THÉÂTRE D'OMBRES ET DE SILHOUETTES

GUIGNOL. - Là, mon cher ami, vous confondez.
(Chanté.)
Il existe deux sortes d'hommes en bois,
Les têtes précieusement travaillées,
Réceptacles de doctrines admirables,
Et les brutes, j'entends non façonnées,
Eh ! si, les brutes et les bûches.

LE DIRECTEUR. - Devient-on sage ?…

GUIGNOL. - Dites, mon ami : homme à la tête de bois.

LE DIRECTEUR. - Devient-on homme à la tête de bois ou bûche quand on a la.... bouche de bois ?

GUIGNOL. - (Chanté.)
Le vin est la vérité, une solution de vérité,
Empruntée au bois des tonneaux de bois,
Plein de vin, vous devenez semblable à un tonneau, tout en bois.
Les pantins et les guignols
Sont de perpétuels ivrognes.

LE DIRECTEUR. - (Parlé.) Et ils sont en bois pour ne pas se casser en tombant. C'est, en effet, avantageux. (Il reste rêveur.) Mais vous ne buvez pas, alors, puisque vos maxillaires sont déjà en bois ?

GUIGNOL. - Si fait, pour les avoir encore davantage ainsi et parvenir à la science infuse.

LE DIRECTEUR. - Arthur, deux...

GUIGNOL. - Pernods ?

LE DIRECTEUR. - Non, Premier, comme Napoléon.

GUIGNOL. - À votre santé, futur grand homme de bois. Vous deviendrez sage en buvant. (Musique de ballet.) Eh ! Où courez-vous donc, plus vite qu'un cheval de bois ?

LE DIRECTEUR. - (Chanté.)
Des petit's femm's, voici des p'tit's femmes !
On n 'est pas de bois !

GUIGNOL. - (Parlé.) Vous voulez dire ?

LE DIRECTEUR. - Que je vous plains, pauvre Guignol, avec votre tête de... sage. Vous ignorez bien des plaisirs. Un de vos ancêtres de bois n'était-il pas... Abélard ?

GUIGNOL. - (se tordant et se roulant sur le devant du théâtre.) Il n'était pas Abélard, puisqu'il a engendré tous mes grands-pères, père et moi-même. Mais aux Champs-Élysées et aux Tuileries et à Lyon, je laisse croire aux petits enfants que les pantins de Guignol se trouvent sous les choux de bois…
(Chanté.)
Des bergeries des bazars.
Mais aux Quat-z'Arts,
Aux Quat-z'Àrts, Guignol,
Aux Quat-z'Arts n'est pas Abélard !
Il sera de bois quant à la tête
Par son savoir,
De bois, de bois,
Mais pas plus bas.
Aux Quat-z'Arts, aux Quat-z‘Àrts,
Guignol ne sera pas de bois !
(Entrent deux petites femmes, que le Directeur et Guignol embrassent grotesquement. Danse burlesque.)

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les deux petites femmes

ACTE PREMIER

Une salle du palais du Roi de Pologne.

SCÈNE PREMIÈRE

PÈRE UBU, LE ROI VENCESLAS

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Roi Venceslas

LE ROI, dans la coulisse. - Hé, Père Ubu, Père Ubu !

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Père Ubu


PÈRE UBU, entrant. - Eh ! voila le roi qui me demande. (À part.) Roi Venceslas, vous courez à votre perte et vous serez massacré !

LE ROI, entrant de l'autre côté. - Êtes-vous donc encore à boire, Père Ubu, que vous n'entendez pas quand je vous appelle ?

PÈRE UBU. - Oui, Sire, je suis saoul, c'est parce que j'ai bu trop de vin de France.

LE ROI. - Comme moi ce matin : nous sommes gris, je crois, comme deux Polonais.

PÈRE UBU. - Enfin, Sire, que désirez-vous ?

LE ROI. - Noble Père Ubu, venez près de moi à cette fenêtre, nous verrons défiler les troupes.

PÈRE UBU, à part. - Attention, voilà le moment ! (Au Roi.) On y va, monsieur, on y va.

