THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

JANOT. - Oh ! pardine, laissez faire, allez, je ne suis pas bête moi. Vous savez ben qu'on ne m'attrape pas comme ça... (seul) C'est bon... j'avais ben encore queuques sous de monnaie que je n'ai pas voulu l'y dire, là-haut dans un coin de ma chambre. Je les garde pour aller déjeuner demain avec mam'zelle Suzon, quelle fête ! comme j'avons été dimanche dernier... Allons toujours chercher not' souper mais la nuit est noire comme tout. Je répandrai la sauce. Je m'en vas chercher notre lanterne qu'on y voit goutte avec la chandelle dedans (il s'en va en chantant).
Lison dormait sur un bocage
Un bras par-ci, l'autre pied par là.

     (Il revient avec la lanterne, le théâtre est plus éclairé).

     Eh mais ! Dieu me pardonne, je crais que v'là mam'zelle Suzon à la fenêtre ; faut que je l'y dise un petit bonsoir sans faire semblant de rien : (en criant) bonsoir donc, mam'zelle Suzon, comment que vous vous portez, s'il vous plaît ?


SCÈNE V

JANOT, SUZON. 

SUZON, à sa fenêtre. - Ben obligée, fort ben, monsieur Janot, et vous-même, depis qu'on ne vous a pas vu ?

JANOT. - Oh ! moi, je me porte comme le Pont-Neuf. Queuque vous faites donc à vot' fenêt', à l'heure qu'il est, à c't' heure-ci ?

SUZON. - Ah ! rien, je suis ta prendre un petit brin l'air, sans que ça paraisse ; et vous, ou que vous allez comme ça ?

JANOT. - Je vas chercher not' soupe qui est chez le pâtissier au coin de la rue, à côté de ce parfumeur, cuit dans le four. 

SUZON. - C'est fort ben fait ; vous aurez beau temps. 

JANOT. - Oui, ma fine, si ça dure, j'aurons une belle journée c'te nuit.... y fera beau demain pour la promenade. Si vous voulez, j'irons déjeuner, comme j'avons été dimanche dernier, à Saint-Cloud. Je mangerons de bons beignets cheus le Suisse, fricassés dans la poêle. 

SUZON. - Je le voulons ben, monsieur Janot, mais c'est que ça bourre comme tout, les beignets. 

JANOT. - Oh ! que non, je les ferons descendre ; je boirons de ce bon petit vin de Briolet que vous aimez tant, que nous en avons bu l'aut' jour sous ce grand berceau, où ce qui y a de l'épine blanche tout du long, à six sous la bouteille ; vous en souvenez-vous-ti ?

SUZON. - Pardine si m'en souvient ! témoin que j'y ai t'oublié mon petit couteau que vous m'aviez donné, où ce que j'en ai tant ben du chagrin, allez. 

JANOT. - Comment ! Stustache Dubois que je vous avais fait présent ? Ah ben ! voyez, c'est comme un sort !... Mais, c'est égal, je vous en donnerai un aute, un véritable couteau de Langue, tout ce qu'il y a de pus meilleur ; vous n'en verrez pas la fin de celui-là... Il m'a déjà usé deux manches et trois lames ! 

SUZON. - C'est ben honnête à vous monsieur Janot, faut pas vous défaire de vos meubles comme ça pour moi. 

JANOT. - Ah ! pardonnez-moi, mam'selle, c'est rien que ça. En parlant de couteau, c'est feu mon grand-père qui en avait un beau, devant Dieu soit son âme, pendu à sa ceinture, dans une gaine, avec quoi il faisait la cuisine. 

SUZON. - À quelle heure que vous viendrez me prendre, pour que je me tienne prête ?

JANOT. - À huit heures. Mais dites donc, faut pas aller avec ce guernadier de l'aute jour. C'est de la mauvaise compagnie, ça et vous savez ben le proverbe : dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu fréquentes, vaut ben mieux n'être que moi et vous, v'là tout ; et pis vot' petite sœur et mon petit frère et ma cousine : ça fera cinq, nous jouerons aux quatre coins, pas vrai mam'selle Suzon ?

SUZON. - Tout ce qui vous fera plaisir, monsieur Janot, mais faudra revenir de bonne heure, nous goûterons en chemin. 

JANOT. - Oui, je passerons par Sèvres, j'y mangerons de petits gâteaux de de Nanterre... comme j'ons avons mangé l'aut' jour tout le long de la rivière, avec du beurre dessus. 

SUZON. - Et vous souvenez-vous des bonnes cerises, que j'avons mangées aussi ?

JANOT. - Pardine, je le crais ben, de c'te petite marchande qui était si jolie, à trois sous la livre. 

SUZON. - Oh ! mais tout ça vous ruine, monsieur Janot, faut pas être un dépensier comme ça ; vous ferez un mauvais ménage, au moins ; vous êtes comme un panier percé, l'argent ne vous tient pas. 

JANOT. - Ba, ba, vous êtes trop regardeuse aussi... À propos de panier percé, mam'selle Suzon, vous vous souvenez-vous ti que vous m'avez promis queuque chose. 

SUZON. - Moi ! de de quoi donc que c'est que ça pourrait être ?

