THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

CHARLES. - Dame, si vous me montrez mal, ce n'est pas de ma faute, à moi.

PÉDANTUS. - Je vous montre mal !... moi !... dites donc plutôt que vous ne voulez point me comprendre. Petit ingrat que vous êtes, est-ce ainsi que vous reconnaissez le soin que je prends de votre avenir ? Est-ce là le fruit que je dois recueillir de mes innombrables veilles ? Ah ! je ne le vois que trop maintenant, j'ai semé dans un terrain stérile, j'ai prêché dans le désert... Allez, allez, je vous abandonne à votre ignorance et à votre mauvaise étoile.

CHARLES. - Ah ! Monsieur Pédantus, ne me quittez pas; je ne le ferai plus, je vous assure.

PÉDANTUS. - Soyez donc plus docile à l'avenir. Croyez-vous que j'aime à faire des reproches ? Vous imaginez-vous que je me plaise à vous gronder ? Tout mon désir, au contraire, est de vous rendre aussi savantissime que moi, et de faire de vous un homme devant lequel Diogène puisse enfin éteindre sa lanterne.

CHARLES. - Qu'est-ce donc que monsieur Diogène ?

PÉDANTUS. - Ne vous ai-je pas dit que c'était un philosophe de l'antiquité ?

CHARLES. - Ah ! oui, du temps de la révolution.

PÉDANTUS. - Petit nigaud !... Le mot antiquité ne présente-t-il pas l'idée d'un temps plus reculé que celui de la révolution ?... Diogène était un philosophe grec qui n'avait pour tout vêtement qu'un manteau, pour tout meuble qu'une écuelle, et pour toute demeure qu'un tonneau. Il parut un jour dans Athènes avec une lanterne à la main, en disant : "Je cherche un homme"... L'histoire ne dit point qu'il l'ait trouvé. Tâchez donc d'être un jour cet homme-là, et vous me ferez honneur ; mais pour y parvenir il faut être obéissant, studieux, attentif aux leçons, et ne pas préférer le jeu à la connaissance des sciences, que je possède à un si haut degré, et que je m'applique à vous rendre familières.

CHARLES. - Que vous êtes heureux d'être aussi savant, monsieur Pédantus !

PÉDANTUS. - Il ne tient qu'à vous de le devenir.

CHARLES. - C'est bien dommage que tout cela ne soit pas amusant à étudier.

PÉDANTUS. - Oh ! je n'ai pas de peine à croire que vous seriez déjà un homme du plus grand mérite, si l'on s'instruisait en jouant ; mais il y a temps pour tout : il s'agit seulement de ne point abuser de l'un au préjudice de l'autre. Jouez quand on vous le permet, travaillez assidûment aux heures du travail, et vous posséderez un jour cette science que vous trouvez si belle, et qui est, en effet, un des plus grands avantages auxquels l'homme puisse prétendre ici-bas.

CHARLES. - Mais qu'avions-nous besoin de venir jusqu'ici pour apprendre ; qu'allons-nous y faire ?

PÉDANTUS. - D'abord, vous avez vu ce que c'était qu'une expérience aérostatique, je vous en ai fait voir l'appareil et expliqué toutes les combinaisons; ensuite j'ai voulu vous faire faire le tour du monde ; à présent, suivant toujours mon système-pratique, je veux vous faire étudier l'histoire naturelle ; c'est une science fort utile : elle a pour objet la connaissance des productions de la nature, qu'on divise en trois règnes.

CHARLES. - Ah ! oui, le minéral et le végétal.


PÉDANTUS. - Eh ! bien , et le troisième ?

CHARLES. - Tiens, je l'oubliais. C'est l'animal, monsieur Pédantus.

PÉDANTUS. - Fort bien. En combien de classes partage-t-on les animaux ?

CHARLES. - En sept : les quadrupèdes-mammifères, les oiseaux, les poissons, les reptiles, les insectes, les mollusques et les zoophytes.

PÉDANTUS. - Vous savez ce que c'est que les oiseaux, les poissons, les reptiles et les insectes ?

CHARLES. - Oh ! oui, et je vous le prouverai en vous nommant un serin, une carpe, un serpent et une mouche ; mais qu'est-ce que c'est que les mammifères ?

PÉDANTUS. - On appelle ainsi les animaux dont les femelles produisent leurs petits vivants et les allaitent : les ovipares se reproduisent par des œufs.

CHARLES. - Et les mollusques ?

PÉDANTUS. - C'est une espèce d'animaux de substance molle et visqueuse dont la plupart sont renfermés dans une coquille.

CHARLES. - Ah ! Oui ; comme un limaçon, par exemple.

PÉDANTUS. - C'est cela. Ensuite l'organisation des zoophytes se rapproche de celle des plantes, et quelques-uns ont la faculté de se reproduire comme elles.

CHARLES, se retournant. - Ah ! voyez donc, voyez donc, monsieur Pédantus, ce que j'aperçois là-bas.

PÉDANTUS. - Eh ! mais, si je ne me trompe, c'est un lion. Vite, vite, remontons dans notre nacelle, et élevons-nous jusqu'à la cime de ces arbres ; de là je vous expliquerai les particularités de chaque espèce qui se présentera à nos regards.

CHARLES. - Un lion !... Oh ! mon Dieu ! je commence déjà à avoir bien peur !...

