THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

Ah ! la passion douloureuse !
J'espérais bien que le hasard
Ferait un jour que ton regard
Tombât sur la pauvre amoureuse...

J'espérais désespérément ;
Et puis tu blâmes l'adultère,
Aussi mon cœur a dû le taire
Ce fol amour, ô mon amant !

Que te dirai-je encore ? Songe
Que c'est Phryné qui vient t'offrir
Elle-même avant de mourir
Un amour qui n'est pas mensonge,

C'est la première fois d'ailleurs
À présent que la mort est proche,
À ta tunique je m'accroche ;
Si je fus pire, sois meilleur !

Ce n'est plus cette ardeur cachée
En mon âme et dont s'offensait
Ma pudeur, Khenayos mais c'est
Vénus à sa proie attachée
Tout entière. (Elle s'approche de l'Héliaste). 


Oh ! Dans tes cheveux,
Laisse glisser ma main câline :
Ah ! Va je serai bien féline;
Khenayos, tu veux, dis... tu veux ?
     Et peut-être allait-elle réussir, car la chair est faible et la femme est roublarde, lorsque soudain paraît Khrobyle, la légitime ! Phryné n'a plus qu'à s'enfuir. C'est ce quelle fait, emportant une chlamyde.

QUATRIÈME TABLEAU


LE CÉRAMIQUE

Une promenade publique. Un petit temple.

 
jeunes hommes, phryné, ombres chinoises, theatre d`ombres, silhouettes, marionnettes, louis morin
Jeunes gens

http://www.alienor.org/collections-des-musees/fiche-objet-83864-ombre-chinoise-groupe-de-trois-atheniens
(avec l'aimable autorisation de madame le Conservateur des musées de Châtellerault).
 

LE RÉCITANT.

     Nous sommes au Céramique, qui était, comme on le sait, les Acacias d'Athènes. C'est là que la belle jeunesse de la ville, l'Intrépide Vide-Amphore et la Vieille-Gourde, dont nous avons fait le Vieux-Carafon, car rien n'est nouveau sous le soleil, se donnaient rendez-vous pour se rencontrer avec les courtisanes en vogue.
     Cependant le temps a marché, oh ! combien vite ! Et nous sommes à la veille même du jour où Phryné doit être jugée. Bien qu'elle ait l'esprit troublé de noirs soucis, en bonne habituée du Céramique, elle a tenu à se montrer aux Athéniens une dernière fois sur leur promenade élégante ; elle y vient en litière, entourée d'un groupe d'adorateurs.
 
phryné, Mélissa, femme, ombres chinoises, theatre d`ombres, silhouettes, marionnettes, louis morin
Mélissa par Nicolas AUBERT, libre de droits
 
     Elle y rencontre la courtisane Mélissa avec qui elle a fait ses études au séminaire de Lesbos et qu'elle n'a pas revue depuis. Mélissa arrive en effet de Corinthe où elle n'a pas pas fait ses affaires, ayant trouvé les Corinthiens aussi secs que leurs raisins et elle est venue à Athènes pour faire fortune.
 
éphèbes, phryné, ombres chinoises, theatre d`ombres, silhouettes, marionnettes, louis morin
Adorateurs
http://www.alienor.org/collections-des-musees/fiche-objet-83870-ombre-chinoise-les-jeunes-admirateurs
(avec l'aimable autorisation de madame le Conservateur des musées de Châtellerault).

