique.


MADAME SIMON. - Eh ! ben, ma foi, voilà qui est dit : va pour les coups de trique. Il me semble déjà que j'y suis, et je crois que pour jouir plus vite, je vais faire naître en entrant un sujet de querelle.


MADAME DUFOUR. - Moi, je vous le conseille.


MADAME SIMON. - Adieu, madame Dufour ; vous entendrez bientôt parler de moi.

MADAME DUFOUR. - Adieu, voisine. Allons, courage, bonne chance.


MADAME SIMON. - Votre servante. (Elle sort par la droite en se retournant.)

 
 



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