THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

SCÈNE  XI.

MADAME  DUFOUR,  FRANÇOIS.



FRANÇOIS, entrant à droite. - Qu'est-ce qui m'appelle ?


MADAME  DUFOUR. - Pardi, c'est moi qui vous appelle, monsieur : avancez ici, désobéissant; qu'est-ce que c'est qu' ça ?...


FRANÇOIS. - C'est les tripes, ma mère.


MADAME DUFOUR. - Je l' sais ben que c'est les tripes ; mais qui les a renversées ?...


FRANÇOIS. - Je n' sais pas, ma mère.



MADAME  DUFOUR. - Je l' devine, moi. Pourquoi n'êtes-vous pas resté ici ?... D'où v'nez-vous ?


FRANÇOIS, malignement. - J'ai été faire un tour dans l' pays, ma mère, et j'ai encore appris queuqu' chose.


MADAME  DUFOUR. - Petit rusé, j' te vois venir ; mais tu n'échapp'ras pas celle-là, va, sois tranquille... Déboutonnez-vous, monsieur, allons, vite.


FRANÇOIS. - Tiens, que j' me déboutonne pour avoir le fouet, gnia pas d' presse.


MADAME  DUFOUR. - Ah ! gnia pas d' presse ; attends, attends, j'vas t' faire voir que j' suis pressée, moi. Où sont les verges ?


FRANÇOIS , se sauvant par la droite. - Ah ! ma mère, je n' le ferai plus.


MADAME  DUFOUR, courant après lui. - J' t'attrapperai ben, va.


     (Ils sortent tous deux par la droite.)



SCÈNE XII.

GRIS-GRIS, MADAME, MONSIEUR DUFOUR.

 


GRIS-GRIS. - Miaou, miaou, mia, miaou... (Il s'approche de la marmite, et vole le reste des tripes.)


MONSIEUR  DUFOUR, entrant à gauche et l'apercevant. - Quel tapage est-ce là !... Ah ! Ah ! Monsieur Gris-Gris escamote mon dîner. Jusqu'au chat qui fait ici ses volontés sans obstacle. Mais qu'est-ce que je vois ? ma femme qui bat François ! elle se venge sans doute sur lui de sa déconfiture.


 


SCÈNE  XIII.


MONSIEUR et MADAME DUFOUR, FRANÇOIS.


MADAME  DUFOUR, arrivant à droite en fouettant son fils, et ne voyant pas son mari. - Allez, allez, allez, petit garnement ! Ah ! vous vous mêlez aussi de me désobéir ! Que ne puis-je en donner autant à vot' père, il en aurait bon besoin.


MONSIEUR DUFOUR. - Grand merci de vos bonnes intentions, madame Dufour, et je vous prie d'en reculer l'effet ; mais ma chère amie, laissez donc cet enfant tranquille, car c'est fort innocemment qu'il reçoit la correction, puisqu'il n'est point l'auteur du vol.


MADAME  DUFOUR. - Non, c'est le chat.


MONSIEUR  DUFOUR. - Précisément, c'est le chat. Je viens de voir Gris-Gris emporter vos tripes.


MADAME  DUFOUR. - Le chat, ça n'est pas vrai.


MONSIEUR DUFOUR. - Pour vous en convaincre, il suffit d'aller au grenier, vous y trouverez sans doute le voleur en flagrant-délit.


MADAME  DUFOUR, remettant François dans la coulisse à droite, et entrant les mains libres. - Ça suffit. Allez, monsieur, et ne r'commencez plus. D'ailleurs, c' n'est pas seulement pour les tripes que je le corrige, c'est pour nous avoir exposés à être dévalisés, en laissant c' matin la maison seule pour aller jouer avec monsieur Louis.


MONSIEUR  DUFOUR. - Allons, madame Dufour, un peu d'indulgence, nous en avons tous besoin, vous plus que personne, et plaise au ciel que l'aimable société qui nous écoute en ait une bonne dose pour nous en favoriser !... Armez-vous de bonté, de douceur ; n'aspirez qu'à la moitié du pouvoir, n'exigez jamais rien que de raisonnable; c'est à ce prix que vous ferez de moi tout ce que vous voudrez. Qu'en pensez-vous ?


MADAME  DUFOUR. - Je n' promets rien.

MONSIEUR  DUFOUR.

Air : Ça n' se peut pas.
Une femme dans son ménage
Ne veut pas avoir le dessus,
Quand on lui laisse c't' avantage,
Elle en fait fi par ses refus ;
Elle chérit l'obéissance,
Et, n'aime pas qu'en portant l' bat,
Nous lui laissions tout' la puissance ....
Non , c'est le chat.