 

    Un dialogue des courtisanes s'engage, entre les deux amies. Leurs adorateurs s'éloignent par discrétion, car ce sont des jeunes gens parfaitement élevés qui savent que l'on ne doit pas rester là lorsque les dames causent entre elles.
     « Je te trouve l'air très embêté, ô Phryné ! Pourtant les amants ne doivent pas te manquer, car tu es renommée dans toute la Grèce pour ta grande beauté ; et plus d'un riche marchand étranger doit rechercher la laveur de partager ta couche.
– Comme on voit bien que tu arrives de Corinthe, Mélissa ! Ne sais-tu pas, barbare provinciale, que je vais être jugée tout à l'heure ?
– Vraiment, ma chère ?
– Comme je te le dis, ma chère !
– As-tu donc commis quelque crime ?
- Oui, si c'en est un de conseiller à Léda de plumer Jupiter.
– Que veux-tu, dire ? Je ne comprends pas tes paroles, ô Phryné.
– Tu vas les comprendre, ô Mélissa !... C'était au Chat Noir. On représentait les Amours de Jupiter et de Léda, et j'ai conseillé à la femme de Tyndare de plumer le divin volatile.
– Ah ! voilà qui est fort athénien, en effet, mais irrévérencieux à vrai dire.
– À tel point, ô Mélissa, que je vais sans doute payer cher cette petite plaisanterie, et passer comme j'avais celui de te le dire tout à l'heure, devant les juges de mon-pays.
– T'es-tu munie au moins d'un bon avocat ?
– Je t'avoue que je n'y ai guère songé car j'ai peu de confiance dans l'influence de ces hommes bavards et astucieux.
– En ce cas, c'est Minerve elle-même qui m'envoie vers toi ; car un seul homme, un seul, peut te tirer de ce mauvais pas. J'ai nommé l'avocat Hyppéride. C'est un garçon plein de talent et qui vient justement de plaider à Corinthe plusieurs procès sensationnels qu'il a tous gagnés d'ailleurs.
– Mais ne crains-tu pas, ô Mélissa, que cet homme de talent me sachant riche, ne me demande beaucoup de talents ?
– Ne crains rien de ce genre, ô Phryné. Hyppéride est avant tout amateur de la beauté et le plus grand trésor que tu puisses lui offrir, c'est toi-même. N'as-tu pas, remarqué, à ce propos, que nous autres courtisanes, nous sommes comme ces paysans qui ne donneraient pas une obole aux mendiants, mais qui leur laissent prendre sur leurs oliviers toutes les olives qu'ils veulent. Nous payons en nature, ça nous coûte moins cher et nous ne nous en apercevons même pas. Mais pour en revenir à Hyppéride, je l'ai aperçu tout à l'heure qui rôdait et comme par hasard dans un bosquet voisin du Céramique. Descends de ta litière et courons le rejoindre.
     Et dans un endroit écarté du Céramique, sur un temple dédié à la déesse Cérès, avec une épingle d'or arrachée à sa fauve chevelure, Phryné écrit cette déclaration, en grec naturellement : « Phryné aime Hyppéride. »

 
hypéride, avocat, phryné, ombres chinoises, theatre d`ombres, silhouettes, marionnettes, louis morin
Hyppéride
http://www.alienor.org/collections-des-musees/fiche-objet-83874-ombre-chinoise-avocat-de-phryne

(avec l'aimable autorisation de madame le Conservateur des musées de Châtellerault).

 
     Cependant au loin passent des troupeaux de biches familières ; Hyppéride, dissimulé derrière le tronc noueux d'un smilax, guette la courtisane ; et lorsqu'elle s'est éloignée, il sort de sa cachette et va lire la déclaration écrite sur les murs du temple, et l'ayant lue, ému et très troublé, il s'élance à sa poursuite.

 
CINQUIÈME TABLEAU

LA CHAMBRE DE PHRYNÉ

Hyppéride et Phryné sont couchés à côté l'un de l'autre sur un grand lit dont le désordre ne laisse aucun doute sur la nature de leurs relations.

phryné, femme, ombres chinoises, theatre d`ombres, silhouettes, marionnettes, louis morin
Phryné, bras levé.
http://www.alienor.org/collections-des-musees/fiche-objet-83868-ombre-chinoise-phryne-levant-le-poing

(avec l'aimable autorisation de madame le Conservateur des musées de Châtellerault).