LE ROI, à la fenêtre. - Ah ! voici le régiment des gardes à cheval de Dantzick. Ils sont fort beaux, ma foi.

PÈRE UBU. - Vous trouvez ? Ils me paraissent misérables. Regardez celui-ci là-bas. (Criant par la fenêtre.) Depuis combien de temps ne t'es-tu débarbouillé, ignoble drôle ?

LE ROI. - Mais ce soldat est fort propre. Qu'avez-vous donc, Père Ubu ?

PÈRE UBU. - Voilà ce que j'ai ! (Coup de tête dans le ventre.)

LE ROI. - Misérable !

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Père Ubu avec un bâton

PÈRE UBU. - MERDRE. (Coup de bâton.)

LE ROI. - Lâche, gueux, sacripant, mécréant, musulman !

PÈRE UBU. - Tiens, pochard, soûlard, bâtard, hussard, tartare, calard, cafard, mouchard, savoyard, polognard !

LE ROI. - Au secours ! Je suis mort !

PÈRE UBU, roulant le Roi sur le devant du guignol avec le bâton. - Tiens, capon, cochon, félon, histrion, fripon, souillon, polochon ! Est-il bien mort ? Eh aïe donc ! (Il l'achève.) Me voici roi maintenant ! (Il sort.)


SCÈNE II

LA REINE, BOUGRELAS


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Reine Rosemonde

LA REINE. - Quel est ce bruit épouvantable ? Au secours ! le roi est mort !

BOUGRELAS. - Mon père !

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Bougrelas

LA REINE. - Mon mari ! mon cher Venceslas ! Je me trouve mal Bougrelas, soutiens-moi !

BOUGRELAS. - Ha ! qu'as-tu, ma mère ?

LA REINE. - Je suis bien malade, crois-moi, Bougrelas. je n'en ai plus que pour deux heures à vivre. Comment veux-tu que je résiste à tant de coups ? Le roi massacré, et toi, représentant de la plus noble race qui ait jamais porté l'épée, forcé de t'enfuir comme un contrebandier.

BOUGRELAS. - Et par qui, grand Dieu ! par qui ? Un vulgaire Père Ubu, aventurier sorti on ne sait d'où, vile crapule, vagabond honteux ! Et quand je pense que mon père l'a décoré et fait comte et que ce vilain n'a pas eu honte de porter la main sur lui.

LA REINE. - O Bougrelas ! Quand je me rappelle combien nous étions heureux avant l'arrivée de ce Père Ubu ! Mais maintenant, hélas ! tout est changé !

BOUGRELAS. - Que veux-tu ? Attendons avec espérance et ne renonçons jamais à nos droits.

LA REINE. - Je te le souhaite, mon cher enfant, mais pour moi je ne verrai pas cet heureux jour.

BOUGRELAS. - Eh ! qu'as-tu ? Elle pâlit, elle tombe, au secours ! O mon Dieu ! son cœur ne bat plus. Elle est morte ! Est-ce possible ? Encore une victime du Père Ubu ! (Il se cache la figure dans les mains et pleure.) O mon Dieu ! qu'il est triste de se voir seul à quatorze ans avec une vengeance terrible a poursuivre ! (Il tombe en proie au plus violent désespoir.)
     
(Pendant ce temps les Âmes des Ancêtres entrent. L'une s'approche de Bougrelas.)
 

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âmes des ancêtres précédées de l'Ombre


BOUGRELAS. - Ah ! que vois-je ? toute ma famille, mes ancêtres… Par quel prodige ?

L'OMBRE. - Apprends, Bougrelas, que j'ai été pendant ma vie le seigneur Mathias de Kœnigsberg, le premier roi et le fondateur de la maison. Je te remets le soin de notre vengeance. (Il lui donne une grande épée.) Et que cette épée que je te donne n'ait de repos que quand elle aura frappé de mort l'usurpateur.
     (Les Ombres disparaissent.) 

BOUGRELAS. - Ah ! maintenant, qu'il y vienne, ce Père Ubu, ce coquin, ce misérable ! Si je le tenais...
     
(Il sort en brandissant l'épée.)

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Bougrelas brandissant l'épée de l'Ombre - épée

 
 



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