PÉDANTUS. - Suivez-moi ; nous n'en avons rien à craindre. Voici le moment, ou jamais, de vous faire faire un cours d'histoire naturelle ; mais surtout retenez bien ce que je dirai ; que mes paroles ne soient pas perdues.

CHARLES. - Je vous le promets.

PÉDANTUS. - Venez ; nous verrons si vous tiendrez parole.

     (Ils sortent par la gauche.)

SCÈNE III.

 

     (Observez ici que tous les animaux entrent par la droite et sortent par la gauche, et qu'il faut mettre à leur passage le temps nécessaire à l'explication qu'en fait Pédantus à son élève.)



Les Précédents, cachés ; LE LION.



PÉDANTUS. - Le lion. On comprend sous ce nom générique toute la famille des carnivores, dont le caractère distinctif est d'être pourvu d'ongles que l'animal allonge et retire à volonté. Le lion est le plus fort, le plus fier et le plus terrible des animaux ; il n'a d'autre ennemi à craindre que l'homme, dont l'adresse vient à bout de le dompter. Il est généreux et vindicatif ; il garde le souvenir d'un mauvais traitement comme il conserve la mémoire d'un bienfait ; il n'est cruel que par nécessité, et ne se jette sur les autres animaux que lorsqu'il est pressé par la faim. Les lions habitent sous le ciel brûlant de la zone torride ; ceux du Sénégal sont particulièrement renommés pour leur intrépidité et leur grosseur.
(Le lion sort.)


SCÈNE IV.

Les Précédents, cachés ; L'ÉLÉPHANT.



PÉDANTUS. - L'éléphant. Ce quadrupède est le plus grand de tous. Il est surtout remarquable par une trompe cylindrique, charnue, mobile et douée d'un sentiment exquis ; elle se termine par une espèce de doigt qui donne à l'éléphant toute l'adresse du singe ; cette trompe a six ou huit pieds de longueur, c'est par-là qu'il saisit les aliments et qu'il pompe l'eau qu'il verse ensuite dans sa gorge. L'éléphant mâle a la mâchoire supérieure armée de deux énormes défenses de quatre à cinq pieds de long, dont la substance, que l'on nomme ivoire, est un objet de commerce fort important. Cet animal est, sans comparaison, le plus intelligent qui existe ; il a dix, douze, et jusqu'à treize pieds de haut ; sa force prodigieuse, son courage et sa docilité le rendent propre à tous les genres de service. L'éléphant ne se trouve que dans quelques parties de l'Afrique et de l'Asie. Les plus recherchés sont ceux de l'île de Ceylan : on n'est point d'accord sur la durée de leur vie.
(L'éléphant sort.)


SCÈNE V.

Les Précédents, cachés ; L'OURS NOIR.


PÉDANTUS. - L’ours noir. C'est un animal de la taille d'un chien de la plus grande espèce ; il a les yeux petits, le nez gros, les oreilles larges, le museau relevé et la queue courte. Ce quadrupède est non seulement sauvage, mais solitaire ; il cherche les pays déserts, les cavernes, les rochers, et reste quelquefois des semaines entières sans sortir de son antre. L'ours noir que nous voyons diffère de l'ours brun par les inclinations naturelles ; ce dernier est plus féroce, et celui-ci plus farouche. Le mâle et la femelle ont toujours une demeure séparée qu'ils se construisent eux-mêmes avec des branches d'arbres, à défaut de cavernes. L'ours vit de vingt à vingt-cinq ans ; sa peau est la plus estimée de toutes les fourrures grossières. Ou tire de sa chair une grande quantité d'huile.
(L'ours noir sort.)
 

SCÈNE VI.


Les Précédents, cachés ;  LE DROMADAIRE.


PÉDANTUS. - Le dromadaire. Il est absolument de la même espèce que le chameau ; la seule différence essentielle qu'on remarque entre eux, c'est que le dromadaire n'a qu'une bosse, et qu'il est généralement plus petit, moins fort, mais beaucoup plus vif que le chameau. Dans l'Egypte, dans l'Arabie et dans les Indes, le service des courriers se fait au moyen des dromadaires. Ces animaux font quelquefois cinquante et même soixante lieues en vingt-quatre heures, sans autre nourriture qu'une boule de pâte qu'ils ruminent à la manière des bœufs. Leur docilité est extrême ; ils se contentent de jeter quelques cris lamentables lorsqu'on les surcharge , et la musique est le moyen qu'on emploie avec le plus de succès pour soutenir leur force et leur courage dans un long trajet. On parvient à élever de ces animaux dans nos climats et à en tirer quelques services, mais ils ne peuvent s'y multiplier.
(Le dromadaire sort.)


SCÈNE VII


Les Précédent, cachés ; LE CERF.

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PÉDANTUS. - Le cerf. Il se reconnaît aux bois dont sa tête est ornée ; ces bois sont d'une nature osseuse, et tombent tous les ans pour renaître plus longs et plus forts. La femelle, qu'on appelle biche, ne produit à la fois qu'un seul petit, qu'on nomme faon la première année de sa vie, où il n'a point de bois ; daguet la seconde, où son bois n'a pas de branches ; et cerf l'année suivante, lorsque son bois est ramifié. Le cerf est doux et timide, mais il devient furieux et livre un combat à mort à son rival. La chasse de ce bel animal constitue seule une branche très-étendue de l'art de la vénerie.



 
 
 



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