JANOT. - Ah dame, sous votre respect, vous m'avez promis de m'embrasser quand je vous rapporterions vos bas de coton à coins brodés, que j'ai donnés à reprendre à ma cousine la ravaudeuse, où ce qu'il y a des mailles d'échappées. 

SUZON. - Est-ce que vous les avez dessus vous ?

JANOT. - Oui. 

SUZON. - Ah ! ben obligée, donnez-les moi. 

JANOT. - Oui-da ! donnant donnant ; faut m'embrasser auparavant. 

SUZON. - Oh ! comme ça, dans la rue, devant tout le monde ?

JANOT. - Non, venez m'ouvrir la porte de l'allée, l'entrerons un instant. 

SUZON. - Eh ben ! éteignez votre lanterne, qu'on ne vous voie pas ; je vas vous jeter la clef. 

JANOT. - C'est bon. 

     (Le théâtre est moins éclairé.)

SCÈNE  VI

SIMON,  JANOT,  SUZON.

SIMON, à Suzon, dans la maison. - Eh ben ! chienne de bavarde, avec qui que t'es donc là à causer ?

SUZON, bas. - Avec personne, mon père. 


JANOT, d'en bas de la rue. - Hein ! qu'est-ce que vous dites, mamselle Suzon ?

SIMON, à la fenêtre. - Ah ! c'est encore ce petit gueux de Janot !

JANOT, d'en bas. - Janot... oui, c'est moi.. jetez donc.

SIMON, déguisant sa voix. - Oui, je jette !

JANOT. - Oui, la clef dans mon bonnet, me v'là. 

SIMON, déguisant sa voix. - Tout à l'heure. Attends, attends (il va chercher un pot). Y es-tu ?

JANOT, s'approchant sous la fenêtre et tendant son bonnet. - Oui, jette. 

SIMON, lui jetant sur le corps. - Tiens, attrape. 

JANOT, qui a tout reçu. - Ah ! Sarpedié ! qu'est-ce que c'est que ça ?... Vous ne pouvez pas prendre garde à ce que vous faites ? On crie : gare l'eau du moins, avant que de jeter... Mais comme ça sent donc !... Est-ce que ça serait... (il flaire). Ah ! jarnigai, c'en est. V'là ma veste toute perdue, y n'y a pas à dire non ; c'en est ben ! Fi, mamselle Suzon, c'est indigne à vous. C'est un fait exprès ! Vous m'avez fait éteindre ma lanterne ! mais jarnigai, a pas besoin des yeux pour ça ! avec le nez, on voit ben !... V'là une belle chienne d'attrape !... Vous avez beau rire : allez, je ne sommes pas vot' dupe, je voyons ben à présent, de quoi y retourne !... Eh ! Sarpedié ! comment que j'allons donc faire ? Faut aller montrer ça tout chaud à not'maîtresse (il se retourne vivement pour s'en aller et il cogne contre Dodinet).

SCÈNE VII 
 

JANOT, DODINET.


 

DODINET. - Au diable soit l'animal ! Vous ne pouvez pas prendre garde ?

JANOT. - Eh ! pardine, prends garde toi-même. Est-ce que tu ne vois pas ben que je n'y vois goutte ?


DODINET. - Eh ! ben, on va doucement, on ne se jette pas dans le monde comme ça. 

JANOT, à part. - Eh ! mais que rencontre. Y me semble que j'ai vu c'te voix la queuque part... (haut). Qui est là ? 

DODINET. - Qui est là toi-même ? 

JANOT, à part. - Oh ! c'est lui sûrement. (Haut). Je m'appelle Janot. 

DODINET. - Comment, c'est Janot ?... et moi, je suis Dodinet. 

JANOT. - Ah ! mon cher Dodinet ! je suis tenchanté de te retrouver. Pardine, quiens, drès que j' tai reconnu, je me suis douté que c'était toi.

DODINET. - Eh ! mais, tu es tout mouillé !

JANOT. - Oh ! c'est une histoire que je te vas conter. Quiens, imagine-toi... (en gesticulant, il touche l'épée de Dodinet). Mais, qu'est-ce que t'as donc là ?

DODINET. - Ça, c'est mon épée. 

JANOT. - Ton épée ! est-ce que t'es soldat de milice ?

DODINET. - Non, je suis engagé dans les rats de cave. 

JANOT. - Guiable ! C'est-ti un beau régiment, ça ?

DODINET. - Oh ! je t'en réponds va... mais... (il flaire) viens un peu de ce côté-ci (il le mène à l'autre bout du théâtre). Eh ! ben, ton histoire ? 

JANOT. - Imagine-toi-donc, je m'en allais chercher not' soupe, et pis v'là que... 

DODINET, à part. - Queu diable d'odeur ! quiens, reculons ici (il recule d'un autre côté).

JANOT. - Et pis, v'là donc que je passais en passant ; et pis tout d'un coup... 

DODINET, reculant toujours, à part. - Mais c'est encore pus fort ici. 

JANOT. - Est-ce que t'as des fourmis dans les pieds, toi ? Qu'est-ce que t'as donc à danser ? 

DODINET. - Eh ! non, c'est que je crais qu'il a passé par ici des... 

JANOT. - Non, il n'a passé personne. 

DODINET. - Si fait, je te dis : ça sent un goût... 

JANOT. - Comment ! un goût !... Ah ! quiens, c'est ça, peut-être (il lui porte son bras sous te nez).


 

 
 



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