LE RÉCITANT.
     Cependant le temps a marché, oh ! combien vite et nous sommes au matin même du jour où Phryné doit être jugée. Selon les conseils de Mélissa, elle a passé la nuit avec son avocat Hyppéride et a offert ce que la plus belle fille du monde peut donner à son amant dans des circonstances à peu près analogues. Toutefois Hyppéride, qui a une idée de derrière la tête, demande à être éclairci sur un point. Et dans une salle à côté, la coryphée des joueuses de flûte d'Ionie, qui n'attend qu'un signal, s'apprête à accompagner leurs amours sur des rythmes spéciaux. (À ce moment précis, la toile tombe). 
     L'acte n'est pas terminé. Il commence au contraire. La toile tombe par pudeur. C'est une toile de vigne, prescrite par l'administration. (La toile se relève).
      Cependant les choses ont repris leur position normale. Déjà les premières lueurs timides du matin baignent d'une clarté mauve la chambre de Phryné. La courtisane estime qu'il est temps de penser aux choses sérieuses, et de sa voix d'or elle dit :
 
« Phoebé, lampe d'argent, au ciel devient plus terne.
Tandis que nous aimons, la clepsydre de Lerne
Sable le temps qui coule à grains d'or et s'enfuit.
Déjà le clair matin chasse la sombre nuit.
Or, nous avons assez ri, causons : tout à l'heure,
Hyppéride, tu vas sortir de ma demeure
Pour défendre Phryné devant le tribunal.
On te dit orateur, et rhéteur sans égal,
Grand enfileur de mots et grand gagneur de causes,
Et l'on assure encor que tu ne causes
Sur n'importe quel sujet, ainsi que le font
Les autres avocats, sans le connaître à fond.
Aussi, devant plaider pour moi, tu m'as connue,
Par Vénus, comme la Vérité, toute nue.
Tous les renseignements que tu m'as demandés,
Je te les ai sur l'heure et sans peine accordés.
J'ai mis à t'éclairer de grandes complaisances ;
Tu ne peux arguer de vagues connaissances.
Tu t'es documenté ; devant le tribunal
Ton plaidoyer, mon cher, ne peut être banal ;
Donc, pour troubler l'esprit de nos juges, n'invoque
Pas devant ces vieillards l'argument équivoque
De la suggestion, de la fatalité :
L'École de Milet, d'ailleurs, l'a réfuté.
Ne parle non plus de la douleur amère
De mon malheureux père et de ma vieille mère,
Et pour une raison excellente : ils sont morts.
Ne parle pas surtout de mes cuisants remords,
Car je n'en ai pas... Et si ma cause est perdue,
Tant pis, Phryné ne doit pas être défendue
Bêtement, comme la marchande de poisson
Qui verse à son amant quelconque du poison. »

Mais Hyppéride lui répond :

« Ô Phryné, ne crains rien. Autrefois dans Athènes,
Pour être un orateur éloquent, Démosthène
Se promenait au bord de la mer en courroux,
Et là, parmi les vents, en suçant des cailloux,
Jetait aux flots hurleurs une longue harangue.
Or, toi, tu m'as donné pour délier ma langue
Mieux que de vils cailloux, les pointes de tes seins,
Cailloux roses, cailloux fleuris, où par essaims
Se posent les baisers des lèvres butineuses.
Et durant cette nuit, mes caresses glaneuses
Ayant glané le long de ton corps savoureux
Une blonde moisson de souvenirs heureux,
Pour te défendre j'ai, dans leur toute-puissance,
Les arguments d'auteur et de reconnaissance :
Mon plaidoyer sera la gloire de ton corps.
Ainsi que les piliers harmonieux et forts
Des blancs portiques, tes jambes de chasseresse
En soutiendront l'architecture, ô ma Maîtresse,
Et, pour le rehausser, j'enchâsserai dedans
Les gemmes de tes yeux, les perles de tes dents.




 
 
 



Créer un site
Créer un site