MADAME  DUFOUR.
Un mari, par notre faiblesse,
Voit chaqu' jour croître son pouvoir;
Mais nous savons, avec adresse,
Lui fair' voir blanc lorsque c'est noir.
Sans qu' la paix chez lui s'interrompe
Nous commandons, il en rabat,
Et croit qu' jamais on ne le trompe :
Non , c'est le chat.

 

FRANÇOIS, qui revient en scène, et dont le gouvernail se pose alors sur celui de madame Dufour. -

A l'école j' suis assez sage ,
Je lis , j'écris, j' calcule bien ;
Aussi, quand il voit mon ouvrage,
L' magister ne dit jamais rien.
Or, quand j'ai fait, mainte folie,
Et qu'il en voit, le résultat.,
Il dit : C' n'est pas François, j' parie ;
Non , c'est le chat.

     (François sort.)

 

SCÈNE  XIV

 

(inspirée de "La Morale en bâton", d'après Louis Mourguet)

 

MADAME  DUFOUR, à son mari. - Vous ici ; tout ce que j'ai pu dire ne compte pas : vous allez m'obéir et pas qu'un peu...


MONSIEUR DUFOUR. - Ma douce amie, j'allais me promener.

MADAME DUFOUR. - Vous promener sans moi, pendard ! qui vous a permis ?


MONSIEUR DUFOUR. - Je vous ai déjà dit que je tenais à ce que certaines choses changent ici... je n'ai pas l'intention d'employer la force...
 

MADAME  DUFOUR. - Employer la force... employer la force... Je sens que mon balai a besoin d'exercice...
 

MONSIEUR DUFOUR. - Femme, connaissez-vous la racine de l'Amérique ?
 

MADAME DUFOUR. - Votre Mère-Rique, dites-lui qu'elle vienne me parler.


MONSIEUR DUFOUR, brandissant son bâton. - Femme, voilà la racine.
 

MADAME  DUFOUR. - Il me menace ! ah ! touchez-moi donc, tenez ! (Elle le gifle.)
 

MONSIEUR  DUFOUR. - Femme, prenez donc un peu de racine... Pan ! pan ! (Il la frappe.)


MADAME  DUFOUR, criant. - Au meurtre ! à l'assassin ! Ah ! mes nerfles, mes nerfles ! Ah ! Ah !

MONSIEUR DUFOUR. - Si vous insistez encore, vous allez voir.


MADAME  DUFOUR, le bousculant. - Tenez !

 

MONSIEUR DUFOUR, lui reprenant la trique. - Ah ! vous n'avez pas encore assez mangé de racine. (Il la frappe.)


MADAME  DUFOUR. - Aïe ! Aïe ! je me trouve mal. (Elle tombe et se redresse aussitôt.)

MONSIEUR DUFOUR. - Nous voulons donc encore de cette petite racine ?

MADAME  DUFOUR, s'adoucissant. - Non, mon chéri, mon bijou, assez, merci, je ne prendrai plus rien.
 

MONSIEUR  DUFOUR. - Bien, je vais aller régler nos affaires. Je vais aller voir notre propriétaire, Gros-Jean et Gros-René... Maintenant, vous allez rentrer, et vivement..., et que tout soit prêt pour quand je reviendrai. (Il la pousse.)

MADAME DUFOUR. - Oui, mon chéri... et nous discuterons de quelques idées que j'ai eues.

MONSIEUR  DUFOUR . Je vous écouterai avec le plus grand intérêt. À tout à l'heure. (Il sort.)

 

fin en theâtre d`ombres chinoises silhouettes


    Cette saynète est à rapprocher de L'Embarras du Ménage de Séraphin :
http://ombres-et-silhouettes.wifeo.com/embarras-du-menage.php
dont elle s'inspire visiblement.
 
     La trame de l'histoire est enrichie et la personnalité des personnages est mieux cernée. La mère est une mégère, le père est un homme placide qui veut la paix dans sa maison et qui va l'obtenir... (Question inspiration, La Mégère Apprivoisée, ça me dit quelque chose...)

     L'entourage de la saynète est mieux défini : on a la voisine, son fils, le père, et on parle de foin, de ferme : on est à la campagne !

     Il était vraiement dommage que la version de M.T.T. finisse en queue de poisson. Je n'ai pas résisté au plaisir de la terminer, je persiste et je signe.


 
 
 



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